Roch Hachana – le Monde de l’Écoute ( 1ere partie)

1. “Dieu s’élève dans l’acclamation” 

2. Le monde de l’écoute 

3. Le monde de la ligature

4. Israël chérit la mitsva

5. Le Chofar du Messie

 

 

 

1. « Dieu s’élève dans l’acclamation »


1.1. La voix du chofar proclame : “Le monde a un roi !”

1.2. Les sons du chofar : TEKIA’ – CHEVARIM – TEROUA’ – TEKIA’ 


1.1. La voix du chofar proclame : “Le monde a un roi !”

La mitsva du jour concerne le chofar. Certains pensent que le formule de la bénédiction est “sonner du chofar”, et d’autres que c’est “écouter la voix du chofar”. La halakha tranche pour “écouter…” [Choulhan Aroukh 585, 2].

Qu’y a-t-il au fond de cette écoute ? Car ce ne sont pas des mots, mais simplement un son ! Que cherche-t-on à entendre ?

Dieu s’élève dans l’acclamation, l’Éternel dans la voix du chofar.  [Psaumes 47, 6]

Le chofar proclame : “L’Éternel, c’est Lui qui est Dieu !” .

Il porte en lui l’acclamation royale.  [Nombres 23, 21]

Le monde a un Roi. Avant que nous n’entrions dans les détails des mitsvot, dans l’amélioration des qualités morales, dans les voies de la techouva et de l’élévation vers Dieu, avant tout cela il y a un principe, à l’origine de tout : il y a un Roi, il y a un Maître du monde.

C’est la voix qui dit :

L’Éternel est un et son Nom un [Zacharie 14, 9]

Rien dans le monde n’est ‘un’, il n’y a que L’Éternel. Pour le moment, il y a encore autour de nous des gens sourds, aveugles et bouchés qui ne le reconnaissent pas. La voix du chofar nous fait entrevoir en un éclair le temps où “L’Éternel sera un et son Nom sera un. Toutes les petites affaires qui occupent aujourd’hui notre intelligence, notre sensibilité et notre imagination, tout cela s’évaporera et disparaîtra, et une seule voix se fera entendre : “Dieu est roi”, et rien d’autre.

Lors du don de la Thora, tout le peuple d’Israël, hommes, femmes et enfants, esclaves et servantes, tous s’élevèrent au niveau de la prophétie le temps d’un instant, le temps d’une seconde. D’après certaines opinions, ils entendirent les deux premières paroles : “Je suis…” et “Tu n’auras pas…” ; d’après d’autres, ils n’entendirent que la première, et d’autres encore disent qu’ils n’entendirent que la voix de l’Éternel, sans mots prononcés. Ce n’était pas une écoute à l’oreille, mais c’est de la manière dont la voix divine parle aux prophètes depuis l’intérieur de leur âme que l’éclair divin les illumina. Cette révélation fut dramatique : quand la voix de Dieu se révèle à l’âme du prophète, sa propre splendeur se retourne contre lui, ses pensées se brouillent, il est déchiré et il tombe [Rambam, Lois des Fondements de la Thora 7, 2]. C’est comme si l’on faisait passer un courant d’un million de volts dans un petit appareil : tout serait grillé et disloqué. C’est ce qui arriva à Israël au Mont Sinaï : leur âme fut volatilisée par la puissance de la révélation divine [Chabbat 86b], et ils demandèrent à Moché notre maître :

Parle-nous, toi, et que Dieu ne nous parle pas directement, de peur que nous ne mourrions !  [Exode 20, 16]

Cet éclair, qui illumina l’âme d’Israël, disait avec une puissance au-delà des mots : “Je suis l’Éternel ton Dieu !”. C’est de cette manière que la voix du chofar proclame : “Dieu est Roi”.

1.2. Les sonneries du chofar : TEKIA’ – CHEVARIM – TEROUA’ – TEKIA’ 

La voix du chofar se subdivise en plusieurs sonneries : TACHRAT = Tekia’ – CHevarim – teRoua – Tekia’.

Rabbi Yechaya Harowitz, surnommé le ‘Chlah Hakadoch’, explique :

  • TEKIA’ – un son continu – le bien divin remplit tout.

Dieu fit l’homme droit…

  • CHEVARIM – un son cassé, plaintif.

…et eux cherchèrent de multiples complications.  [Ecclésiaste 7, 29]

L’homme se coupe de l’écoute de la parole divine. Il soupire et il gémit, malade des complications qu’il s’est attiré lui-même.

  • TEROUA’ – un son de youyou, comme les cris que l’on pousse lors d’un enterrement.

L’homme se lamente sur lui-même : “Un jour j’ai été droit, ‘la buée d’une bouche exempte de toute faute’ [Chabbat 119b], comblé de ressources et de bénédictions divines ; mais à présent je me suis dégradé, j’ai perdu la santé, j’ai été bridé, je me suis éteint, je suis tombé, j’ai été déchiré – et j’étais comme mort”.

  • TEKIA’ – à la fin, il y a de nouveau un son continu.

Et enfin j’ai été ramené dans le droit chemin, à vouloir me rapprocher du Maître du monde [‘Chné Lou’hot Habrit’, Roch Hachana, chap. ‘Thora Or’ p.141].

Tel est le chemin suivi par tout existant. Au début de la Création tout est droit :

Dieu fit l’homme droit.  [Ecclésiaste 7, 29]

et à la fin également :

Le tordu sera redressé.  [Isaïe 40, 4]

Mais entre les deux, c’est ‘tordu’, tout est déformé et disloqué. La voix du chofar vient redresser l’homme en puisant dans la force sa droiture première, initiale, qui est toute bonne, qui traverse avec lui le chemin des crises jusqu’à la brisure totale, au point d’en mourir, et qui parvient enfin à le redresser.

Éternel, Éternel, Dieu miséricordieux et compatissant…  [Exode 34, 6]

Pourquoi répète-t-on deux fois le Nom de l’Éternel ? Rachi explique : ‘Éternel’ avant la faute, et ‘Éternel’ après la faute. Il y a une lumière divine qui nous emplit avant que nous nous mettions en route ; nous fautons et devenons misérables et vides ; alors de nouveau la lumière divine vient nous remplir. Même après la faute, le Maître du monde est avec nous, il nous attend à la sortie de la prison et nous repartons de nouveau.

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2. Le ‘Monde de l’Écoute’


2.1. Nous tous, nous sommes une oreille attentive

2.2. L’annulation de soi devant le Maître du monde

2.3. Une annulation qui mène à un être libre

2.4. Jour du jugement, jour de rendre des comptes 

2.5. La voix du chofar qui réveille et qui libère


2.1. Nous tous, nous sommes une oreille attentive

Nous nous tenons debout et nous écoutons la voix du chofar. La voix appelle : “Écoute, homme, et cesse de parler. Tu parles tellement ! Tu dis de bonnes paroles et de moins bonnes, des paroles superficielles, des paroles stupides, des paroles de médisance, de rapportage et de mensonge… À présent, tais-toi et écoute. Cinq minutes par an. Écoute la voix du chofar qui dit : ‘le Maître du monde existe’ !”.

Tout le reste de l’année l’homme agit, il court faire toutes sortes de choses, jusqu’à ce qu’en fin de compte il oublie le but de toute cette activité. “Maintenant ne fais plus rien, tiens-toi seulement debout et entends que Dieu existe”. – “Mais, dira l’homme, j’ai toujours su que Dieu existe !”“C’est faux, tu as oublié. En réalité, il est possible que tu aies su, mais peut-être as-tu pensé qu’il existe encore un certain nombre de choses dans le monde en-dehors du Saint-Béni-Soit-Il. Maintenant, laisse ton cœur parler : il n’y a pas un certain nombre d’autres choses, il y a seulement le Maître du monde !”.

La voix du chofar va en augmentant, jusqu’à ce que tes oreilles n’entendent plus rien d’autre. La voix prend de la force, jusqu’à ce que tu deviennes complètement sourd à autre chose. Tu n’as plus de bras, tu n’as plus de jambes, tu n’as plus de corps, il n’y a  plus qu’une oreille, par laquelle la voix entre et pénètre en profondeur.

2.2. L’annulation de la personnalité devant le Maître du monde

La personnalité se dissout à la voix du chofar. L’homme est aspiré vers la voix divine. Il n’a plus de réalité, il n’a plus rien, c’est ‘l’annulation de l’existant’. Sa personnalité s’annule vis-à-vis du Maître du monde. Il n’est pas actif, il est passif. Il n’agit pas, il est agi. Bien sûr, c’est une bonne chose et qui nous est chère d’être actif, engagé dans des réalisations importantes. Mais il y a une situation d’un niveau supérieur, qui consiste à ‘être agi’ ; non pas d’être agi vis-à-vis d’autres personnes, ce qui serait de l’esclavage, mais d’être agi vis-à-vis du Maître du monde :

Et l’esprit m’emporta.  [Ézéchiel 3, 12]

L’homme entend la voix du chofar encore et encore. Il n’y a pas de mots, pas de phrases, pas de discours et pas de livres, mais une voix unique qui englobe tout, tout ce qu’il y a à entendre et ce dont il y a à se remplir, et l’homme devient de plus en plus ‘agi’, réceptif et soumis devant cette voix.

2.3. Une annulation qui mène à un être libre

À Roch Hachana, l’homme s’annule. Il n’a plus rien à lui. Il est un esclave de l’Éternel. L’homme dira peut-être : “J’aime le Saint-Béni-Soit-Il, mais je me suis perdu moi-même, n’est-ce pas pour moi un appauvrissement ?” – Absolument pas. Au contraire. Plus l’homme est ‘esclave’ du Saint-Béni-Soit-Il, plus il est un homme libre.

La parole de Dieu était “gravée sur les tables” – ne lis pas ‘gravée’ [‘harout] mais ‘liberté’ [‘hérout].  [Michna Pirké Avot 6, 2]

Le Maître du monde est plus ‘Je’ que je ne suis ‘Je’ par moi-même. Plus un homme s’annule par rapport au Maître du monde et laisse la voix divine, qui proclame “Dieu existe”, effacer certains traits de sa personnalité, plus il est près de rencontrer son ‘Je’ véritable. 

Il y a trois apparitions du mot ‘chofar’ dans la Thora, et de chacune d’elles on apprend pour les deux autres, bien qu’il ne s’agisse pas du même chofar. Ainsi, le chofar de Roch Hachana est mis en parallèle avec le chofar du Jubilé, bien que le chofar de Roch Hachana soit courbé et symbolise la soumission, alors que le chofar du Jubilé est droit – car au Jubilé les esclaves sont libérés, et il symbolise donc la liberté [Roch Hachana 26b ; 32b ; 34a]. Mais en vérité tout revient au même : à Roch Hachana aussi, l’homme qui se soumet à la voix divine se libère de la bassesse servile qui l’opprime ; et le Jubilé est le temps du discernement, car seule une grande faculté de compréhension permet à l’homme d’être vraiment libre. La voix du chofar n’efface pas le ‘Je’ essentiel, pur et authentique, mais il efface les scories de la personnalité.

2.4. Jour du jugement, jour de rendre des comptes 

Aujourd’hui le monde a été conçu.  [Moussaf de Roch Hachana]

C’est le jour de la naissance du monde. C’est le jour des comptes, de l’échéance, de l’examen, du nettoyage et du nouveau départ. Le Maître du monde agit avec nous comme un vrai chef. Un chef avisé n’est pas constamment ‘à cheval’ sur ses ordres, il ne commande pas sans cesse. On ne peut pas travailler convenablement si le responsable vous surveille en permanence. L’employé dit à son employeur : “Tu me fais confiance ? Alors donne-moi des directives générales. Je les exécuterai, et à la fin de l’année je te ferai un rapport. Si j’ai été bon, continuons. Si j’ai été mauvais, licencie-moi. Mais en attendant laisse-moi travailler”. Le Maître du monde nous laisse travailler tranquilles, nous avons notre libre-choix. Il ne se mêle pas. Tu veux mettre la main à la faute ? – Ta main ne va pas se momifier. Tu veux faire de la médisance ? – Ta langue ne se collera pas à ton palais. Fais comme bon te semble. Mais maintenant c’est Roch Hachana, une année est passée, et il faut rendre des comptes [Roch Hachana 16a-b]. Il faut te nettoyer, éliminer toutes les saletés qui se sont collées à toi toute l’année. C’est pour cela qu’il faut écouter la voix du chofar, pour faire disparaître toutes les scories, pour se libérer.

2.5. La voix du chofar qui réveille et qui libère

Le Rambam écrit à propos du sens de la mitsva du chofar : “Bien que la sonnerie du chofar à Roch Hachana soit un ‘décret de la Thora’, c’est-à-dire un sujet que l’intelligence humaine ne peut comprendre en profondeur, “elle contient une allusion, comme pour dire : ‘Réveillez-vous, les endormis, de votre sommeil’ !” [Rambam, Hilkhot Techouva 3, 4]. Réveille-toi, homme ! Tu es complètement endormi, reviens à toi ! Tu rêves ! Tu rêves que tu es éveillé ! Tu a perdu conscience de toi-même !

L’homme vit dans ce qu’il imagine, et il est sûr que c’est cela la réalité, car l’imagination s’emballe ! Il s’imagine qu’il est dans le bon chemin, qu’il s’améliore, qu’il fait des choses importantes, mais en réalité il manque de sérieux, il ‘ne se prend pas en mains’. Il s’est brouillé avec ses amis, et au lieu d’effacer la rancune qu’il en conçoit, il l’amplifie. Il sait expliquer de multiples manières pourquoi il est comme il faut, alors que les autres ne le sont pas. Ne t’occupe pas des autres, cesse de faire l’éducateur de ta génération, occupe-toi de toi-même et fais techouva !

Une fois par an, on se réveille. C’est la raison pour laquelle le Choulhan Aroukh écrit qu’il ne convient pas de dormir à Roch Hachana. Ce n’est pas un jour pour le sommeil. Si tu as dormi à Roch Hachana, tu dormiras toute l’année ! Nous ne parlons pas ici de points de halakha : si quelqu’un est fatigué et craint de s’assoupir pendant la prière, il vaut mieux qu’il dorme. Il s’agit ici du principe : on doit se réveiller. La voix du chofar réveille. L’homme se libère de lui-même et écoute. La voix va en augmentant, et elle le remplit jusqu’à ce qu’il y soit englouti. Le chofar ne vient pas nous faire oublier ce que nous sommes, mais il nous faire revenir à nous-mêmes.