Roch Hachana – le Monde de l’Écoute ( 2ème partie)

3. Le ‘Monde de la Ligature’ – souvenir de la ligature d’Itzhak


À Roch Hachana, nous commémorons la ligature d’Itzak, et nous sonnons le chofar dans une corne de bélier en souvenir du bélier d’Itzhak [Roch Hachana 16a].

Avraham notre père partit pour sacrifier Itzhak. Un célèbre penseur des nations écrivit : “Il y a des gens qui aiment faire des voyages à travers le monde, un en Chine, deux en Inde… Moi j’aurais préféré faire le voyage avec Avraham pendant trois jours sur le chemin du sacrifice, accompagner ce grand personnage qui marchait paisiblement, et comprendre un peu la tempête qui se déroulait dans son cœur et dans sa tête. Ce voyage-là aurait été plus intéressant” [Sören Kirkegaard], et il avait raison.

Et il aurait été tout aussi intéressant de savoir ce qui se passait chez Itzhak notre père au même moment. Qu’est-ce qui se joua dans son cœur ? Qu’est-ce qui s’y brisa ? Peut-être ne fut-il pas brisé ? Peut-être s’éleva-t-il ? Peut-être renonça-t-il à tout et pour cette raison reçut-il tout ?

Itzhak marche vers le sacrifice : “Comme c’est dommage, je suis si jeune ! J’aurais pu me marier et avoir des enfants, une femme agréable, une demeure agréable, une jolie vaisselle. Je continuerais l’œuvre de mon père Avraham, je parcourrais toute la Terre d’Israël en y évoquant le Nom de l’Éternel, je rapprocherais de Lui les hommes, ma femme ferait la même chose pour les femmes, nous fonderions des communautés de croyants qui font le bien, et à partir de nous pousserait un grand peuple qui diffuserait le Nom de l’Éternel dans le monde entier. Mais le Maître du monde a ordonné : ‘Tu ne feras pas tout cela, tu vas mourir !’ – Mais pourquoi ? Pourquoi ? Ne suis-je pas capable de faire tant de bonnes choses ?”“À présent, finies toutes ces choses-là, dit le Maître du monde, est-tu d’accord pour être sacrifié ou non ?!”“Je suis d’accord”. Après qu’il eut donné son accord, cela ne changeait rien qu’il soit sacrifié sur l’autel ou non : il y était prêt, cela suffisait.

Dans le même ordre d’idées, on raconte l’histoire d’un pécheur qui vint voir le Ari zal et lui demanda de lui arranger une techouva pour les graves fautes qu’il avait commises. Le Ari lui dit : “Tes fautes sont trop graves, elles ne peuvent être expiées que par ‘seréfa’ [mise à mort par ingestion de plomb fondu]”. L’homme fut effrayé : “N’est-ce pas possible avec moins que cela ?” – Il lui répondit : “Est-ce que tu veux te purifier ou non ? Si oui, telle est la réparation. Rentre chez toi et réfléchis”. L’homme s’en alla, et il revint : “Je suis prêt”. On prépara le métal incandescent, pour verser dans sa bouche selon le protocole de la seréfa. L’homme confessa ses fautes et il se repentit, on l’attacha sur une chaise et on lui banda les yeux. Alors le Ari versa une cuillère de miel dans sa bouche et lui dit : “Rentre chez toi en paix, ta faute est expiée” [Divré Yossef p. 205]. L’homme était prêt à être brûlé, et c’était cela l’essentiel.

Rabbi Yéhouda ha’Hassid, à l’époque des persécutions, révéla à un Juif dans un rêve : “Celui qui a décidé qu’il est prêt à être tué en ‘kiddouch Hachem’ [pour la sanctification du nom divin], même s’il n’est pas mis à mort, est considéré comme s’il avait vraiment donné sa vie, car il y est prêt dans son âme” [Séfer ‘Hassidim #222, p.201 dans l’édition du Mossad Harav Kook].

L’Itzhak d’après la ligature n’était plus l’Itzhak d’avant. C’était un autre Itzhak, qui avait ‘passé’ la ligature. Il était passé par le ‘Monde de la Ligature’, un monde où tout est ligaturé, attaché, réuni, absorbé et annulé dans le Saint-Béni-Soit-Il. Notre monde à nous n’est pas ainsi, c’est un monde plein de désordres, d’anarchie, de confusion, de méchanceté et de bêtise, un monde où les gens osent dire “Non” au Maître du monde, alors que dans le ‘Monde de la Ligature’, les gens Lui disent : “Oui, me voici !”.

Itzhak est passé par le ‘Monde de la Ligature’. Il l’a parcouru pendant quelques heures, pendant quelques jours. À Roch Hachana, nous commémorons la ligature d’Itzhak, car le ‘Monde de l’Écoute’ de Roch Hachanah et le ‘Monde de la Ligature’ d’Itzhak le ligaturé ne font qu’un : c’est le monde du don de soi, de la passivité, de l’annulation de l’existant. C’est un monde où l’homme écoute et écoute encore, où il se remplit des sons qu’il entend et n’a plus rien d’autre en lui.

De même qu’Itzhak parcourut le ‘Monde de la Ligature’, l’autre monde, et en revint complètement changé, nous aussi, en écoutant la voix du chofar, nous parcourons l’autre monde, et nous en revenons purifiés.