le Baccalauréat et ses magouilles autorisées en Macronie

Témoignage

Bac : «Mon jury n’a pas siégé, et pourtant surprise : les résultats étaient affichés. Qui a validé ?»

Par Marie Piquemal
Vendredi, devant le lycée Pierre-Gilles de Gennes dans le XIIIe arrondissement de Paris.
Vendredi, devant le lycée Pierre-Gilles de Gennes dans le XIIIe arrondissement de Paris.

Céline Vaguer, présidente de jury du bac à Montauban et universitaire, avait besoin de témoigner de la façon dont les choses se sont déroulées. Par honnêteté envers les élèves et elle-même

«Vendredi à la mi-journée, les résultats du bac ont été partout affichés», se félicitait le ministère de l’Education. Oui, mais à quel prix ? Voici le témoignage Céline Vaguer,  présidente de jury du bac à Montauban et maitre de conférences à l’université Jean-Jaurès de Toulouse. En tant qu’universitaire, elle a pour mission de présider un jury de bac : entourée de professeurs de secondaire, elle est chargé de vérifier chaque note pour éviter les erreurs de saisie, rouvrir le dossier de l’élève et si besoin statuer sur des demi-points supplémentaires. Et surtout, apposer sa signature, comme pour un tampon officiel validant le diplôme. Sauf que cette année, rien ne s’est passé comme prévu. Elle témoigne pour Libération :

«Je suis amère. Comment ne pas l’être. Après discussion entre les membres du jury, nous avons décidé collectivement de ne pas délibérer, les règles de procédure de base n’étant pas garanties. Mais ce vendredi matin, surprise : les résultats des élèves étaient affichés. Qui a validé les relevés de notes ? Comment ? En se basant sur quoi ? Des notes ont-elles été modifiées pour permettre à certains élèves d’aller aux oraux, d’avoir une mention ? Lesquelles ? Nous sommes au-delà de la légalité, il est question de valeurs. D’égalité, mais aussi d’honnêteté et de transparence pour les candidats : deux lycéennes m’expliquaient avoir des «notes provisoires» – je préfère dire «notes factices»… sans qu’il soit précisé dans quelle matière. Comment peuvent-elles s’organiser pour leurs oraux de rattrapage lundi ? Un doute subsiste : avec les notes réelles, peut-être auraient-elles eu le bac aujourd’hui.

Pour le ministère, il fallait afficher des résultats ce vendredi à tout prix. Mais pourquoi ? On aurait pu décaler la publication à lundi (on l’a bien fait pour le brevet et la canicule), les professeurs auraient rendu les copies manquantes. Je suis consternée. J’avais besoin de le dire publiquement. De signifier que, non, je n’ai pas participé à cette mascarade. D’abord, pour les élèves : qu’ils sachent que je n’ai rien validé en tant que présidente. Et pour moi aussi, pour être en accord avec mes valeurs, quoi qu’il m’en coûte. En tant que présidente de jury, j’engage ma responsabilité morale, mon éthique. Ce n’est pas un acte anodin. C’est un rôle important qui donne au bac toute sa valeur. En se comportant de la sorte, le gouvernement le dévalorise et lui fait perdre sa dimension de diplôme national.»

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Résultats du bac :
«Après coup, je me suis dit : ce n’est pas vrai, on n’a pas fait ça»

Par Marie Piquemal
Les résultat du Bac affichés au Lycée Périer dans le 8e arrondissement de Marseille. Photo Patrick Gherdoussi pour Libération

Un chef d’établissement dans l’académie de Créteil raconte son état de stress, jeudi, et cette prise de conscience, «après coup», d’avoir obéi à un ordre peut-être illégal.

Un proviseur, en poste dans l’académie de Créteil, raconte à Libération sa folle journée de jeudi pour être en mesure de publier les résultats du bac ce vendredi. Tenu au devoir de réserve, il s’exprime sous anonymat… et s’interroge.

«Depuis le premier jour des épreuves, je suis dans un état d’hyperstress. Mon travail, c’est de tout faire pour que mon établissement fonctionne. De rassurer les élèves, leurs parents. Je dois tout faire pour que ça tourne, quoi que je puisse penser de la réforme et des revendications des professeurs.

«Cet état de stress a atteint son paroxysme jeudi. La situation était extrêmement compliquée. On a appris par la presse que le ministre nous demandait d’utiliser la moyenne de l’année pour les copies sans note. Dans mon lycée, j’avais quatre jurys, tous ont accepté de délibérer dans ces conditions, c’était déjà ça… Mais encore fallait-il qu’ils aient les notes du contrôle continu ! Or une partie des professeurs grévistes n’avaient pas rempli les livrets scolaires… On s’est retrouvé à devoir appeler un à un les lycées d’où venaient les candidats pour récupérer les bulletins des trois trimestres et calculer les moyennes. Je vous laisse imaginer le travail… D’autant que ce n’était pas limité à un ou deux élèves ! En réalité, le problème concernait beaucoup plus que les seules copies manquantes. C’est un peu technique : sur chaque bordereau figurent les notes de plusieurs correcteurs. Si l’un d’eux est gréviste, c’est tout le paquet correspondant au bordereau qui se retrouve sans note.

«J’ai donc passé ma journée à chercher des notes. Je ne sais pas comment, mais on a réussi. Dans mon lycée, les jurys ont pu délibérer. J’ai tout donné, sans réfléchir. « Sans réfléchir », c’est vraiment ça. Ce n’est que le soir, en rentrant chez moi que j’ai commencé à réaliser ce que je venais de faire. Depuis, je me refais le film de la journée, je prends conscience. On est face à un réel problème démocratique : un ministre, sans aucune concertation, a décidé seul de changer les règles. En tant que fonctionnaire, je dois obéir aux ordres, sauf quand l’ordre est manifestement illégal. Or la question se pose : changer le fonctionnement du bac en cours de route, et appliquer des règles différentes selon les élèves… Est-ce légal ?

«Il était 19h30 quand j’ai réalisé. Je me dis : « Ce n’est pas possible. On n’a pas fait ça. » Et en fait, si, on l’a fait. J’étais tellement dans l’action, tellement sous pression. Elle venait de partout : des inspecteurs, des familles, des médias aussi, qui voulaient savoir comment cela se passait dans les lycées… J’ai agi et je n’ai réfléchi qu’après, que maintenant. Je ne sais même pas si tous les autres proviseurs ont eu cette prise de conscience à l’heure qu’il est.

«Je n’ai pas fait n’importe quoi mais pas loin. Le rectorat vient de m’appeler ce vendredi matin, en me demandant d’urgence la liste des candidats recalés qui ont des notes provisoires. Ils peuvent très bien avoir en réalité leur bac la semaine prochaine quand on connaîtra les notes d’examens… Sauf que se pose le problème de Parcoursup : il faut éviter qu’ils soient radiés trop vite ! Cette liste urgente, je ne l’ai pas, c’est un énorme travail. Je ne sais pas comment faire. On va craquer.»

Marie Piquemal