Des taux de plomb 400 à 700 fois supérieurs à la limite autorisée ont été détectés à l’intérieur et aux alentours de la cathédrale Notre-Dame de Paris suite à l’incendie survenu au niveau de la toiture le 15 avril. Des chiffres volontairement passés sous silence selon Médiapart, qui a révélé l’information. «Cette pollution est abyssale, il y aura des victimes», déclare à Libération Annie Thébaud-Mony, chercheuse à l’Inserm et spécialiste de la santé publique.

Il y a deux mois et demi, la toiture et la flèche de Notre-Dame partaient en fumée, libérant les 400 tonnes de plomb qui les couvraient. Les ponts, squares et rues alentour ont ainsi été touchés par des taux bien supérieurs au seuil habituel. Selon les informations de Médiapart, le taux de concentration de ce métal lourd toxique a pu être relevé par plusieurs laboratoires, dont celui de la préfecture de police de Paris. Comme le signal l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), «une exposition régulière au plomb peut entraîner des conséquences graves pour la santé». Cette substance peut conduire à des encéphalopathies ou des neuropathies allant jusqu’au décès. Car si les flammes n’ont pas fait de victime, un cas de contamination au plomb a déjà été identifié. Il s’agit d’un enfant présentant un taux supérieur au seuil réglementaire. L’agence régionale a déclenché une «enquête environnementale» pour identifier les causes de cette imprégnation. Cette pollution invisible «ne touche pas que les enfants et les femmes enceintes», affirme la chercheuse de l’Inserm, avant d’ajouter : «sans parler des cancers qui vont se déclencher dans trente ans».

«Naufrage»

Bien que les autorités connaissent les risques, il a fallu attendre deux semaines après l’incendie, soit le 27 avril, pour que la préfecture de police et l’ARS invitent les habitants du quartier à nettoyer leurs habitations avec des lingettes humides et à consulter leur médecin si nécessaire. Des précautions tardives, sans qu’aucune mesure légale pour protéger les riverains et les salariés n’ait été mise en œuvre. Médiapart révèle que le 6 mai, une réunion a été organisée avec les responsables du laboratoire central de la préfecture de police, de la mairie de Paris, du centre antipoison, de la caisse régionale d’assurance maladie et de la direction du travail. Réunion à l’issue de laquelle les participants ont décidé de ne pas dévoiler les chiffres.

Volonté de ne pas alarmer ses propres agents afin d’éviter un effet de panique ? Probablement. Face à cette discrétion, trois associations, celle des familles de victimes de saturnisme, Robin des Bois, et Henri-Pézerat, envisagent de saisir la justice afin d’obtenir les résultats des prélèvements. «On va le faire car on estime que c’est vraiment un naufrage», assure Jacky Bonnemains, président de Robin des Bois. Face au mutisme des instances concernées, ces associations ont multiplié les courriers auprès des ministères de la Santé et de la Culture, mais aussi de l’Agence régionale de la santé et de la préfecture de police de Paris. «On n’a obtenu aucune réponse de leur part. On n’a eu que des infos disparates, fragmentaires sur un taux anormal de plomb ici, et des poussières ailleurs», poursuit Jacky Bonnemains. Un manque de communication qui inquiète également les associations de riverains, qui n’ont d’autre choix que de se tourner vers la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada).

Eaux contaminées à l’égout

Soucieux de la suite des opérations de nettoyage et de décontamination, tous se demandent également ce que deviennent les déchets de poussière récoltés. Contactée par Libération, l’entreprise chargée du nettoyage n’a pas donné suite. Le président de l’association de défense de l’environnement évoque lui aussi le manque de transparence sur la destination des déchets. Un constat partagé par la chercheuse de l’Inserm, qui s’est rendue récemment sur le site de Notre-Dame. «A la sortie du chantier, j’ai vu les travailleurs arroser les pneus des voitures. Ils n’étaient pas équipés, ne portaient pas de protection ni de masque. Quand je leur ai demandé ce qu’ils faisaient, ils m’ont répondu qu’ils arrosaient à cause du plomb.» Et lorsque la spécialiste de la santé publique s’interroge sur le parcours de cette eau contaminée, le salarié lui désigne le caniveau. «Cette eau chargée en plomb finit dans les égouts», se désole Annie Thébaut-Mony. Si la scientifique a pu entrer en contact avec certains salariés aux abords du site, la plupart d’entre eux préfèrent garder le silence. Selon elle, «ils ont pour consigne de ne pas parler aux riverains». La loi du silence semble donc régner, même parmi les plus exposés au danger.

Marine Caturla