CPI : quand la presse française évoque les eaux troubles

CIV:L’OMBRE DES DOUTES SUR LE PROCÈS GBAGBO

pris sur l’hebdomadaire Marianne du 9 février 2018
Qu’elle est longue à rendre, la justice, à la cour pénale (CPI) de la Haye…
Le 19 janvier dernier, deux ans après son ouverture- et plus de six ans après l’incarcération de l’intéressé -, la première étape du procès de Laurent Gbagbo s’est achevée avec l’audition du 82e et dernier témoin de l’accusation.
Présentée comme un rendez-vous majeur pour une institution chargée de faire triompher le droit sur tous les continents, la procédure engagée contre l’ancien président de la Côte d’Ivoire doit établir sa volonté de << conserver le pouvoir par tous les moyens, y compris par l’emploi de la force contre les civils>> lors de la crise post-electorale de 2010-2011 au terme de laquelle son adversaire, Alassane Ouattara prit le pouvoir.

Les charges retenues contre Laurent Gbagbo et censée prouver son implication dans les crimes contre l’humanité, portent sur quatre événements précis:

la répression d’une manifestation <<pacifiste>>, le 16 décembre 2010 devant les locaux de la télévision publique ivoirienne,
celle d’une marche de femmes pro Ouattara, le 3 Mars 2011, dans le quartier d’Abobo,
le bombardement d’un marché, le 17 mars 2011
et enfin des violences commises unilatéralement par les partisans de Gbagbo dans leur fief de Yopougon le 12 Avril 2011, au lendemain de son arrestation par les forces rebelles avec l’appui décisif de l’armée française.

Avant même le début du procès, les juges de la CPI avaient demandé à la procureur, la gambienne Fatou Bensouda, de revoir basée sur un accumulation de simples coupures de presse, des rapports d’ONG et des affirmations trop vagues et imprécises. Loin de les étayer, l’interminable audition des témoins de l’accusation a souvent mis en évidence la faiblesse des charges pesant sur les président déchu alors que la légitimité même de la procédure intentée contre lui par la CPI fait débat.
Ainsi, au mois d’octobre dernier, se fondant sur 40000 documents confidentiels recueillis par leurs soins, neuf médias regroupés dans l’European Investigative Collaboration (EIC) dénonçaient une initiative prise en dehors de tout cadre procédural et <<au bénéfice exclusif d’une partie, à savoir l’actuel président ivoirien, Alassane Ouattara>>. En contradiction totale avec la neutralité politique que revendique la CPI.
L’EIC publiait ainsi le contenu d’un courriel électronique du 12 Avril 2011, révélant l’existence d’échanges entre Luis Moreno Ocampo, première procureur de la CPI, une diplomatie française a l’ONU après avoir été conseillée spéciale à la Haye et Alassane Ouattara lui-même. Ce dernier écrit Ocampo, ne doit pas relâcher Gbagbo le temps qu’un pays de la sous région accepte de renvoyer l’affaire devant la CPI. Tous ont en effet un sérieux problème: Il n’y a pas à l’époque de base légale permettant d’engager des démarches judiciaires contre Gbagbo, la Côte d’Ivoire n’ayant pas formellement ratifié le statut de Rome qui préside à l’adhésion d’un État à la CPI.
Dans un autre mail que Marianne a pu consulter, et daté cette fois du 7 Mars 2011- un mois avant l’arrestation de Gbagbo – la même diplomate en poste évoque la fragilité de l’entreprise car << les lettres d’acceptation envoyées par la Côte d’Ivoire à la cour n’équivalent donc pas une saisine directe de la cour>>.
En réalité, après que Gbagbo eut demandé une étude juridique de la question, le 17 octobre 2003, le conseil constitutionnel ivoirien a pris une décision (CCN°002/CC/SG) stipulant que <<le statut de Rome de la cour pénale internationale est non conforme à la Constitution [ivoirienne] du 1er Août 2000>>.

PARFUM DE FRANÇAFRIQUE

Cet imbroglio juridique fort embarrassant, personne ne l’ignore dans les milieux diplomatiques français qui, en collaboration étroite avec Ocampo, ont pourtant visiblement déjà tranché le sort de Gbagbo. À preuve, un mail daté du 6 Avril 2011 et adressé par Gérard Araud, alors représentant permanent de la France a l’ONU, à plusieurs membres du Quai d’Orsay dont le patron de la direction Afrique: <<la saisine se heurte aux résistance les plus vives, non seulement de la part des membres du CSNU (conseil de sécurité des nations unies qui ne sont pas partie au statut de Rome- en particulier l’Indien- hystérique sur le sujet- mais de ceux qui ne veulent pas que ce recours rende difficile d’éventuels accords pour mettre un terme aux combats>>.
Ce même 6 Avril, dans un autres mail que Marianne s’est également procuré, la diplomatie en poste à l’ONU enfonce le clou:<< Et la piste d’un renvoi de la situation CDI à la CPI par le Sénégal, le Burkina Faso, le Nigeria/Cedeao ou au moins la menace d’un renvoi? Ce sont tous les États partis à la CPI et à ce titre ils peuvent saisir individuellement, je crois comprendre que le bureau du procureur en discutait encore aujourd’hui avec Blaise Compaore>>
Rappelons que ce dernier grand ami d’Alassane Ouattara et président du Burkina Faso de 1987 jusqu’au soulèvement populaire est aujourd’hui réfugié en Côte d’Ivoire et en a obtenu la nationalité. Il fait toujours l’objet de poursuites et reste soupçonné pour son rôle supposé dans l’assassinat de son prédécesseur Thomas Sankara. Qu’on songe à lui pour faciliter le transfert de Gbagbo à la CPI conforte les partisans du président déchu dans leur conviction que toute l’opération dégage un fort parfum de Françafrique...
À l’époque, les diplomates français savent que des massacres,<<sur une base ethnique>> impliquent les deux camps. <<Pas seulement les massacres des gens du Nord par les milices de Gbagbo, mais aussi les massacres des Bétés par les FRCI [ les rebelles pro Ouattara] >> indique l’un d’entre eux à ses collègues, toujours le 6 avril 2011, à l’issue d’une réunion à la direction Afrique. Avant d’ajouter << Je suis conscient qu’il n’est pas bienvenu de renvoyer les partis dos à dos…>>
Sept ans plus tard, seul effectivement Laurent Gbagbo fait face aux juges de la CPI.

Ceux ci ont pourtant bien failli le relâcher après son incarcération du moins si l’ont en crois un mail que la diplomatie française de l’ONU adresse à Luis Moreno, le 23 Mai 2013, qui a pourtant quitté l’institution en 2012, cédant son poste à sa plus proche collaboratrice, Fatou Bensouda. Gbagbo, indique-t-elle en substance à son interlocuteur qui tombe des nues (<<Oh non!>>) le 28 mai… Comment peut-elle le savoir, sinon grâce à une fuite interne qui entache un peu plus l’image de l’institution?

Au bout du compte, Gbagbo ne sera pas libéré, mais les juges de la chambre préliminaire chargés d’examiner les charges contre lui étaient clairement divisés. La juge belge Christine Van Den Wyngaert, en particulier ne croyait pas le dossier suffisamment solide pour aller au procès. Et le fera savoir de manière très détaillée un an plus tard en Juin 2014.

Pour l’heure, le procès est suspendu et nul ne sait quand il reprendra et si les avocats de Laurent Gbagbo renonceront à l’audition de leurs propres témoins pour en hâter le dénouement. Comme ce fut plusieurs fois le cas, la rumeurs d’une libération conditionnelle du prévenu agite les couloirs de la CPI…
Transcription par Fier Ivoirien.