Ado et Konan Bédié, la guerre fratricide

Laurent Gbagbo avait promis le clash. Et nous voici revenus aux belles et terribles heures de la rivalité fratricide entre deux ennemis intimes et jurés: ADO, pour Alassane Dramane Ouattara et HKB, pour Henri Konan Bédié.
La croûte du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, coalition politique) avait seulement maquillé, sans neutraliser la plaie incurable de l’inimitié séculaire entre ces deux héritiers du président Félix Houphouët-Boigny.

L’image contient peut-être : 3 personnes, personnes debout et costume

La guerre, à l’origine de l’instabilité chronique de la Côte d’Ivoire et qui a été attribuée pour les besoins de la cause à un concept aujourd’hui blacklisté, l’Ivoirité, a bel et bien commencé du temps du premier président ivoirien.
Du vivant de Nanan, ADO, alors Premier ministre avec les pleins pouvoirs, et HKB, président de l’Assemblée nationale et dauphin constitutionnel, ont croisé le fer notamment sur le programme de privatisation que les députés ivoiriens ont fustigé, car livrant le pays à des monopoles susceptibles de diktat politico-économique.
D’abord à fleuret moucheté, cette rivalité est devenue ouverte à la mort, le 7 décembre 1993, de Félix Houphouët-Boigny. De duettistes apparents, ADO et HKB deviennent des duellistes.

Après l’échec du coup de force du chef du Gouvernement pour court-circuiter le dauphin constitutionnel, le PDCI-RDA éclate, sous la poussée du mentor ADO, avec la naissance du RDR en 1994.
Réponse du berger à la bergère, l’État se dote la même année du Code électoral baptisé Bombet (du nom du ministre de l’Intérieur Émile Constant Bombet) qui durcit les critères d’éligibilité à la présidence de la République et brise, selon ADO lui-même, ses ambitions présidentielles.
Cerise sur le gâteau dans une ambiance politique électrique et presque insurrectionnelle, l’État lance, en novembre 1999, un mandat international contre ADO qui accusait HKB de lui barrer la route parce qu’il est musulman et du Nord du pays.
Ce mandat ne sera jamais exécuté: Bédié est renversé le 24 décembre 1999, par un coup d’État. Le sort va rapprocher les deux adversaires dans leur traversée du désert: leur candidature à la présidentielle d’octobre 2000 a été invalidée et Laurent Gbagbo a triomphé du général Guéi Robert, chef de la junte militaire.

Et comme l’occasion fait le larron, HKB et ADO vont porter sur les fonts baptismaux le RHDP, en mai 2005 à Paris, pour vaincre le régime de Gbagbo. Bédié va même donner un nom de baptême baoulé (son groupe ethnique) à Ouattara pour le faire adouber par sa communauté: Allah N’San ou N’Guessan. Qu’il va soutenir durant la guerre post-électorale en rejoignant la « République du Golf » en décembre 2010.
« La polique est l’art de l’impossible », se vantait Bédié pour saluer leurs retrouvailles. C’était la lune de miel avec le troisième pont d’Abidjan au nom de HKB et l’appel de Daoukro lancé par Bédié pour la candidature unique d’ADO à la présidentielle d’octobre 2015 pour sa réélection au nom et pour le compte du RHDP.

La réalité des antagonismes a rattrapé la fiction politique. ADO et HKB, unis par l’aversion pour Gbagbo mais opposés par des contentieux insolubles, ont déterré la hache de guerre. Si le premier, monarque républicain et autocrate, refuse la contradiction, le second, après avoir avalé nombre de couleuvres, ne veut plus s’en laisser conter.
Dans l’opposition au pouvoir, Bédié chante désormais à l’unisson avec les partis comme le FPI. Aussi, expose-t-il le PDCI-RDA, menacé d’implosion orchestrée, aux représailles et aux règlements de compte.

Si le régime en place n’est pas parvenu, malgré de nombreuses manoeuvres, à avoir raison du FPI, c’est l’ex-parti unique qu’il pourrait vider de sa substance: ce sont les dissidents conduits par le ministre Kobenan K. Adjoumani qui sont dans les bonnes grâces du pouvoir et qui occupent partout ou presque les sièges du parti; la justice ivoirienne, devenue bras séculier, a non seulement réintégré un militant sanctionné mais annulé les décisions de juin 2018 du Bureau politique; la CEI crée, à dessein et sur instruction, la confusion en acceptant que des candidats-dissidents non parrainés par le PDCI-RDA arborent les logos de ce parti; les activités du Sénat boiteux conduit par le bédiéiste Jeannot Ahoussou Kouadio sont suspendues et transférées à l’Assemblée nationale, etc.

À la guerre comme à la guerre. Avec des méthodes brutales et des moyens déloyaux.
F. M. Bally
Bally Ferro