La presse définitivement aux ordres

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la loi contrela presse libre a été votée… Le journaliste Bally Ferro nous la décrypte.

Black Out sur la rébellion armée
L’article 99 du projet de loi sur le régime juridique de la presse, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, impose le Black Out total sur les événements vieux d’au moins dix ans, dont la rébellion armée de septembre 2002 et bientôt la crise post-électorale de décembre 2010 à avril 2011.
Sous peine de lourdes amendes pécuniaires, la loi conseille l’amnésie générale et totale sur ces faits par voie de presse.

Projet de loi portant régime juridique
Pitoyable, la presse ivoirienne

Le projet de la nouvelle loi portant régime juridique de la presse et de l’audiovisuel en Côte d’Ivoire a été adopté, le vendredi 05 mai 2017, par la Commission des Affaires sociales et culturelles. Elle pourrait passer, comme lettre à la poste, en séance plénière. Elle réintroduit non seulement les peines d’emprisonnement, mais de lourdes amendes pécuniaires pour les délits de presse.

Face à ce véritable recul de l’exercice de la profession par rapport à la loi n° 2004-643 du 14 décembre 2004, qui dépénalise les délits de presse, la presse ivoirienne fait figure d’espèce rarissime sinon unique. En ordre dispersé, elle ne parle pas d’une voix, défendant des intérêts qui ne sont pas les siens.
Certains organes de presse applaudissent des deux mains. Proches du pouvoir, ils n’entendent point se désolidariser. Ou ils souffrent de masochisme, ou alors ils n’ont pas de mémoire d’éléphant car cette loi peut faire boomerang et servir de gourdin pour les abattre demain.

Un seul exemple pour rafraîchir la mémoire des aveugles du moment. Quand Laurent Gbagbo, son épouse et de nombreux «démocrates», – c’était l’expression à la mode pour désigner les militants de l’Opposition -, ont été arrêtés à l’issue de la marche de protestation du 18 février 1992 marquée par des scènes de violence, le Gouvernement du Premier ministre Alassane Dramane Ouattara a aussitôt pris une Ordonnance devenue la loi n° 92-464 du 30 juillet 1992 portant répression de certaines formes de violences, dite «loi anti casseur».
Cette loi punit de peines d’emprisonnement les instigateurs et organisateurs de rassemblements ayant donné lieu à des destructions de biens meubles et immeubles et à des violences et autres voies de fait sur les personnes. Elle a donc servi à condamner les leaders de l’Opposition mais elle finira par se retourner contre ses initiateurs.

Depuis 1994, le courant politique La Rénovation du PDCI-RDA est sorti des entrailles de l’ex-parti unique, pour devenir un parti politique baptisé le RDR. Le 1er août 1999, il a porté à sa tête l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara. Lors de sa marche, le 27 octobre 1999, pour protester, disait le RDR, contre la mainmise de l’Etat sur les médias d’Etat et le prétendu arbitraire de l’Etat, des casses et des agressions physiques ont été perpétrées.

En considération de ce qui précède, la plupart des dirigeants du RDR ont été interpellés puis jugés, en application de la «loi anti casseur». Le Tribunal correctionnel d’Abidjan, en son audience publique du vendredi 12 novembre 1999 a, entre autres, condamné à 24 mois d’emprisonnement certains dirigeants du RDR dont la Secrétaire générale Mme Dagri Henriette, épouse Diabaté.
D’autres organes de presse, majoritairement proches des partis dans l’Opposition et soutenus par les organisations de la profession, dont l’UNJCI et l’OJPCI, sont en ordre de bataille pour espérer faire échec à ce projet de loi. Ou ils sont aujourd’hui des Gros-Jean ou ils sont les dindons de la farce politique.

La plupart ont fait chorus avec l’Opposition dite radicale pour combattre la participation aux législatives du 18 décembre 1996. L’Assemblée nationale ne compte que trois élus de l’Opposition FPI-tendance Pascal Affi N’Guessan sur 255 députés, soit 1.17%. Même si quelques isolés représentants indépendants de la nation, qui sont en réalité des Jeunes turcs de la coalition au Pouvoir, partagent le combat de ces derniers, leur voix est inaudible dans ce Parlement monolithique et… monocolore.

De plus, l’Opposition à laquelle ces organes de presse sont adossés ne se sent même pas concernée par leur lutte. Après sa sortie plutôt réussie à Akouré, le 30 avril 2017, pour célébrer la fête de la Liberté, le FPI-tendance Abou Drahamane Sangaré, qui conduit une coalition politique baptisée Ensemble pour la démocratie et la souveraineté ou EDS, ne se mobilise même pas, comme en 1990, pour soutenir la presse ivoirienne et s’opposer à cette loi rétrograde et liberticide. Sans compter que l’opinion publique nationale et les organisations de défense des Droits de l’Homme, absentes du débat, regardent ailleurs.

Les journalistes ivoiriens, dans leur ensemble, doivent bien réaliser que soit, ils sont des papiers mouchoirs dont les leaders politiques se servent avant de se débarrasser, sans état d’âme, soit ils constituent la dernière roue de la charrette. Et ils ont le traitement qu’ils méritent, l’indifférence totale et le mépris souverain.
FERRO M. Bally

réaction d’un journaliste aux propos de son collègue Bally Ferro

 Ferro, tu as véritablement bien posé le problème de notre corporation. Voilà une loi qui n’est ni plus ni moins qu’un vrai recul de la liberté de la presse en CI. Et que font les acteurs de ce secteur, y compris nos organisations professionnelles du milieu? Des actions épistolaires, pour ne pas dire des gesticulations puériles, sans lendemain. Pourtant, l’heure est grave! Il ne faut rester dans les demi-mesures.
Qu’est-ce qui empêche la faîtière principale, l’UNJCI, d’organiser rapidement une AG extraordinaire pour en décliner les actions concertées à mener pour le retrait pur et simple de cette loi? Au lieu d’aller à l’A.N pour faire du folklore pourquoi ne pas envisager l’organisation d’une AG extraordinaire pour recueillir les propositions des mandants? Cela pourrait éventuellement aller jusqu’à la suspension des activités de la presse ( une journée presse morte) par exemple pour alerter l’opinion nationale et internationale sur cet assassinat en direct des acquis du printemps de la presse en CI?
Mais comme on le dit, chaque peuple mérite ses dirigeants et les journalistes ivoiriens ont bien mérité les leurs.
Raymond-François Ncho

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