«UN SCRUTIN NON INCLUSIF ET BOYCOTTÉ QUI LAISSE UN PAYS FRACTURÉ » (Rapport des observateurs)

2 novembre 2020

Rapport des observateurs du MIOE et du Centre Carter relative à la présidentielle ivoirienne du samedi 31 octobre 2020 en Côte d’Ivoire.


INTRODUCTION


Cette déclaration de la Mission internationale d’observation électorale (MIOE) conjointe de l’Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique (EISA) et du Centre Carter (TCC) est préliminaire et couvre tous les aspects du processus électoral, jusqu’au 2 novembre 2020, alors que le processus électoral suit toujours son cours. Des phases essentielles restent à accomplir, notamment l’annonce des résultats préliminaires par la Commission électorale indépendante (CEI) et le traitement du contentieux éventuel avant la proclamation des résultats définitifs par le Conseil constitutionnel (CC). La MIOE n’est en mesure que de s’exprimer sur ses observations faites jusqu’à ce stade du processus.
Elle publiera ultérieurement un rapport final comprenant une analyse complète du processus et des recommandations pour améliorer les processus électoraux futurs. La MIOE pourra également faire des déclarations ou des communiqués ultérieurs sur l’avancement du processus en cours si elle le juge opportun.


RÉSUMÉ


  • Le processus électoral a exclu un grand nombre de forces politiques ivoiriennes et a été boycotté par une partie de la population dans un environnement sécuritaire volatile. Plusieurs candidats n’ont pas participé à l’élection et une part importante de la population n’a pas participé à ce scrutin. Les appels de l’opposition à la désobéissance civile et les actes de violence qui ont suivi ont également impacté le scrutin. Ces problèmes menacent l’acceptation des résultats par la population et la cohésion du pays.
  • La décision du Président sortant, Alassane Ouattara, de briguer un troisième mandat, après s’être engagé à ne pas être candidat à sa propre succession, a suscité une forte crispation au sein de la classe politique et de la population.
  • La validation de sa candidature, par le Conseil constitutionnel, a été contestée et à juste titre, les motivations de cette décision ne s’appuyant sur aucun fondement juridique clair ou justifié en points de droit. Cette orientation préoccupante fait écho à une tendance observée sur le continent africain, de changer ou amender la Constitution pour permettre à des Présidents en exercice de briguer un troisième mandat.
  • Sur 44 candidatures déposées, 40 ont été rejetées, sans que les prétendants n’aient accès à un recours effectif, le rejet de leurs dossiers leur ayant été signifié en dernier ressort.
  • Sur quatre candidatures acceptées, seuls Alassane Ouattara et Kouadio Konan Bertin ont mené campagne, les deux candidats de l’opposition ayant appelé à boycotter activement le processus électoral.
  • Ces facteurs combinés ont plongé le pays dans une période de campagne électorale déséquilibrée et terne, marquée par la désobéissance civile et des violences qui ont fait plus de 30 morts et des centaines de blessés.
  • L’obligation de respecter la période de campagne officielle et l’interdiction de recourir aux biens de l’État ont été largement bafouées. Les modalités de financement des partis politiques et de la campagne électorale n’ont pu être que très partiellement appliquées et le cadre juridique ne prévoit pas de plafond des dépenses de campagne ni de contrôle.
  • La pandémie de COVID 19 et l’état d’urgence ont servi de soubassement pour modifier le Code électoral par ordonnance six mois avant le scrutin, sans consensus préalable de la classe politique ivoirienne.
  • La République de Côte d’Ivoire devrait être particulièrement sensible au respect des décisions de la justice internationale et, notamment, des récents arrêts de la Cour africaine de droits de l’homme et des peuples dont les décisions s’imposent à elle.
  • La liberté de réunion et de manifestation a été limitée par l’imposition d’une autorisation préalable soumise au pouvoir discrétionnaire de l’autorité de l’Etat. L’état d’urgence ne saurait imposer une telle limitation pendant une période électorale.
  • La composition de l’administration électorale devrait garantir une représentativité des différentes forces politiques, pour autant brouillée par des revirements politiques et un blocage persistant de l’opposition sur les modalités de proposition de ses membres, ayant entraîné leur retrait de l’institution.
  • Cette situation a conduit la Commission électorale indépendante (CEI) à fonctionner, au niveau central, avec 13 membres sur 16 et ses démembrements avec cinq des huit membres prévus par les textes.
  • Le fichier électoral de la Côte d’Ivoire a connu une révision en 2020, qui lui a permis d’accroître sensiblement le nombre d’électeurs inscrits, atteignant aujourd’hui environ 71% d’inscrits par rapport à la population cible. Cependant, le manque de transparence relative des institutions ivoiriennes, sur ce sujet, ne permet pas de garantir sa représentativité territoriale, la complétude des données ou encore l’unicité des électeurs.
  • Eu égard à la tension politique observée autour de l’état de ce fichier électoral constitué il y a 10 ans, la CEI devrait pouvoir rassurer l’ensemble des acteurs en réalisant un audit externe de cette base de données, pour garantir à toute la classe politique qu’elle répond aux standards internationaux.
  • La distribution des cartes d’électeur a souffert du boycott actif lancé par l’opposition, ne permettant la délivrance que de 41,15% des cartes en amont du scrutin. Pour autant, cette situation n’a pas impacté le scrutin, avec une mise à disposition des cartes dans les bureaux de vote et la possibilité, pour les électeurs, de voter sur présentation de leur carte nationale d’identité.
  • Face à des médias politisés, l’opposition a profité des réseaux sociaux en les utilisant comme plateformes médiatiques très influentes dans ce processus électoral.
  • Les 16 équipes d’observateurs de la MIOE ont pu observer les opérations de vote dans 17 régions du pays. Leur observation porte sur 213 bureaux de vote (BV) visités tout au long du scrutin.
  • Le taux de participation observé est mitigé et présente de fortes disparités sur le territoire national avec un taux élevé dans le nord, faible dans le centre et à l’ouest et très variable dans le sud du pays.
  • Le scrutin a été marqué par un grand nombre d’incidents et un environnement sécuritaire volatile. Ainsi, dans 6 des 17 régions observées, l’organisation du vote a été fortement impactée avec, à minima, 1 052 BV comptabilisés par nos observateurs, qui n’ont jamais pu ouvrir dans ces régions. Dans les autres régions observées, en dépit d’incidents localisés, le vote a pu globalement être organisé dans de bonnes conditions.
  • Eu égard à cette situation sécuritaire dégradée, 54% des BV seulement, ont pu ouvrir à l’heure et les opérations d’ouverture ont été évaluées positivement dans 66% des cas. En effet, les retards observés ont précipité les membres des bureaux de vote pour ouvrir les bureaux au plus vite, sans respecter tous les points de procédure.
  • Le matériel était bien disponible, dans les BV ayant ouvert, même si l’utilisation des isoloirs et des tablettes mérite d’être renforcée. Les procédures de vote, quant à elles, ont été généralement bien respectées par les membres des bureaux de vote avec, pour autant, des lacunes s’agissant de la vérification des doigts des électeurs, du contrôle biométrique prévu par la CEI et de l’affichage des listes électorales, qui n’est intervenu que dans 20% des BV.
  • La distribution des cartes d’électeurs a pu être organisée dans 89% des BV observés et s’est déroulée, conformément aux procédures et sans ingérence dans 82% des cas.
  • Des représentants des partis politiques étaient présents dans 99% des BV, essentiellement du RHDP (83%), l’opposition ayant boycotté le scrutin.

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* Certains intertitres sont de la rédaction UC-AIRD,
Unité de Communication AIRD