Un ancien commandant de la Licorne se prononce sur les mutineries

Les vérités d’un ancien général français sur la crise de l’armée ivoirienne

Le général (en retraite) Clément-Bollée. RFI/Franck Launay

C’est la première fois qu’il s’exprime depuis que la Côte d’Ivoire est secouée par des mutineries. L’ancien général français Bruno Clément-Bollée connait bien l’armée ivoirienne. De 2007 à 2008, il a commandé l’opération Licorne. Et de 2013 à 2016, il a copiloté le programme DDR des ex-combattants du nord de la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, il est à la retraite et se consacre aux sorties de crise dans plusieurs pays africains. L’officier supérieur livre son expertise au micro de Christophe Boisbouvier.

RFI : Après deux mutineries successives, chacun des 8 400 mutins ivoiriens a obtenu 10 millions de francs CFA [15 200 euros]. Ces mutins, vous les connaissez bien. Que pensez-vous de leur mouvement ?
Bruno Clément-Bollée :
– Je pense d’abord que ce sont des soldats un peu particuliers. Ce sont des soldats qui sont au sein de l’armée ivoirienne aujourd’hui et qui n’ont pas eu de formation initiale. Et pour cause, pour la plupart d’entre eux, ils ont traîné pendant des années au sein des FAFN. Je rappelle que les FAFN [Forces armées des forces nouvelles], c’était des rebelles qui ont été intégrés, mais sans aucune formation, qui n’étaient pas payés, qui se payaient un peu sur les populations qu’ils étaient censés protéger, et qui n’ont vécu finalement que de racket pendant toutes ces années. Donc vous imaginez que, sans formation initiale, l’éthique et le comportement qu’on peut attendre de ces soldats seraient très fortement à reprendre.

D’où leurs actes d’indiscipline depuis le mois de janvier 2017 et les quatre morts qu’on a déplorés lors de leur dernière mutinerie. Donc ces mutins, ils réclamaient ces derniers mois des arriérés de soldes qui remontaient à début 2009. Pourquoi cette date ? Et que leur avait promis le président Ouattara à son arrivée au pouvoir en 2011 ?
Alors il faut revenir à l’accord politique de Ouagadougou qui avait stipulé qu’un quota de 8 400 places était offert au FAFN pour reconstruire l’armée.

L’accord politique de Ouagadougou de mars 2007, concernant notamment les Forces armées des forces nouvelles (FAFN), c’est-à-dire les combattants de Guillaume Soro ?
Voilà. Les dispositions de l’accord de Ouagadougou prévoyaient notamment que l’armée devrait être reconstruite rapidement et que les soldats devaient rentrer en fonction début 2009. Il se trouve que l’armée en fait n’a pu être reconstruite qu’à l’issue de la crise postélectorale, donc à la mi-2011. Mais le président, à ce moment-là, considérait que ces soldats devaient être considérés comme soldats depuis janvier 2009. Il y avait donc un arriéré de soldes assez conséquent. Et la base des revendications, elle vient de là.

En janvier 2017, le président Alassane Ouattara a versé à chacun de ces mutins, une première enveloppe de 5 millions de francs CFA [7 600 euros] et leur a promis que le reliquat de 7 millions [10 640 euros] serait versé d’ici la fin du mois de mai. Puis il s’est ravisé d’où la nouvelle mutinerie de ce mois de mai. Et là, le président Ouattara a tenté de mettre au pas les mutins, mais cela n’a pas marché. Pourquoi ?
Vous savez, quand vous menez une négociation, vous avez en gros deux stratégies : soit la fermeté, soit céder. La fermeté, il faut bien avoir derrière soi les moyens pour mener une telle politique. En l’occurrence, il y a eu alternance de stratégie, c’est-à-dire qu’on parle d’une fermeté affichée dans les médias et au résultat, on cède tout. Ça, c’est catastrophique dans ce type de situation.

Pour mettre au pas les mutins, le président voulait s’appuyer notamment sur les forces spéciales et le Groupement de la sécurité présidentielle (GSPR). Pourquoi ces unités-là n’ont pas réussi à faire rentrer les mutins dans leur caserne ?
Je crois qu’il y a au sein de l’armée nationale ivoirienne, un problème de cohésion. D’ailleurs, il n’y a pas eu de réconciliation. Je vous rappelle en plus que ces unités sont commandées par les ex com-zone [commandants de zone], dont on connaît l’origine, ils étaient entre le grade de caporal-chef et de sergent-chef. Ces fameux com-zone, eux, vivent dans l’opulence aujourd’hui et ce n’est peut-être pas le cas de tous les ex-combattants.

Donc quand vous envoyez les com-zone négocier avec les mutins, cela ne marche pas vraiment ?
A mon sens, ça ne marche pas vraiment parce que ces com-zones sont discréditées un petit peu auprès leurs troupes et ces com-zones ont plutôt été bien récompensés. Ils sont aujourd’hui lieutenants-colonels ou colonels, cela crée des envieux.

Le 12 mai, le pouvoir a choisi la fermeté. Il a fait monter des forces spéciales à Bouaké pour réduire la mutinerie. Mais les forces spéciales n’étaient pas très nombreuses et elles ont refusé de faire feu sur leurs anciens frères d’armes. Cela vous surprend-il ou pas ?
Pas vraiment. Ces unités dont vous parlez, elles sont originaires globalement de la même région que les mutins. Donc c’est un peu des cousins pour ne pas dire des frères. Puis autrefois, ils ont combattu ensemble pour certains d’entre eux. Cela souligne une fois de plus cette fragilité, cette division au sein de l’armée telle que je vous le disais. Cela veut dire qu’en plus, elle n’est pas bien commandée. On sait pourquoi. Les responsabilités ont été confiées aux chefs du Nord qui était mal ou pas formés. Et en revanche, tous les officiers originaires du Sud ont été écartés de toute responsabilité. Or, c’est eux qui étaient bien formés et qui avaient été formés en Europe, aux États-Unis. Et là-dedans, il y a des officiers de très bonne qualité. Et quand je parle de réconciliation, ça commence peut-être là.

Divine surprise dans la soirée du 14 mai à Bouaké, au moment où ces mutins étaient sur le point de céder, ils ont découvert dans une maison, appartenant au directeur du protocole de Guillaume Soro, un véritable arsenal de guerre. Est-ce que vous pouviez imaginer quand vous étiez vous-même à Bouaké qu’il pouvait exister un tel arsenal dans une maison particulière ?
Si à la DDR, on l’avait su, on aurait fait agir les autorités pour vider de tels entrepôts.

Alors il y a les mutins et puis il y a aussi les démobilisés qui, eux aussi, réclament leur part du gâteau ?
Ces démobilisés, il faut bien se rendre compte que ce sont vraiment les frères des 8 400. Ils les connaissent très bien. Ils ont combattu ensemble. En tout cas, ils étaient ensemble dans les rangs des FAFN pendant les dix années de crise. Donc, eux ils se disent quoi ? Et non.

Vous qui connaissez bien la situation en Côte d’Ivoire, pensez-vous qu’il puisse s’agir d’une déstabilisation menée en sous-main par des hommes politiques ?
– Je crois qu’au départ, il n’y avait pas de tentative de déstabilisation, il n’y avait pas d’instrumentalisation. En revanche, les tentatives de récupération, cela est possible. C’est bien pour cela qu’il faut être vigilant parce que, maintenant que la crise est exportée de l’armée, il y a des risques de dérapage.

Le chef de tous ces anciens combattants FAFN du Nord, c’était Guillaume Soro. Aujourd’hui, il est président de l’Assemblée nationale. Et certains voient sa main derrière tout cela. Qu’en pensez-vous ?
Moi, je ne peux pas me prononcer. Je dis que ces tentatives de récupération, si tentative il y a, sont possibles. Il ne m’appartient pas de déterminer, tout simplement parce que je ne sais pas, de préciser les noms.
RFI.fr