Qui sème le vent

Quand Macron a choisi de répondre à la souffrance première des gilets-jaunes par la criminalisation morale -homophobes, racistes, xénophobes, fascistes, antisémites, misogynes, phallocrates- puis par la répression policière et militaire, il a attiré la haine sur lui et sur ceux qui, à sa demande, exercent sa politique répressive, à savoir la police, la gendarmerie, l’armée. Il n’y a pas d’autre explication à la bêtise de ceux qui invitent les policiers à se suicider: ils répondent bêtement à la haine par la haine. Invitation sotte et débile, indéfendable et inhumaine, bien entendu, mais compréhensible. On ne peut envoyer sans cesse la soldatesque au petit peuple qui dit qu’il a faim sans déclencher un jour sa haine.

Au lieu de juger avec force moraline si la violence de tel ou tel gilet-jaune c’est bien ou si c’est mal, on doit se demander comment un retraité de soixante-neuf ans peut finir par écrire sur son camion des slogans qui se réjouissent de la mort des policiers et qui invite à leur suicide en n’imaginant pas une seule seconde que sa plaque minéralogique permettra de le retrouver en un clic. Dès lors, si l’on veut comprendre, on ne peut que tomber sur cette généalogie: le bon sens populaire ne dit rien d’autre en affirmant « qui sème le vent récolte la tempête »!

Au commencement, les gilets-jaunes expriment juste une souffrance sociale, rien d’autre. Ils ne sont pas contre les taxes en soi, comme il fut dit non sans malhonnêteté, mais contre l’augmentation du carburant, une denrée indispensable quand on habite dans une zone que ne couvrent ni les trains, ni les métros, ni les tramways, ni les taxis, ni les transports en commun, des endroits dans lesquels ni le vélo, ni la trottinette, ni le roller ne permettent de se déplacer sérieusement…

Comprendre n’est pas excuser, mais expliquer d’où vient la négativité si d’aventure on se propose d’en tarir la source. Mais Macron veut-il tarir cette source? Je ne le crois pas, il a bien plutôt intérêt à créer, puis à entretenir le chaos, car le recours au chef qu’il voudrait être mais ne parvient pas à devenir, se fait plus volontiers en présence du désordre. Pour créer les conditions d’émergence d’un homme providentiel, rien de mieux qu’une situation de crise. Qui dira qu’il ne l’a pas créée par son long refus de répondre avant d’adopter la stratégie du mépris, de la haine, puis de la violence d’Etat? Pour l’heure, la chose lui réussit électoralement, il est en tête aux européennes; mais pour l’Histoire, c’est répandre la poudre en quantité phénoménale. Ensuite, il suffira d’une étincelle.

Les gilets-jaunes se trompent d’ennemis en attaquant la police et la gendarmerie. Car la sociologie d’origine de ces forces de l’ordre n’est pas enracinée dans les beaux quartiers: on y trouve personne qui a fait Henri-IV, Louis-le-Grand ou l’Ecole normale supérieure, on n’y repère aucun ancien élève de Sciences-Po, aucun énarque, aucun agrégé de lettres, de philo, d’Histoire, aucun diplômé de l’Ecole pratique de hautes études. On n’y trouve aucun hériter. Un fils d’éditeur parisien, d’éditocrate mondain, d’acteur ou de comédien germanopratin, de chanteur à la mode ne se retrouve jamais à faire du maintien de l’ordre. Même remarque avec les gardiens de prison: je parie qu’on ne trouvera chez eux aucun individu dont les parents font partie de la grande bourgeoisie française. Lire ou relire Bourdieu…

Sauf quelques cas de brutes qui jouissent de taper, il y en a ici comme ailleurs, sauf quelques hauts gradés qui, eux, peuvent être des héritiers, le représentant des forces de l’ordre qui obéit aux ordres de Macron en tapant, en éborgnant, en blessant, en mutilant, obéit d’abord et surtout aux ordres du préfet qui obéit au ministre de l’Intérieur qui obéit au Premier ministre qui obéit au président de la république qui n’obéit qu’à lui même -alors qu’il devrait obéir au peuple, il a été élu pour ça.

Le jeune homme qui nous gouverne ne sait pas même se gouverner. Or, pour bien commander autrui, il faut d’abord être le général de soi-même. Impulsif, narcissique, intolérant à la frustration, provocateur mais ne supportant pas la provocation, séducteur mais n’acceptant pas qu’on ne soit pas séduit, ce prototype d’enfant-roi avance, sûr de lui, ne se remettant jamais en cause, méprisant les petits, les sans-grades, les inutiles, les sans-dents de son ancien maître, insultant les chômeurs, les demandeurs d’emploi, les jeunes sans boulot, sans diplôme, sans appartement, et flattant les puissants pour lesquels il travaille. Il est du côté de ceux qui ont puisqu’il partage le monde entre ceux qui ont et qui sont tout et ceux qui n’ont rien et qui ne sont même pas rien puis qu’ils ne sont pas.

Ce faible qui est fort avec les faibles et faible avec les forts méprise les faibles auxquels il ressemble pourtant tellement. Mais si les gilets-jaunes sont faibles économiquement, sociologiquement, politiquement, ils sont forts par leur revendication première de dignité sans colère et sans haine, ils sont forts par leur endurance, leur longanimité, leur capacité à supporter sans broncher depuis des années qu’on se moque d’eux, qu’on les méprise, qu’on jette leur vote à la poubelle, qu’on les traite de tous les noms, qu’on les moque, qu’on les ridiculise, qu’on les tienne pour quantité négligeable.

Quand, en novembre dernier, avant que les vieilles gauches institutionnelles ne les récupèrent en commençant par les mépriser comme Macron et les siens,  les gilets-jaunes se sont contentés de dire qu’ils ne pourraient pas payer cet impôt qu’on leur infligeait non par rébellion, jacquerie ou révolte, mais tout simplement parce qu’ils n’ont plus d’argent le quinze du moins, Macron a choisi une stratégie qui paie: il a voulu la violence, il a provoqué et lancé la violence d’Etat contre les ronds-points, il a couvert les forces de police les plus joyeuses dans la répression -nommons cela le syndrome Benalla…-, il a nommé un ancien familier du milieu marseillais ministre de l’Intérieur en lui laissant les pleins pouvoirs pour incarner sa politique de la terre brûlée entre deux patins roulés en boite de nuit, un verre d’alcool à la main, pendant que son patron s’amusait en faisant du ski, les provocations n’ont pas manqué… Il se voulait Jupiter, il est tout juste Néron qui lui aussi allumait les incendies pour mieux régner. 

Car, que veut dire ce que l’on apprend grâce aux informations données par un tweet du docteur Gérald Kierzek? Ce praticien dont j’ai apprécié l’humanité et les engagements dans les coulisses de l’émission matinale d’Audrey Crespo-Mara, a constaté lors d’une garde qu’il effectuait qu’on demandait à ses services de remplir des fiches de renseignements sur les admissions des gilets-jaunes admis aux urgences de son hôpital. Noms, numéros de téléphones, sexe, âge, nationalité, adresse, description des vêtements, nature des blessures, précisions de particularités anatomiques, informations sur les conditions de l’accident –autrement dit: délation des détails de l’action militante. Ces informations remontent immédiatement aux ministères de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères. Voilà comment on constitue un fichier de police en bonne et due forme.

Que veut Macron en établissant ce fichier de basse police si ce n’est prendre date pour des entreprises de répression à venir? Comme tous les blessés ne travaillent pas sur le service public de France-Culture, il ne pourra pas les faire virer comme votre serviteur, mais qu’a-t-il derrière la tête? Si ce n’est poursuivre sa politique de répression à l’aide de ces fichages dont peu de gens estiment qu’ils procèdent purement et simplement de la délation.

En temps normal, quand il s’agit de signaler un pédophile récidiviste dans un quartier ou un cambriolage dénoncé par des Voisins Vigilants, la délation est tout de suite mise en relation avec celle des juifs sous le régime de Vichy! On ne sache pas que ce choix fait par Macron d’une politique radicale et ultra-répressive qui ne recule devant aucun moyen illégal n’ait été massivement dénoncé par la presse maastrichtienne.

Depuis plus de cinq mois, la ligne présidentielle à l’endroit des gilets-jaunes est claire: c’est celle de la violence d’Etat. Là où il pourrait l’utiliser légalement et légitimement pour le maintien de l’ordre, il l’utile illégalement et illégitimement pour la répression partisane de ceux qui s’opposent à sa politique, qui est celle d’un vassal de l’Etat maastrichtien. La constitution de ce fichier de police est le préalable d’une opération qui met ce qui reste de république et de démocratie, c’est-à-dire peu, en péril. Laquelle? On n’en sait rien, mais rien n’interdit de penser que le pire semble à venir.

Ceux des gilets-jaunes qui attaquent la police se trompent. Ce sont les imbéciles qui, quand on leur montre la lune, regardent le doigt. Ce sont des imbéciles parce qu’il n’y a pas plus complices objectifs et plus idiots utiles de Macron que ces gens-là! Le président de la République pousse perpétuellement à la faute, depuis des mois, semaine après semaine, jour après jour, il fait tout pour ça, et une poignée de crétins tombe dans tous les pièges qu’il tend.

Ceux des policiers qui se suicident sont des victimes de ce régime autocratique qui n’en peuvent plus de ce qu’ils connaissent plus que d’autres : impunité des caïdats de quartier, renoncement à l’état de droit dans les territoires perdus de la république, silence complice sur le business de la drogue, les incendies de voitures, les crimes sexuels, la lèpre islamique radicale, incapacité de la justice à faire son travail, tribunaux engorgés, peines non effectuées, prisons saturées, les forces de l’ordre sont à la peine parce que le pouvoir maastrichtien les envoie au front sans munitions et sans protections, découverte et nus. Si d’aventure une balle est tirée contre un délinquant qui les menace, c’est sur la police que la faute retombe; il se peut même que le président de la République en personne se rende au chevet d’un délinquant montrant ainsi dans quelle estime le pouvoir tient ses forces de l’ordre. Le suicide de tel ou tel d’entre les policiers ou les gendarmes est de même nature sociologique et politique que la souffrance des gilets-jaunes -la même que celle des agriculteurs qui eux-aussi mettent fin à leur jour de façon massive. C’est se tromper d’ennemi que d’inviter la police à se suicider ou estimer qu’un policier mort est à demi pardonné. C’est se tromper de cible et réjouir Macron qui, une fois de plus, n’attend que cela pour déconsidérer le juste combat des gilets-jaunes des premiers temps.

Les gilets-jaunes ont beaucoup d’ennemis:
la gauche qui, un bon mois après le début de leur lutte, veut récupérer leur énergie à des fins électoralistes ou politiciennes; même tabac avec la droite souverainiste ; les blacks-blocs qui dissimulent leur nihilisme en endossant un gilet jaune avant de tout ravager et de faire porter le chapeau à ceux qu’ils cocufient dans les grandes largeurs; les gilets-jaunes récupérés par Mélenchon, genre Eric Drouet, afin de constituer une garde prétorienne de rue pour ses combats personnels; les islamo-gauchistes de La France insoumise qui appellent à la convergence des luttes et voudraient associer les gilets-jaunes des campagnes aux radicaux portant le keffieh des banlieues. A quoi il faut ajouter les soutiers de l’Etat maastrichtien que sont les sociologues et les chercheurs de cour, les philosophes mondains, les journalistes du système, les comédiens et les artistes germanopratins, les éditocrates multicartes, les footballeurs assis sur leurs tas d’or, les économistes libéraux, les politiciens de droite et de gauche  qui se sont trouvés aux responsabilités depuis 1983 -Mélenchon compris: voilà la lune qu’il faut regarder et combattre. Attaquer et charger les policiers, c’est regarder le doigt. Ils obéissent: seuls leurs maîtres sont responsables. Leurs maîtres et leurs complices que sont ces soutiers. Car tout ce beau monde-là défend les seuls intérêts de l’Etat maastrichtien qu’en attendant tout le monde oublie, personne ne charge, et aucun n’attaque! Si l’on doit inviter au suicide, c’est à l’Etat maastrichtien, dont Macron n’est que le valet, qu’il faut envoyer le faire-part.
Toute erreur de destinataire s’avère… suicidaire pour qui se trompe d’adresse.

Michel Onfray