PARIS BRÛLE-T-IL? par Michel Onfray
On l’aura désormais bien compris, en matière de crise des gilets-jaunes, Macron joue la pourriture… C’est bien sûr une option éminemment dangereuse. C’est celle de la ville dont le prince est un enfant… Elle peut sembler rentable à cet enfant-roi qui sait que, dans la logique binaire installée par ses grands prédécesseurs, tout a été fait pour qu’aux présidentielles le choix final oppose un candidat maastrichtien et un autre qui ne l’est pas -le premier présentant le second comme le chaos fasciste. De ce fait, pareille logique contraint à porter au pouvoir n’importe quel homme lige de l’Europe maastrichtienne. Il est l’un des serviteurs de ce pouvoir-là et s’en sait fort. Mais c’est la force d’un domestique.
Voilà pour quelles raisons, dans le chaos actuel, la liste macronienne arrive malgré tout en tête des intentions de vote aux prochaines élections européennes. De sorte qu’après dix-huit semaines de mépris, d’insolences, d’insultes, de désinformation, de fausses nouvelles, de morgue, d’injures, d’offenses, d’affronts à l’endroit des gilets-jaunes, Macron persiste dans une communication dont il sait qu’elle lui est rentable: pendant que Paris brûle, que des banques sont incendiées, que le Fouquet’s est en flammes, qu’un feu dans un immeuble menace de faire périr ses habitants, que les échauffourées sont démultipliées, que des leaders pilotés en sous-main par des politicards appellent désormais à l’insurrection violente, que les mêmes souhaitent une convergence des luttes entre Blacks Blocs et « gens des cités » sous prétexte de gilets-jaunes, que l’arrivée en masse de Blacks Blocs est annoncée par le ministère de l’Intérieur sans que rien ne soit fait en amont pour les empêcher de nuire, Emmanuel Macron skie… Le roi fait du ski! En compagnie de sa femme, de sa famille, de ses amis, peut-être même avec son ami Benalla, il fête la vie à grand renfort de raclette et de fendant! Tout va bien à Versailles…
Pourquoi en effet devrait-il se ronger les sangs?
Car, si la dissolution de l’Assemblée nationale avait lieu, Macron sait bien qu’il resterait président de la République. Son obligation constitutionnelle et politique se limiterait à nommer un Premier ministre issu de la nouvelle majorité… qui ne manquerait pas d’être macronienne!
Si, par une très improbable extravagance, le Rassemblement national arrivait en tête de ces élections législatives après cette hypothétique dissolution, Macron nommerait Marine Le Pen à Matignon. Le premier travail de cette dame serait de faire du Chirac des années 80 en prenant bien soin de ne toucher ni à l’euro, ni à l’Europe libérale, ni à Maastricht et de n’envisager en aucun cas un Frexit -elle a déjà prévenu… Ajoutons à cela que, conditionnée par des années de propagande, la rue refuserait cette nomination après que les médias aux ordres eussent fait fuiter le projet: Macron aurait alors la rue pour lui… Pour éviter pareil scénario, il pourrait alors préférer Dupont-Aignan qui arriverait en courant pour occuper le poste. La réélection de Macron lors des présidentielles suivantes serait assurée.
Si Macron démissionnait, ne rêvons pas, il sait également que ni le Parti socialiste, qui à cette heure confie les clés européennes du parti de Jaurès à Raphaël Glucksmann qui n’en a pas même la carte, ni la France insoumise, qui a montré en boucle sur les médias un Mélenchon psychiquement problématique, ni le parti de Wauquiez, qui tente de survivre en exhibant une chimère politique faite d’un jeune philosophe catholique flanqué de quelques chevaux de retour du sarkozysme guère encombrés par la morale catholique, ne sont à même de lui succéder à l’Élysée.
Tout va donc très bien pour lui.
Choisir le pourrissement, parce qu’on sait qu’il fera notre affaire, même si tout cela dessert le petit peuple, les pauvres, les miséreux, les sans grades et tous ceux qui constituent le fond ontologique de la rébellion des gilet-jaunes, c’est agir comme Attila ou n’importe quel autre chef barbare: c’est opter pour la politique de la terre brûlée. Après moi, ou sans moi, ou hors de moi, le déluge!
C’est donc prendre en otage les Français en croyant qu’ils sont là pour nous et non qu’on se trouve là pour eux. Cet homme qui fait semblant de placer son quinquennat sous les auspices de Jupiter et du général de Gaulle le place finalement sous celui de Peter Pan, cet enfant qui ne veut pas grandir.
Pour qui prend-il les gens?
Il a d’abord méprisé les maires, puis il a prétendu qu’ils étaient le sel de la démocratie, avant de partir à leur rencontre pour leur faire la leçon comme un instituteur d’antan avec sa classe d’élèves en blouse et aux ordres. Les premiers magistrats, choisis et triés sur le volet par les préfets payés pour relayer la politique du Président, ceints de leur écharpe tricolore, n’en sont pas revenus que le chef de l’État daigne monologuer devant eux pendant des heures.
Il a ensuite méprisé les Français, des Gaulois rétifs aux changements, des râleurs éternellement rebelles, des crétins incapables de comprendre la nécessité des changements voulus par sa majesté, au contraire des peuples luthériens du nord de l’Europe, avant d’organiser de faux débats, vrais monologues, tout en délaissant son métier qui est de présider la France et non de militer pour lui-même, sa cause et son succès aux prochaines élections européennes.
Il a enfin méprisé les intellectuels qui ne lui léchaient pas les bottes avant d’en inviter une soixantaine triée sur le volet -il est intéressant d’ailleurs de voir qui a été convié. Frédéric Lordon, gauchiste en chef, mais subventionné par le contribuable via le CNRS où il est directeur de recherche, l’aurait été et a bruyamment fait savoir qu’il n’irait pas. Michel Wieviorka, « sociologue », mais est-ce vraiment le cas pour ce monsieur qui affirme sans barguigner sur Canal+ que le A entouré d’un cercle est un symbole d’extrême-droite, fait bien sûr partie des élus. Après avoir dit qu’il n’y avait pas de culture française, Macron invite donc six dizaines de ses représentants pour débattre avec eux sur France-Culture, haut lieu de liberté intellectuelle s’il en est. Gageons que débattre avec soixante personnes à la fois le contraindra à une performance longue d’une quinzaine de jours non-stop, à défaut, cette rencontre ne sera rien d’autre qu’une danse du ventre présidentiel devant une assemblée captive. A moins qu’on lui offre la grille d’été sur cette chaîne du service public, le créneau est disponible, je crois, après qu’il eut été occupé pendant seize années par un philosophe viré par ses soins.
Il méprise les gilets-jaunes depuis le début et traite leur souffrance par l’insulte: antisémites, homophobes, racistes, xénophobes, incultes, illettrés, avinés, fascistes, lepénistes, vichystes, pétainistes, tout est bon qui permet de dire à ceux qui se sont contentés de manifester leur souffrance sociale qu’ils sont des salauds de pauvres. Cette maladie sociale que sa politique maastrichtienne brutale diffuse comme une épidémie foudroyante est traitée par lui avec arrogance, suffisance, provocation. A quoi bon, sinon, s’afficher en train de boire un coup avec ses amis en terrasse dans une station de ski à l’heure même où Paris brûle? Plus cynique que cela, tu meurs…
Choisir l’humiliation n’est pas de bon profit. Il faut être un demeuré fini pour l’ignorer. L’un de ces soixante intellectuels choisis par le prince pour lui servir de miroir devrait offrir à ce faux intellectuel vrai cynique un livre que Marc Ferro a publié en 2007 et qui s’intitule « Le Ressentiment dans l’histoire« . Ce livre est rapide, indicatif et vite fait, on l’aimerait avec mille pages de plus tant ses intuitions et ses informations sont justes. Quelle est sa thèse? On n’humilie jamais impunément les peuples et l’avilissement un jour génère une réplique toujours.
A quoi peut bien ressembler cette réplique?
Personne ne peut imaginer que ce fameux débat puisse accoucher d’autre chose que d’une souris. Macron avait prévenu dès le départ que le bavardage national allait avoir lieu mais qu’à son issue, il n’était pas question de changer de cap. A quoi bon, dès lors, un débat si l’on fait savoir en amont qu’il ne changera rien à l’essentiel? On ne pouvait mieux avouer qu’il s’agirait de parler pour ne rien dire.
Il a nommé des médiateurs, des coordinateurs, des animateurs, il a créé un dispositif pour faire remonter, centraliser, synthétiser les demandes exprimées dans des Cahiers de doléances aux marges étroites et aux contenus guindés, il a trouvé des budgets pour financer tout ça, il a parlé tout seul en prétendant qu’il dialoguait, il a saturé les médias avec sa présence logomachique, il a voyagé partout en France et s’est montré dans les endroits les plus improbables de la province, il s’est fait annoncer et il est venu, il est venu sans se faire annoncer, il a pris des notes devant les caméras qui en profitaient pour effectuer un gros plan rentable d’un point de vue de la communication- cet homme écoute attentivement se disait le péquin moyen, la preuve, il a sorti son stylo…-, il a tombé la veste, mouillé la chemise, fait des bons mots, il a même, rendez-vous compte, pris place auprès d’un gilet-jaune qui arborait sa fluorescence à côté de lui… Mais on le sait, tout ça ne servira à rien puisque le cap, qui est le bon, sera maintenu!
Ce grand enfumage procède de ce qu’en son temps Ségolène Royal avait appelé la démocratie participative sans s’apercevoir que la nécessité de recourir à ce pléonasme était bien la preuve qu’en démocratie le peuple avait cessé de participer… C’est la même personne, Ségolène Royal, qui avait recruté et appointé le scénariste des Guignols de l’info afin qu’il lui trouve des petites phrases assassines pour truffer ses discours et qui soient susceptibles d’être retenues et reprises par les journalistes. Déléguer la démocratie participative à un guignol, fut-il de l’info: tout était dit, déjà…
A quoi bon partir à la rencontre des gens dans les sous-préfectures pour leur demander ce qu’ils souhaitent quand on aspire à la magistrature suprême de la Cinquième République, comme madame Royal en son temps, voire quand on s’y trouve, comme monsieur Macron aujourd’hui? La réponse est simple: pour les images des journaux de vingt-heures, il faut en effet laisser entendre par ces mises en scène qu’en choisissant de se trouver au centre d’une assemblée réunie en rond autour du mâle dominant qui feint de jouer le rôle de Gentil Organisateur du Club Med, on écoute, on se renseigne, on prend des avis, on descend dans l’arène, on n’a pas peur, on va au contact et, surtout, qu’on est proche des gens…
On peut ne pas souscrire à cette thèse de communicant d’un niveau Bac moins cinq. Car, une personne qui aspire à ce poste ou, pire, qui s’y trouve déjà et a malgré tout encore besoin de ces rencontres pour savoir ce que pense le peuple avoue clairement de la sorte qu’il ignore la vie de ceux dont il souhaite administrer l’existence et, de ce fait, qu’il ne mérite pas son poste sinon de candidat encore moins de premier élu de la Nation.
Macron dit qu’il écoutera mais n’en fera rien, il l’a dit lui-même; il organise à grand renfort de médias complices cette rencontre sous prétexte d’apprendre ce que veut le peuple; or, les souhaits des gilets-jaunes sont connus depuis le premier jour, bien avant que la pourriture voulue par le chef de l’État ne s’y installe.
Roi de la manœuvre, avec ce Grand Débat national, Emmanuel Macron a créé la diversion parce qu’il en avait besoin pour jouer la carte du pourrissement. Toute semaine passée sans que les gilets-jaunes ne parviennent à s’organiser jouait en sa faveur. C’était autant de temps utile pour organiser la riposte non pas politique mais policière, qui plus est de basse police: laisser les casseurs agir, laisser faire les dépavages, donc laisser les pavés voler, laisser les Blacks Blocs taguer et piller, laisser les casseurs des banlieues se joindre à ces Black Blocs afin que quelques-gilets-jaunes s’y agrègent afin de disposer d’images de vandalisation à associer aux gilets-jaunes: les Champs Élysées, parfait, l’Arc de Triomphe, mieux encore, des incendies, super, des voitures retournées et en feu, génial… Roulez BFM & C°! Entre deux soirées en boîtes de nuit, le ministre de l’Intérieur, couvert par les médias, dénonçait ce que le pouvoir avait laissé faire: c’est ainsi qu’on instille le virus dans un corps social. Il suffit ensuite de laisser faire: incubation, fièvre, symptômes, la maladie est bel et bien là, il n’y a plus qu’à attendre qu’elle progresse, qu’elle empire, puis souhaiter que la mort soit au rendez-vous. Voilà la stratégie de Macron, elle lui permet, en attendant le trépas, d’aller aux sports d’hiver tout en sachant que pareille activité n’est réservée qu’aux privilégiés de cette société malade. Cynique, arrogant, prétentieux, sûr de lui et de sa méthode, quand Paris brûle, il skie…
Mais, à la manière d’un apprenti sorcier, cet homme qui a lâché les virus pour contaminer ce corps social des gilets -jaunes a pris le risque d’une infection bien plus grande. Quand son Grand Débat va accoucher de réformettes sociales (pourquoi pas le retour à 90 km/h sur certaines routes de campagne dont la réglementation en la matière pourrait être rendue aux conseils départementaux ou régionaux comme un signe qu’on donne à la France périphérique le pouvoir qu’elle souhaitait lui voir revenir…), ou de réformes techniques en matière de fiscalité (auxquelles personne ne comprendra rien, sauf les professionnels des impôts), quand il décevra avec des réformes en trompe l’œil (du genre: faux référendum qu’in fine les élus contrôleraient par des dispositions techniques leur permettant de reprendre d’une main ce qui aurait été donné de l’autre), quand, donc, les gilets-jaunes verront que le Président leur offre finalement de la poudre aux yeux pour tout traitement de leurs blessures, alors le ressentiment sera plus grand encore -et avec lui la colère majuscule.
Et que fera-t-il de cette colère décuplée lui qui a déjà répondu à une moindre colère par une vague de répression tellement disproportionnée que le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme à l’Organisation des nations unies, via Michelle Bachelet qui fut présidente du Chili, lui a fait savoir qu’il installait la France dans le pays qu’internationalement on remarque pour son non-respect des droits de l’Homme?
La même Michelle Bachelet a formidablement résumé la nature du mouvement des gilets-jaunes en affirmant: « En France, les gilets-jaunes protestent contre ce qu’ils perçoivent comme une exclusion des droits économiques et de la participation aux affaires publiques. » Pour Emmanuel Macron, on sait qu’il n’en est rien et qu’il s’agit bien plutôt d’un mouvement de factieux d’extrême-droite homophobes, racistes, antisémites, climato-sceptiques et conspirationnistes -autrement dit: une offense faite à sa propre personne…
J’ai eu recours à l’histoire de l’apprenti sorcier. Rappelons comment elle se termine chez Goethe: le jeune sorcier a besoin de son vieux maître qui arrive pour arrêter le délire. Sauf que, dans notre réalité, il n’y a pas un vieux maître sage en attente (que Sarkozy & Hollande ne rêvent pas…), mais de jeunes sorciers aussi dépourvus de cervelles que le président de la République. C’est désormais violence d’État contre violences populeuses.
Le peuple est mort étranglé par Macron en dix-huit semaines. Ce populicide en chef lui a préféré la populace qui lui doit sa généalogie. La populace, c’est le peuple moins son cerveau, c’est la foule reptilienne, la masse acéphale, un corps sans tête, un Léviathan conduit par les instincts; elle est l’animal aux babines retroussées, aux crocs menaçants, aux griffes sorties; elle est faite d’hommes au cortex grillé -elle est aussi et surtout le meilleur ennemi du peuple.
Pour empêcher la naissance de cette bête enragée désormais très dangereuse, il suffisait d’écouter le peuple, de l’entendre dès les premiers jours et de lui répondre dignement. C’eut été dans la logique du contrat social qui lie le chef et son peuple par la grâce d’un transfert de souveraineté républicaine synallagmatique -et non unilatéral donc despotique.
Au lieu de cela, comme un vulgaire tyranneau de république bananière, il a lancé sa soldatesque. Une partie du peuple s’est retirée pour laisser place au ressentiment pur et simple de la populace. La bonhomie des ronds-points a laissé place à la logique incendiaire. Avec ce poison d’une hyper toxicité qu’est le ressentiment, quelques gouttes suffisent pour abattre une civilisation qui se trouve dans l’état de la nôtre. Loin du général de Gaulle, Emmanuel Macron prend le risque de laisser son nom dans l’Histoire entre ceux de Néron et Caligula. On retiendra que, quand Paris brûlait, il skiait…