Oui, l’Afrique a ses propres tribunaux internationaux, et il faut les soutenir !

13/03/2017
C’est une décision judiciaire à portée historique qui a pourtant été royalement ignorée par la presse internationale. Le 18 novembre 2016, soit un mois exactement avant les dernières élections législatives en Côte d’Ivoire, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples “ordonnait” aux autorités d’Abidjan de modifier la loi relative à la Commission électorale indépendante (CEI). Et pour cause : en mettant en place cette institution majoritairement contrôlée par les cadres de la coalition au pouvoir, la Côte d’Ivoire contrevenait à “son obligation de créer un organe électoral indépendant et impartial”, en violation des textes et protocoles adoptés sous l’égide de l’Union africaine ou de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Par Théophile Kouamouo

Le pouvoir d’Abidjan n’a pas communiqué sur les suites qu’il entendait donner à une injonction venue d’une juridiction internationale dont il reconnait pourtant la compétence. Et ce ne sont ni les grands médias, ni les ONG ni les organisations internationales, jusqu’ici très peu intéressées par la thématique de la construction d’une justice supranationale propre à l’Afrique, qui lui mettront la pression pour savoir où en est ce dossier.

Des efforts d’indépendance et de probité

Et pourtant. Alors que la Cour pénale internationale (CPI) est de plus en plus contestée sur le continent, et que de nombreux observateurs ont souvent tendance à considérer qu’elle représente aujourd’hui l’unique recours contre l’impunité “intra muros” qui a malheureusement cours dans de nombreuses nations africaines, les juridictions à caractère régional et panafricain constituent de varies alternatives. Dans l’indifférence internationale, les juges de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ou de la Cour de justice de la CEDEAO font des efforts d’indépendance et de probité, allant jusqu’à contrarier des pouvoirs établis en dépit de leur capacité de nuisance.

C’est ainsi que la Cour de justice de la CEDEAO a osé déplaire, à travers ses décisions, à Yahya Jammeh, l’ex-président gambien, notamment en demandant la libération d’un journaliste disparu depuis des années ; à Faure Gnassingbé, le président togolais, en condamnant l’Etat qu’il dirige à verser 8 millions de FCFA à un militaire pour l’avoir soumis à une  « arrestation arbitraire » ; à Alassane Ouattara, le numéro un ivoirien, en affirmant que l’arrestation et la détention de Michel Gbagbo, fils de son prédécesseur, étaient « illégales » et « arbitraires » ; au pouvoir de transition burkinabé, en soutenant que les clauses du code électoral, qui excluaient les cadres de l’ancien régime de la course aux élections, relevaient de la « violation du droit de libre participation ». Très peu de juridictions nationales africaines peuvent avoir ce toupet !

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Une justice panafricaine qui vaut mieux que la CPI en de nombreux points

Il faut soutenir de tels instruments de justice supranationale. Ils valent mieux que la CPI en de nombreux points.

Premièrement, ils sont moins susceptibles d’être accusés d’être des instruments de la « justice des Blancs », et de provoquer par voie de conséquence des crispations qui sont pour le moins légitimes au regard des choix et des non-choix de l’institution à caractère judiciaire basée à La Haye.

Deuxièmement, ils donnent à n’importe quel citoyen le droit de porter plainte contre les Etats, qui sont souvent en tant que tels les principaux violateurs des droits de l’Homme, là où la CPI se borne à s’attaquer aux individus, ce qui est à la fois incomplet et contestable.

Troisièmement, ils travaillent à construire en Afrique une véritable culture de l’Etat de droit, et à bâtir un « panafricanisme des droits des peuples », au-delà du « syndicat des chefs d’Etat » que représente trop souvent l’Union africaine.

Ils ne se contentent pas de juger « les crimes les plus graves » comme le proclame la CPI, bien qu’elle fasse l’impasse sur nombre d’entre eux. Et c’est logique : les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ne tombent pas du ciel. Ils sont précédés de violations des droits de l’Homme moins spectaculaires et impunies, qui finissent par donner aux dirigeants l’impression qu’ils ont le droit de vie et de mort sur leurs concitoyens.

L’exemple de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples qui établit une sorte de jurisprudence des organes électoraux « acceptables » est à cet égard emblématique. Il ne s’agit pas d’attendre les lendemains d’élections contestées pour brandir le spectre de la CPI et faire peur au protagoniste qui a perdu (ou qui est supposé avoir perdu, ou qui nous déplaît assez pour qu’on le considère comme perdant même sans être entré dans le fond du sujet). Il s’agit d’établir, pour aujourd’hui ou demain, les critères d’une élection « propre », et d’éviter progressivement trucages et cafouillages. C’est une manière plus certaine de bâtir la paix et la démocratie !

Pour toutes ces raisons, il est urgent que la société civile africaine et internationale se mette au travail afin de donner de la force et des moyens à ces juridictions qui n’ont pas de forces de police pour faire respecter leurs décisions mais devraient pouvoir, demain, juger à la fois les dénis de droit « ordinaires » et la grande criminalité politique. Libre de tout agenda extérieur au continent.
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