Nouveau parti “de Gbagbo”

: une bonne idée… sur le papier !

Vers une mise à l’écart de toutes les fortes têtes ?

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Coup de génie ou fausse bonne idée ? L’annonce, par l’ancien président Laurent Gbagbo, de la création d’un nouveau parti destiné à poursuivre l’histoire du Front populaire ivoirien, a naturellement suscité débats et polémiques. Entre les manifestations de satisfaction de ses partisans indéfectibles – pourtant peu disposés à abandonner la bataille du logo comme cela avait été proposé par d’autres par le passé – et les cris d’orfraie de son ancien Premier ministre Pascal Affi N’Guessan, l’observateur a du mal à garder sa sérénité et à juger avec clairvoyance.

On a toutefois de nombreuses raisons de penser que sur le papier, il s’agit d’une bonne idée. Entendons-nous. Laurent Gbagbo aurait fait preuve d’une immense grandeur s’il avait engagé des pourparlers avec l’aile Affi N’Guessan et créé un cadre de réunification permettant à une base élargie à des sympathisants dûment encartés, de reprendre le pouvoir en choisissant de nouveaux représentants, fédération après fédération. Mais on ne peut pas non plus lui en vouloir de considérer que les choses sont allées trop loin et qu’il n’y a plus rien à sauver. Dans la “guéguerre perdant perdant” qui a déchiré le parti à la rose, il y a eu en effet plus que des noms d’oiseaux lancés à la volée – on pense notamment au recours à la “justice des vainqueurs” et à une forme d’alliance tacite avec le régime Ouattara, aux incarcérations et aux souffrances difficiles à oublier.

Une occasion de corriger les erreurs

La création d’un nouvel instrument de lutte politique pour la gauche ivoirienne est une bonne idée – sur le papier – à condition qu’elle ne soit pas considérée par les stratèges qui l’ont engagée comme de la simple tactique, de la pure manœuvre administrative. Elle devrait au contraire être une occasion de corriger les erreurs structurelles qui ont fait trébucher le FPI au moment où il entrait dans la plus grave crise de son existence – c’est-à-dire après le 11 avril 2011.

En vérité, on peut dire que ce parti s’est quasiment brûlé les ailes à son accession au pouvoir en 2000. A l’embourgeoisement accéléré des figures arrivées au gouvernement et dans les institutions a répondu assez vite la fronde des électeurs, notamment à la faveur des élections municipales désastreuses de 2001. L’on se souvient aussi du panier de crabes qu’est devenu le FPI en abritant des querelles destructrices comme la fameuse bataille Lida-Boga qui a “distrait” ceux qui devaient veiller à éviter ce qui est finalement arrivé le 19 septembre 2002. 

Une fois la guerre survenue, la floraison de très mobilisateurs mouvements patriotiques – Jeunes patriotes et femmes patriotes notamment – a sanctionné l’incapacité du FPI à demeurer un mouvement de masse ancré dans le peuple en même temps qu’un parti de gouvernement. 

De 2000 à 2021, ce parti et ses différentes branches n’ont pas non plus préparé la relève politique, coopté assez de cadres, de jeunes et de femmes en position de monter dans les instances et de préparer l’avenir. Les “camarades” n’ont pas pu ou su construire une culture du débat démocratique interne et du dissensus rendant possible la cohabitation de personnes en désaccord sur des points tactiques ou idéologiques en l’absence d’un grand manitou tranchant dans le vif pour faire revenir la paix.

Le choix de Laurent Gbagbo de construire son argumentaire “pro-nouvel outil” en se focalisant sur la personne de Pascal Affi N’Guessan peut à cet égard inquiéter. Il ne faut pas faire de procès d’intention, mais les mauvaises langues auront des raisons de dire que c’était le meilleur moyen d’éviter un devoir d’autocritique toujours reporté.

Pas du meilleur effet démocratique

Comme les observateurs les mieux informés auront des raisons de s’inquiéter quant à la manière dont cette idée de nouveau parti a été finalement adoptée. Ils savent que, contrairement à la coutume, une réunion du secrétariat général du FPI canal légitimiste n’a pas été convoquée avant la tenue du Comité central. Ils savent aussi que des figures centrales comme Simone Ehivet Gbagbo n’ont été informées du projet que quelques minutes avant le début du Comité central, ce qui avait également pour effet de rendre impossible tout débat de fond. Ils ont également constaté qu’aucune forme de débat n’a eu lieu lors du Comité central, et que dans le fond il n’y a pas eu de vote, mais un plébiscite “à l’applaudimètre”, ce qui n’est pas du meilleur effet démocratique.

De toute façon, un certain nombre de questions de fond vont se rappeler aux dirigeants du “futur nouveau parti”.

  • Ce parti est-il juste la transposition du « FPI de Gbagbo » avec les mêmes dirigeants, les mêmes fédéraux, les mêmes cadres aux mêmes postes ? Impossible, dans la mesure où les partis alliés sont appelés à  se fondre dans le nouvel ensemble, ce qui ne peut aller sans une nouvelle architecture institutionnelle. Et puis, la loi s’impose à tous : un nouveau règlement intérieur, de nouvelles élections et un nouveau cadre global s’imposeront. Le contenu des textes structurants à venir viendra comme pour clarifier les choses et confirmer ou battre en brèche les thèses de ceux qui estiment que le projet est d’une faire deux pierres deux coups : “tuer” politiquement à la fois Affi et Simone Ehivet Gbagbo.
  • Ce parti est-il un instrument par et pour Gbagbo, une sorte de représentation chimiquement pure du « gorisme » appelé à le suivre inconditionnellement dans toutes les directions où il ira, ou un outil construit pour durer 100 ans et servir aux générations futures, dans le cadre des combats à venir pour la souveraineté, le panafricanisme et la justice sociale ? Dans la première des hypothèses, il fera la promotion de cadres se distinguant par leur obséquiosité vis-à-vis d’un “chef” repeint en demi-dieu. Dans la seconde, il travaillera à rassembler des cadres compétents, talentueux, remplis de fougue et de convictions. Il est presque impossible de concilier ces deux impératifs.

D’ores et déjà, le choix opéré par Laurent Gbagbo, consistant à proposer à plusieurs “petits partis” de rejoindre sa future formation en “oubliant” assez curieusement le COJEP de Charles Blé Goudé, est un signal d’alarme. Et un présage préoccupant.
Théophile Kouamouo