Niger, pays d’Afrique le plus pauvre, mais bourré d’uranium !
Ali Idrissa : « L’accord annoncé entre Areva et le Niger était du bluff »
Et pourtant deux ans plus tard, rien n’a changé…
Un tiers de l’uranium utilisé dans les centrales nucléaires françaises provient des mines exploitées par Areva au Niger, l’un des pays les plus pauvres de la planète. Sous la pression de la société civile, le gouvernement nigérien a souhaité obtenir du groupe nucléaire français un partage plus juste des revenus de l’uranium. Aujourd’hui, plus d’un an après l’annonce en fanfare de la signature d’un accord, les nouvelles conventions fiscales entre le Niger et Areva n’ont toujours pas été publiées. Entretien avec Ali Idrissa, coordinateur du Rotab et de la branche nigérienne de l’initiative « Publiez ce que vous payez ».
Qu’est ce que le Rotab, et comment en est-il venu à se mobiliser sur la question de la contribution fiscale d’Areva au Niger ?
– Le Rotab (Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire) est une coalition d’une dizaine d’ONG nigériennes que nous avons lancée en 2006. Suite au grand mouvement social contre la vie chère en 2005 au Niger, nous étions en discussion avec le gouvernement, qui a accepté pour la première fois d’ouvrir ses budgets aux acteurs de la société civile. Notre revendication était qu’ils suppriment la TVA sur les produits de première nécessité. Ils nous ont répondu qu’il fallait bien équilibrer le budget, et que si l’on supprimait ces recettes, il fallait trouver des ressources supplémentaires ailleurs. C’est dans ce contexte que nous avons constaté que les ressources naturelles du Niger ne rapportaient presque rien à l’État. D’où la création de cette plateforme qu’est le Rotab, pour encourager le gouvernement à augmenter ses revenus issus des industries extractives.
Auparavant, l’uranium n’était même pas considéré comme une ressource naturelle. Son extraction était régie par les accords de défense entre la France et le Niger. Comme dans d’autres anciennes colonies, ces accords réservaient ces ressources exclusivement à la France. Aujourd’hui, la question de l’exploitation des ressources naturelles nigériennes et du partage des revenus est devenue un sujet de débat public, abordé quotidiennement dans les médias. Nous ne nous sommes pas arrêtés à l’uranium. Nous avons aussi été voir ce qu’il en était de l’or, du pétrole et des autres ressources.
Les activités d’extraction d’or et de pétrole au Niger sont-elles aussi importantes que l’uranium ?
– Le Niger a de l’or dans l’ouest du pays (on en a aussi récemment découvert au nord), du pétrole au sud, et l’uranium est dans le nord. Aujourd’hui, le pétrole rapporte davantage au Niger que l’uranium. Mais ce n’est pas parce que la ressource a plus de valeur. C’est parce que l’uranium est sous-payé par Areva. En ce qui concerne l’or, qui était exploité par une société minière canadienne, Semafo, nous avons un peu le même problème qu’avec Areva. On a l’impression que le Niger est le seul pays du monde où l’on exploite l’or à perte, puisque la société déclare toujours des profits négatifs sur ses activités au Niger pour ne pas payer sa part d’impôts. Comme pour l’uranium, l’entreprise se permettait de racheter l’or nigérien au prix qui lui convenait, puis de le revendre sur le marché international à un prix supérieur.
En ce qui concerne l’uranium, le gouvernement nigérien a annoncé en 2013 son intention de renégocier ses conventions avec Areva pour obtenir une plus grosse part des revenus de l’uranium. Au bout de plusieurs mois de bras de fer, le Niger et Areva ont annoncé en mai 2014 la conclusion d’un nouvel accord cadre, censé être suivi de la signature de conventions détaillées. Mais aujourd’hui, plus d’un an plus tard, ces conventions n’ont toujours pas été publiées. L’annonce de mai 2014 était-elle une réelle avancée, ou bien s’agissait-il d’une illusion de victoire ?
Je ne vois pas de victoire. Ils n’ont signé qu’un accord cadre, par lequel Areva acceptait en apparence le principe de passer sous le régime fiscal de droit commun. En théorie, Areva se verra appliquer le taux de redevance minière normal, qui est progressif (5,5%, 9%, 12%), ce qu’elle se refusait à faire jusqu’alors. Mais la formule de calcul est telle que le groupe français continuera de fait à bénéficier d’un taux réduit. Par ailleurs, Areva a obtenu d’autres concessions, notamment le principe de la « neutralité de la TVA », qui fait perdre plusieurs millions au Niger. C’est une nouvelle mesure introduite par l’État nigérien à cette occasion, validant le principe que toutes les entreprises actives au Niger (et non seulement Areva) qui revendent leur production hors du Niger doivent bénéficier d’une TVA nulle au final.
Surtout, selon des sources proches des négociations, les conventions minières détaillées entre Areva et le gouvernement, contrairement aux annonces, ne sont en fait pas encore signées. Et, même si elles l’étaient, ce serait en contravention avec la législation nigérienne, puisque ces conventions ne sont pas rendues publiques.
À l’époque, Areva a obtenu que soient incluse dans les négociations la question d’Imouraren, la troisième mine qu’elle projette d’ouvrir au Niger en plus des mines de la Somaïr et de la Cominak. Cette troisième mine représente potentiellement des milliers d’emplois et des sources de revenus supplémentaires pour l’État nigérien. Depuis, Areva en a repoussé l’ouverture aux calendes grecques… Il faut souligner la faiblesse du gouvernement nigérien.
N’y a-t-il pas eu tout de même des avancées symboliques ?
– Il y a eu la « nigérianisation » des postes, et notamment la nomination d’un Nigérien à la tête de la Somaïr. Mais il s’agit d’une personne qui est partie au Canada se faire naturaliser, et qui travaille pour Areva depuis des années. La question n’est pas d’amener un Nigérien à la tête des sociétés, mais de faire en sorte que le Niger dans son ensemble y gagne.
Ensuite, il y a la question de la réfection de la « route de l’uranium ». Areva a annoncé qu’elle contribuerait aux coûts, mais la somme qu’elle a annoncée ne couvre même pas 30% du budget nécessaire. Or ce sont bien les activités d’Areva, avec le passage des camions chargés d’uranium, qui sont à l’origine du mauvais état de cette route.
Avant l’accord annoncé en mai avec Areva, il y a eu beaucoup de manifestations de la société civile pour encourager le gouvernement nigérien à tenir bon. Ces manifestations continuent-elles aujourd’hui, ou bien ont-ils réussi à briser la mobilisation (comme c’était peut-être leur objectif) ?
– L’élan s’est émoussé après les effets d’annonce de mai 2014. En octobre 2014, à nouveau, ils ont annoncé que les conventions détaillées étaient signées. Au bout d’un an, nous nous rendons compte que c’était du bluff. Aujourd’hui, nous essayons de relancer la mobilisation. Des élections doivent avoir lieu dans moins d’un an, et la question risque de revenir au premier plan dans le cadre de la campagne électorale.
En juillet 2014, à l’occasion de la visite au Niger de François Hollande, vous avez été brièvement interpellé. Y a-t-il toujours des risques de répression ?
– Le gouvernement essaie régulièrement d’intimider les acteurs de la société civile. Récemment encore, des collègues ont été retenus plusieurs jours dans les locaux de la police judiciaire ou dans ceux de la brigade anti-terroriste. Ces sont des méthodes révolues, qui ne vont pas nous décourager ni nous empêcher de faire notre travail.
Avec le contexte géopolitique actuel et la présence de l’armée française dans la région, n’assiste-t-on pas à une sorte de remilitarisation de la question de l’uranium ?
– Est-ce que la présence de l’armée française empêche les attaques dans le Nord ? Non. Est-ce qu’elle empêche les prises d’otages ? Non. Est-ce qu’elle empêche la situation d’insécurité dans la région ? Non. Pour nous, l’objectif de la France est surtout de protéger ses sites stratégiques au Niger. Pour faire face aux menaces, on a besoin d’une coopération renforcée entre les pays de la région. Et on a besoin que ces zones se développent. On ne peut pas combattre le terrorisme en maintenant les gens dans la misère.
La crise financière et industrielle que traverse actuellement Areva, avec des pertes record et un vaste plan social, rend-elle votre combat plus compliqué ?
– Areva est malade de sa gestion et de ses choix économiques. Ses difficultés économiques actuelles n’ont rien à voir avec le Niger. Jusqu’il y a peu, les mines étaient la seule activité profitable d’Areva. Dans sa négociation avec le Niger, Areva a effectivement tiré argument du faible cours actuel de l’uranium, mais l’entreprise a des contrats de vente de long terme, et elle est parfaitement habituée à gérer les cycles du cours des matières premières. Mais elle essaie clairement de profiter de la situation pour obtenir des conventions au rabais.
Au niveau social, y a-t-il eu des suppressions d’emploi dans les mines nigériennes ?
– Il y a eu un plan social à Imouraren, Areva ayant décidé de repousser sine die l’ouverture de cette mine. À la Somaïr aussi, il y a un plan social impliquant le départ de 130 employés. Pour nous, il s’agit de mesures de représailles d’Areva contre le Niger, qui n’ont aucune réelle motivation économique.
Au final, pensez-vous que l’exploitation de l’uranium puisse jamais être une bonne affaire pour le Niger, avec la faiblesse des revenus générés et tous ses coûts sociaux et environnementaux ? Est-il possible d’exploiter l’uranium du Niger dans des conditions justes et socialement acceptables ?
– Aujourd’hui, l’agriculture et le secteur primaire rapportent plus à l’État que l’exploitation de l’uranium. Nous nous battons pour un accord gagnant-gagnant entre la France et le Niger pour l’exploitation de l’uranium. L’uranium doit profiter aux Nigériens et à notre économie. En France, grâce (entre autres) à notre uranium, vous n’avez pas de problèmes de coupures d’électricité. Au Niger, nous continuons à dépendre du Nigeria pour la faible quantité d’électricité dont nous disposons.
En vue de l’ouverture de la mine d’Imouraren, il a été question de l’arrivée au Niger d’entreprises chinoises, mais Areva a réussi à défendre son pré carré. L’arrivée d’autres entreprises est-elle toujours une option pour faire pression sur Areva et la France ?
– Je ne crois pas vraiment à l’option chinoise. On ne va pas se jeter dans les bras de n’importe quel nouveau partenaire. C’est comme choisir entre deux maux. Mais il faut qu’Areva se rappelle qu’elle n’est pas la seule à être intéressée par le sous-sol nigérien.
Que manque-t-il au gouvernement nigérien pour rééquilibrer son rapport de forces avec Areva ?
– Le Niger ne négocie pas avec une entreprise ordinaire. Lorsqu’il négocie avec Areva, le Niger négocie aussi dans le même temps avec l’État français, et il y a des considérations stratégiques et géopolitiques qui entrent en ligne de compte dans cette négociation. Certains parlementaires, comme Noël Mamère, et même Pascal Canfin quand il était ministre, ont exprimé leur solidarité avec le peuple nigérien. Il faut continuer à sensibiliser les décideurs français sur le fait que l’uranium contribue beaucoup plus à rendre malade le peuple nigérien qu’à faire son bonheur. La population de ces régions consomme de l’eau irradiée. Ils n’ont pas de centres de santé. Il faut faire mille kilomètres pour une radiographie. Pourtant l’uranium y est exploité depuis 1972. Il y a un fossé béant entre d’un côté ceux qui exploitent l’uranium, et de l’autre ceux à qui il appartient. Le président François Hollande a pris des engagements forts en matière de transparence des industries extractives. Il est temps de passer des beaux discours à la réalité.
Propos recueillis par Olivier Petitjean
multinationales.org
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