Mutinerie et primes : Mamadou Koulibaly fait de troublantes révélations

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Dans un décryptage de la situation qui prévaut dans l’armée, le président de Liberté et démocratie pour la République (Lider), Pr. Mamadou Koulibaly, a fait de troublantes révélations. Le document publié sur le site de son parti le 23 janvier 2017 dont nous publions une partie dévoile la face cachée les origines de la crise.

Qu’est-ce que la prime chez les militaires ?

Lorsque les militaires, gendarmes et policiers sont projetés en mission sur des terrains d’actions, là où l’intendance ne peut se déplacer pour assurer leur confort alimentaire, il leur est donné par l’employeur, donc l’Etat, deux à trois mille francs cfa par jour de mission. Il s’agit donc d’une prime d’alimentation. Lorsque la rébellion se déclenche en 2002, les rebelles de la zone CNO font savoir qu’ils verseraient à leurs guerriers des primes savons de 5.000 francs cfa/mois. Dans le même temps, les forces loyalistes du Sud font instituer une «prime haut les cœurs» qui restera en vigueur jusqu’en avril-mai 2011. La prime haut les cœurs, loin d’être une prime d’alimentation, est vite devenue une prime d’encouragement pour ceux qui allaient au front. Elle s’élevait à 80.000 fcfa/mois. Mais très vite, la prime d’encouragement s’étend à tous les soldats, qu’ils soient au front ou pas. Elle devient donc une prime de loyauté de 50.000 fcfa pour tous les soldats qui n’étaient pas au front.

L’Etat de Côte d’Ivoire décaissait ainsi, en moyenne, plus de 3 milliards de francs cfa par mois entre 2003 et 2011, pour financer cette prime versée aux hommes en armes du côté loyaliste, somme qui était ainsi dévolue, non pas à la capacité des armées, mais à leur loyauté et comme complément de solde.

Les soldats du sud n’ayant pas gagné la guerre, n’ont pas été capables d’en arrêter le paiement et les soldats du nord n’ayant pas perdu la guerre, voulaient avoir droit au même privilège que ceux du sud.

En aucun cas, les exigences des mutins ne peuvent provenir des accords de sortie de crise, qui disposent, au titre II du quatrième Accord complémentaire à l’Accord politique de Ouagadougou signé le 22 décembre 2008 :

Article 3 : Afin de favoriser l’organisation des élections dans de bonnes conditions, les deux Parties ont convenu de relancer, sans délai et sous la conduite du Cci et la supervision des Forces impartiales, le désarmement, le stockage des armes des deux Forces ex-belligérantes, ainsi que la démobilisation des ex-combattants ; des Forces nouvelles. En tout état de cause, ces opérations devront être achevées au plus tard deux mois avant la date fixée pour l’élection présidentielle.
Les armes recueillies seront stockées par le Cci, sous la supervision des Forces Impartiales.
Les Forces Nouvelles transmettront sans délai au facilitateur, pour le Cci, la liste des 3400 éléments proposés pour être commis à des tâches de sécurité aux fins de leur déploiement dans les meilleurs délais aux côtes de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale, sous le commandement du Cci à l’issue du processus de sortie de crise, ils pourront postuler aux concours de recrutement dans la Police Nationale et dans la Gendarmerie Nationale sur la base des critères nationaux de recrutement. Leur prise en charge sera assurée par le budget de l’Etat. Les Forces Nouvelles transmettront aussi au Facilitateur, pour le Cci, la liste du quota des 600 éléments issus de l’Accord de Pretoria qui seront déployés sans délai aux côtés de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale sous le commandement du Centre de commandement intégré. A l’issue du processus de sortie de crise, ils seront intégrés dans la Police Nationale et dans la Gendarmerie Nationale. Leur prise en charge sera assurée par le budget de l’Etat.

 Article 4 : Afin d’accélérer la démobilisation des Ex-combattants des Forces Nouvelles, les Parties invitent le Gouvernement à verser au Ex-combattants démobilisés une prime ou aide directe de démobilisation d’un montant de cinq cent mille (500.000) francs CFA pour solde de tout compte. En tout état de cause, la démobilisation des ex-combattants des Forces armées des forces nouvelles (Fafn) devra être achevée au plus tard deux mois avant la date fixée pour l’élection présidentielle.

 Article 5 : Concernant le démantèlement des milices, les deux Parties ; conviennent d’entamer leur désarmement, le stockage de leurs armes et leur démobilisation sous l’autorité du Cci et sous la supervision des Forces impartiales, concomitamment avec la démobilisation des ex-combattants des Fafn. En tout état de cause le démantèlement des milices devra être achevé au plus tard deux mois avant la date fixée pour l’élection présidentielle.
Les armes recueillies seront stockées par le Cci, sous la supervision des Forces Impartiales.
Afin d’accélérer le démantèlement des milices, les parties invitent le Gouvernement à verser aux miliciens démobilisés une prime ou aide directe de démobilisation d’un montant de cinq cent mille (500.000) francs CFA pour solde de tout compte.

 Article 6 : Concernant les quotas d’intégration d’éléments des Fafn dans la Nouvelle Armée Nationale, les deux Parties, se référant aux propositions contenues dans l’arbitrage du Facilitateur du 5 janvier 2008, ont décidé de régler définitivement la question comme suit :

§  Les Forces nouvelles procéderont d’abord à l’identification et au profilage de leurs ex-combattants ayant déposé les armes et transmettront leur liste définitive au Facilitateur ;

§  Elles soumettront ensuite au Gouvernement une liste de 5000 ex-combattants aptes en vue de leur intégration dans la Nouvelle armée nationale ;

§  Le Gouvernement statuera sur le dossier des 5000 ex-combattants des Forces Nouvelles et prendra les décisions appropriées pour leur intégration dans la Nouvelle armée nationale dans un délai qui n’excédera pas deux ans;

§  En attendant leur intégration dans la Nouvelle Armée Nationale, les Ex-combattants des Fafn seront regroupés, sous le commandement de l’état-major des Forces Nouvelles appuyé par les Forces impartiales, pour une formation commune de base, dans les camps militaires de Bouaké, Korogho, Man et Séguela, à raison d’un camp par ville. Leur prise en charge sera assurée par l’Etat.

On s’aperçoit bien qu’aucune des revendications actuelles, ni les 5 millions de fcfa, encore moins les 12 millions évoqués par le gouvernement, ni le nombre de 8.500 militaires bénéficiaires ne découle des dispositions ci-dessus, contrairement aux affirmations du gouvernement.

Mais à quel moment des promesses de primes Ecomog ont-elles été faites ? Et par qui ?

Dans son principe, lorsque les forces Onusiennes et celle de l’Ecomog interviennent sur des terrains en pays étrangers, l’Onu ou la Cedeao leur verse des primes Onusienne ou Ecomog. Les soldats qui aujourd’hui revendiquent ces primes ont-ils eu le sentiment d’intervenir en territoire étranger en venant dans le sud du pays ? Les forces qu’ils représentent se considéraient-elles comme des forces internationales intervenants en Côte d’Ivoire pour justifier le paiement des primes à ces soldats qui se sentent aujourd’hui frustrés ?

Quand on fait des promesses aux gens en armes, il faut les tenir et la paire Outtara-Soro doit bien savoir ce à quoi correspondent les primes exigées et les promesses dont il est question. Le problème ne consiste donc pas à en vouloir aux mutins et à oublier les auteurs des promesses, mais il est dans la perversion d’un système de primes alimentaires devenues primes de loyauté et de mercenariat. Pourquoi la paire Ouattara-Soro, depuis 2011, alors qu’ils ont été tous les deux, soit législateurs soit ministres de la défense, n’a rien fait pour régler le problème ? A qui a-t-on promis ces primes ? A quelles dates les promesses ont-elles été faites ? En effet, selon les dates, les militaires concernés sont aujourd’hui dispatchés dans différents corps de la police, de la gendarmerie et même parmi les démobilisés qui sont repartis, sans matricules mais avec les armes qui leur ont été distribuées. A quels moments les autres concernés, une fois les paiements engagés, feront pression pour toucher eux aussi le pactole ?

On ne peut traiter la question des primes des militaires en oubliant celle des primes en général. Les ex-FDS sont aussi concernés que les fonctionnaires dans leur ensemble. Il s’agit donc de légiférer sur les primes des fonctionnaires, et de les intégrer dans la grille globale des salaires, ou bien alors de les supprimer et les interdire une fois pour toutes.

Mais, alors que les fonctionnaires sont en grève, offrir des paiements gracieux et hors budget à une partie des militaires, sans présumer de la possible réaction en chaine de la pyramide des grades et des corporations de la fonction publique, serait totalement irresponsable et sans issue. Si seulement nous avions un parlement qui voudrait jouer son rôle, il aurait eu son mot à dire. Mais, lorsque les députés eux-mêmes poursuivent des primes hors budget auprès du Président de la République, peut-on en vouloir aux autres bénéficiaires de ces paiements de l’Etat ?

Toutes ces questions restent ouvertes et conduisent à nous interroger sur le désarmement qui, semble-t-il, aura été un grand succès mondial qui s’exporterait dans tous les pays qui en auront besoin. Si cela est vrai, et qu’en plus la réforme du secteur de la sécurité aura été une grande réussite, et que la loi de programmation militaire une idée géniale qui modernisera la nouvelle armée, pourquoi alors autant de troubles cataclysmiques dans l’armée ?

IV. Les relations équivoques entre les militaires et les politiciens en Côte d’Ivoire

Autour de la mutinerie et de la question de primes, il y a toute la problématique des relations inavouables entre les politiciens et les militaires en Côte d’Ivoire. Il est vrai que tel ou tel politicien peut se réclamer d’être le père des mutins ou des rebelles, mais il faut être prudent dans les interprétations des propos triomphalistes des uns ou dans les regrets pleins d’inquiétudes des autres.

Jusqu’à présent, la mutinerie a des allures festives de partage de butin de guerre, mais il n’en a pas toujours été ainsi et les perspectives des relations entre politiciens et militaires sont pleines d’incertitudes, aussi bien dans le domaine sécuritaire que dans le domaine politique et économique. En effet, si les politiciens ont pris l’habitude de manipuler et d’instrumentaliser les militaires pour arriver ou se maintenir au pouvoir contre des promesses d’argent et de promotions, en retour, les militaires sont devenus de gros handicaps pour les politiciens, qu’ils n’hésitent pas à faire chanter et à intimider à volonté. Le résultat est un grossier système de gaspillage de ressources et de déprogrammation de la nature républicaine de l’Etat, qui disparait dans la corruption et les connivences redistributives au profit de clans politiques amis et alliés.

Si le service après-vente de la mutinerie est convenablement servi, il devient abusif et peut provoquer l’écroulement de l’Etat. Se pose alors la question de la fidélité et de la loyauté des forces militaires aux politiciens au pouvoir, et celle des déstabilisations probables, lorsque ces politiciens entrent en conflit au sein des institutions ou lorsqu’ils ne représentent plus l’Etat.

Auteur: César DJEDJE MEL – ivoirematin.com