L’investissement agricole en Côte d’Ivoire dans la tourmente

par Christian d’Alayer – 27 mai 2017

Voici un article sur un scandale en Côte d’Ivoire qui m’a été demandé par une association d’actionnaires. Au début, j’ai été réticent. Et puis il y a trop de bizarreries dans ce dossier pour qu’on ne le ré-ouvre pas…

Les Africains parlent « d’agrobusiness », un concept né en Amérique au début des années 1990 et dénoncé dès le début par les associations environnementales et de consommateurs : car avec l’entrée de grandes sociétés privés dans l’agriculture, c’est tout leur effort de réduction des intrants qui saute. Mais il faut bien nourrir aujourd’hui 7 milliards d’habitants et, demain, au moins 12 avant que la réduction naturelle de la natalité en milieu urbain fasse son effet aussi dans les pays en développement. L’augmentation des rendements est donc une nécessité absolue alors qu’on observe depuis quelques années et tout au contraire un tassement des dits rendements. Du moins dans les pays occidentaux. Les réserves de productivité se trouvent donc surtout dans les pays pauvres et, notamment, en Afrique où, de plus, la densité de population reste la plus faible du monde : les sociétés de l’agrobusiness, notamment chinoises, y constituent donc des réserves foncières de plus en plus importantes.

Il n’est donc pas malsain, dans ce contexte d’invasion étrangère, que les Africains se lancent eux-mêmes dans l’agriculture industrielle en utilisant des engrais, des pesticides et du matériel moderne d’exploitation. En l’absence de grandes entreprises préexistantes telles que les puissantes coopératives françaises couvrant tous les aspects de l’agro-industrie du champ à l’usine, force leur fut de les créer de toutes pièces au travers de souscriptions d’actions : de véritables start up en fait, qui suivirent très vite l’arrivée des multinationales sur le marché de l’agriculture : dès 1999 par exemple, le Burkina Faso se dota de telles sociétés d’agrobusiness à capitaux africains. Mais c’est en Côte d’Ivoire que la souscription a atteint des sommets, par dizaines de milliards de F CFA (par dizaines de millions d’euros pour ceux qui ne connaissent pas le CFA)
On ne sait pas vraiment combien d’argent le public aisé de Côte d’Ivoire a mis au pot. Un premier rapport parlait de 22 milliards (soit une quarantaine de millions d’euros) Puis le chiffre de 100 milliards est sorti (plus de 180 millions d’euros tout de même), puis ce chiffre pour la seule plus importante des plus de 20 sociétés qui se sont lancées sur ce créneau dans le pays. Soit Monhevea.com du groupe Agronomix, créé en 2014.

C’est d’elle qu’est partie la foudre, sous la forme d’une alerte lancée par l’une des banques du groupes : elle voyait, a-t-elle dit, entrer les souscriptions des actionnaires mais ne voyait pas fonctionner le compte d’opérations. « C’est un système de Ponzi » hurlait le banquier : un système dans lequel l’opérateur paye les dividendes des premiers souscripteurs avec l’argent des derniers arrivants. « Christophe Yapi -le patron d’Agronomix- est notre Madoff -du nom d’un des plus grands escrocs de la bourse de New York » surenchérirent Ouattara et ses ministres concernés.
Le gouvernement gela donc les comptes de l’ensemble des sociétés d’agrobusiness et entama une procédure de remboursement des actionnaires a minima. Peut-être pensait-il pouvoir ainsi grappiller au passage les millions des mutins (les comptes publics ivoiriens sont à sec) ?! Car tandis qu’il se lançait dans ces remboursements au compte goutte, il recherchait les actifs des sociétés. Ce qui n’est pas aisé sans l’accord des dites sociétés : où sont les parcelles, sont-elles achetées ou louées, le matériel appartient-il aux sociétés ou est-il acquis en leasing, où sont parties les récoltes, les entrepôts appartiennent-ils aux sociétés d’agrobusiness ? Etc., etc.

Trop compliqué pour une administration qui doit en plus se confronter à la colère des souscripteurs dont beaucoup n’ont pas perdu confiance en leur placement. Des associations se sont créées, la plus importante étant bien entendu celle des souscripteurs d’Hevea.com. Et elles communiquent, râlent, font un bruit d’enfer. Christophe Yapi ne se laisse pas faire non plus, il a porté plainte contre l’Etat. Qui, de fait, a largement outrepassé et son rôle, et ses pouvoirs : il aurait dû lancer une enquête avant de bloquer les sociétés d’agrobusiness, voir si les accusations assez fantaisistes de Ponzi tenaient la route. Car ces sociétés ont commencé à travailler, il y a des actifs que l’Etat recherche par ailleurs. Et on voit mal comment 22 sociétés auraient lancé la même arnaque en même temps, c’est inimaginable. D’autant que la principale, Agronomix, annonce 500 employés : à ne rien faire ? Les souscripteurs locaux ont pu visiter des champs cultivés près de chez eux et comme ils sont près de 70000 en tout, on voit mal autant de monde se faire avoir. En moins de trois ans en plus : comment demander à de toute jeunes entreprises des comptes de résultats de multinationales aguerries en si peu de temps ?!

Bref, s’il y a entourloupe, elle n’est pas forcément là où on peut l’attendre. Je n’ai pas pu avoir accès aux actifs de Monhevea.com et pour cause : les dirigeants de la société ne vont pas fournir à un journaliste, aux fins de publications, les moyens de se faire plumer par l’Etat ivoirien ! Et je n’ai donc aucune certitude. Sauf une : tout a été bâclé dans ce dossier, aussi bien par l’Etat ivoirien (dont l’attitude laisse présager en plus des arrières pensées malsaines) que par les médias, y compris français : Ils se sont contentés de rapporter la thèse gouvernementale sans vérification et sans réflexion. Et aujourd’hui par les banques ivoiriennes : n’arrivant ni à rembourser les actionnaires, ni a mettre la main sur les actifs, l’Etat a missionné les banques pour ce faire : il demande aux banques, qui ont accepté, de dépouiller leurs clients ! Des banques qui savent très bien ce qu’il en est des investissements réalisés par les sociétés ivoiriennes d’agrobusiness et qui laissent ainsi penser qu’elles sont de mèche avec l’Etat pour se faire du gras sur le dos des dites sociétés et sur leurs actionnaires. L’alerte a-t-elle été seulement honnête ?

Je ne crois guère à 22 Ponzi en même temps d’autant qu’il y a des actifs. Madoff n’en avait guère laissé. Je sais que les médias d’aujourd’hui, tant ivoiriens que français, ne savent plus enquêter et ne réfléchissent même plus. Mais les banques de la place et l’Etat jouant ensemble un rôle pour le moins étonnant, cela au moins aurait dû les interpeller. C’est cela qui m’a poussé à mettre les pieds dans le plat alors que j’attendais des informations sur les actifs qui ne sont pas venues. Et je ne sais pas ce que donnera l’avenir. Christophe Yapi a proposé début mai de rembourser lui-même ses actionnaires. Ouattara a refusé avec un prétexte nul : 1 million CFA (1500 €) se serait retrouvé sur le compte personnel d’un dirigeant d’Agronomix ! C’est laisser penser ainsi que l’Etat ivoirien soutient un autre objectif, inavouable, dans le cassage de l’agrobusiness de son pays.

Christian d’Alayer