L’histoire du doctorat acheté de Henri Konan Bédié

DEVOIR DE MÉMOIRE

L’histoire de la Côte d’Ivoire est parsemée de scandales divers dont celui du “doctorat payé” d’Aimé Henri Konan Bédié. Le Français Jacques Baulin, ancien collaborateur de Félix Houphouët-Boigny, avait mis à nu cette vaste tricherie dans un ouvrage paru en novembre 2003.

Alors qu’il était ministre de l’Économie et des finances (1966 à 1977) dans le gouvernement du président Félix Houphouët-Boigny, Aimé Henri Konan Bédié, ex-chef de l’Etat ivoirien et actuel président du PDCI-RDA, a obtenu un doctorat d’Etat en Sciences économiques. C’était en 1969. De nombreuses rumeurs ont couru à propos des conditions d’obtention de ce doctorat par M. Bédié.
Dans un souci de vérité, un collaborateur de Houphouët-Boigny a sorti un livre dans lequel il met à nu le scandale sur ce doctorat, et restitue la vraie histoire de cette affaire. Ancien conseiller de l’ex-président du Niger, Hamani Diori, de 1965 à 1974, le Français Jacques Baulin a été également un proche collaborateur du Chef de l’Etat ivoirien de l’époque, Félix Houphouët-Boigny. Il fut précisément le directeur du Centre d’information et de documentation de Côte d’Ivoire, une structure d’espionnage mise sur pied par Houphouët-Boigny qui avait pour mission, d’espionner les opposants au régime du parti unique, le PDCI-RDA. Dans le cadre de son boulot, Jacques Baulin a eu accès à de nombreux dossiers et documents classés confidentiels sur l’histoire de la Côte d’Ivoire et de personnalités ivoiriennes

Dossiers et documents classés confidentiels sur l’histoire de la Côte d’Ivoire et de personnalités ivoiriennes de haut rang. Ce qui l’a conduit à publier trois ouvrages . C’est le troisième, “La succession d’Houphouët-Boigny”, sorti en novembre 2003 aux Editions Karthala (Paris), qui a retenu notre attention. Fort de 180 pages, cet ouvrage est essentiellement consacré à Henri Konan Bédié, dauphin d’Houphouët. Que le premier président de la République de Côte d’Ivoire avait couvé tel un œuf dans la perspective de sa succession. Un doctorat payé Karthala, l’éditeur du livre situe ici l’intérêt du travail de Jacques Baulin : “La succession d’Houphouët-Boigny, troisième livre de l’auteur consacré à la Côte d’Ivoire, . Ce livre se présente. Comme le souligne si bien Jacques Baulin à travers cette note de son éditeur, le scandale du doctorat de Bédié aurait constitué, sous d’autres cieux, un motif pour écarter Henri Konan Bédié de la course en vue de la succession d’Houphouët. Le président Félix Houphouët-Boigny s’est tu sur la question. Il s’est même payé le luxe de féliciter Bédié. Alors qu’il n’ignorait pas que ce doctorat d’Etat ès Sciences économiques n’était pas le fruit du travail de son ministre Konan Bédié. En effet, rapporte Jacques Baulin à la page 48 du livre (un chapitre entier est consacré à l’affaire du doctorat dans l’ouvrage), Abidjan et certains milieux universitaires parisiens grouillaient d’informations, en 1969, selon lesquelles le ministre de l’Economie de Côte d’Ivoire, M. Henri Konan Bédié, avait corrompu un membre du jury et fait rédiger par une tierce personne son doctorat. “Deux hauts personnages ivoiriens de passage à Paris me parlent de l’existence d’un contrat entre Bédié et l’un des membres du jury. On me rapporte ensuite la mise en circulation d’un tract à ce sujet dans les milieux universitaires.

Vers la fin du mois d’août 1969, j’obtiens finalement un exemplaire d’un ensemble d’écrits incluant, un tract intitulé : l’union nationale des étudiants de Côte d’Ivoire accuse : Comment les ministres d’Houphouët deviennent docteurs de l’Université française; une photocopie d’un contrat daté de 8 décembre 1968 passé entre le ministre des Affaires économiques et financières de Côte d’Ivoire et l’un des trois membres de son jury…”, écrit Jacques Baulin. Avant d’ajouter que “le contrat est aussi attristant qu’explosif. Il est effectivement lamentable qu’un ministre et un professeur d’Université acceptent de signer une convention stipulant que : le ministre charge l’Universitaire de mener à bien une étude ressassée depuis fort longtemps ; le ministre finance cette étude à hauteur de 2.500.000 fcfa sur fonds publics, voyage et hébergement en sus ; le professeur et le ministre conviennent que les versements mensuels de 500.000 fcfa soient effectués en cinq fois, dont deux avant la soutenance de la thèse et les trois derniers après ; les deux parties s’engagent à respecter le secret professionnel. Quant au tract, ses auteurs révèlent que la thèse a été préparée par trois des conseillers économiques du ministre, que, pour plus de sûreté, ce dernier aurait fait réviser leur travail par une firme d’ingénieurs-conseils de Paris, toujours sur fonds d’Etat” (P.48).

Lorsque l’affaire du doctorat acheté par Bédié a éclaté dans les milieux politique et universitaire en Côte d’Ivoire, l’on s’attendait à une réaction prompte d’Houphouët. Houphouët savonne Bédié… Selon Jacques Baulin, les questions qui étaient sur les lèvres étaient les suivantes : maintenant que les faits ont été portés à la connaissance d’Houphouët, que va-t-il faire? Va-t-il ordonner l’indispensable enquête pour vérifier le bien-fondé du contrat ? Et cela étant vérifié, va-t-il avoir le courage de destituer Bédié ? “Certes, ce dernier (Konan Bédié) recevra un savon monumental et sera mis à la porte de son bureau par M. Houphouët-Boigny. Mais il n’y aura pas d’enquête officielle et encore moins de sanction”, précise Baulin (P.49). Groggy par ce scandale, Henri Konan Bédié tente en vain de se réhabiliter aux yeux de l’opinion publique ivoirienne et internationale de l’époque. Il court vers la direction du PDCI-RDA, alors parti-Etat, à la recherche de soutien. Jacques Baulin rappelle cette initiative de Bédié, toujours à la page 49 du livre : “Paniqué, il (Bédié) se présente chez M. Philippe Yacé alors président de l’Assemblée nationale, Secrétaire général du PDCI et dauphin officieux. Il exige un soutien officiel public du PDCI, M. Yacé obtempère avec une célérité telle qu’elle en devient suspecte : il s’est aperçu sans doute du tort que cela causerait à celui qui se posait déjà en challenger pour le pouvoir suprême. Cet incident apportera, accessoirement, au président de l’Assemblé nationale, la preuve que, sur le point précis de la nécessité de faire barrage au jeune prétendant, il peut compter sur le soutien discret de nombreux membres des instances supérieures du parti.

M. Mamadou Coulibaly, le président du Conseil économique et social, en tête”. Tout en n’en démentant pas l’existence du contrat entre Bédié et l’Universitaire, le communiqué du PDCI signé de Philippe Yacé apparaît ambigu et loin d’être favorable, en certains points à Konan Bédié. Il mentionne, par exemple, que “le Bureau politique (du PDCI-RDA) fait confiance au président de la République avec l’objectivité qu’on lui sait, pour dénoncer ceux-là qui, par leurs méfaits, aveuglés par l’envie et la jalousie, torturés par les complexes, n’hésitent pas à porter atteinte à l’honneur de leur pays…” (P.50). Ce pan du communiqué du PDCI met dans le même sac, Bédié et les auteurs du tract. Concernant Henri Konan Bédié, l’allusion est ici faite à sa rivalité avec Mohamed Diawara, ministre délégué au Plan sous Houphouët. “Pourquoi M. Konan Bédié a-t-il pris un tel risque ? Quel besoin avait-il d’un doctorat d’Université ? D’aucuns pensaient à l’époque que ce désir découlait de son complexe vis-à-vis de Diawara, mieux pourvu en diplômes. Selon d’autres collègues de l’intéressé (Bédié), il croyait qu’en étant plus diplômé que ses concurrents potentiels, il rendrait plus normal sa primauté dans la course pour la Présidence”, révèle Jacques Baulin (P.51).

Les scandales, Bédié en connaîtra d’autres tout au long de sa carrière politique même en tant que Chef de l’Etat. C’est sous sa présidence que les 18 milliards fcfa de l’Union européenne ont été détournés par de hauts cadres du PDCI. Aucun d’entre eux n’a été arrêté. Mais avant cela, en 1977, le président Houphouët a dû limoger Bédié de son gouvernement pour “détournement de fonds”. Aujourd’hui, comme par enchantement, Henri Konan Bédié veut se présenter aux Ivoiriens en “Monsieur propre”. Alors que son passé demeure entier.
Hatte Mady