Le village des esclaves insoumis

Le village des esclaves insoumis ou comment les esclaves obtenaient leur liberté avant les abolitions

  Le village des esclaves insoumis ou comment les esclaves obtenaient leur liberté avant les abolitions

Le grand marais lugubre

Le 3 février 2017, J’avais commencé cet article pour l’exposition de l’association La France noire, après la lecture d’une grande partie du livre de l’historienne Aline Helg (Plus jamais esclaves, Editions la Découverte, 2016). Le lendemain, le 4 février, la chaîne de télévision ARTE publie un documentaire (Le village des esclaves insoumis) confirmant ma découverte sur Internet des villages sur pilotis en Afrique pour échapper aux négriers ; découverte confirmée par ma lecture du livre d’Aline Helg qui assure que cette pratique était poursuivie par les esclaves noirs dans les Amériques. La diffusion du documentaire de ARTE, qui anticipe mon projet en montrant des villages d’esclaves fugitifs dans un immense territoire marécageux aux Etats-unis, m’oblige à publier une partie de mon travail destiné à l’exposition de La France noire prévue pour le 10 mai 2017 à Joigny (89300 Yonne).

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Les manuels scolaires nous parlent toujours des abolitions de l’esclavage ; en d’autres termes, il y est toujours question des dates officielles auxquelles les esclaves ont recouvert leur liberté dans les Amériques et les îles des Caraïbes. Pourtant, dans de nombreuses colonies des royaumes européens d’alors, des milliers, sinon des millions d’esclaves ont obtenu, à travers les siècles, leur liberté par des moyens très divers :

Le marronnage (la fuite) : Fuir – en Afrique pour échapper aux négriers – est devenu « marronner » dans les Amériques pour échapper aux mauvais traitements ou aux dures conditions de travail. Le marronnage était certes une voie risquée mais possible vers la liberté. Et ce sera de loin la stratégie la plus utilisée pour échapper, à court ou à long terme, à une condition jugée intolérable et qui ne laisse pas espérer des changements. Au fur et à mesure que la colonisation progressait le long des côtes continentales et sur les îles des Caraïbes, les Africains débarqués dans les ports ne perdaient pas leurs espoirs de fuite et de liberté. Ils cherchèrent à s’enfuir dans les montagnes, les forêts et les zones marécageuses.

1. Le petit marronnage : il ne dure souvent qu’une nuit ou quelques jours, le temps pour l’esclave de rendre visite à un parent (les enfants étaient séparés de leurs parents à 8 ou 9 ans) ou d’échapper à quelques travaux pour se reposer. Le petit marronnage est souvent sévèrement puni, quelques rares fois toléré par certains maîtres.

2. Le grand marronnage : C’est un vrai projet d’échapper à l’esclavage que le fugitif met en exécution. Il peut être individuel ou collectif. C’est ainsi que de nombreuses sociétés de Noirs libres se sont formées plus ou moins loin des plantations des Blancs. Il arrivait que les troupes coloniales soient lancées contre eux ; ceux qui étaient capturés étaient exécutés de façon cruelle pour servir d’exemple ou flagellés sur la place publique.

« Le grand marronnage fut largement utilisé par les esclaves pour contester leur asservissement et affirmer leur liberté. Pour s’en rendre compte aujourd’hui, il suffit d’examiner attentivement la carte ethnique des Amériques en ce début du XXIe siècle : elle est marquée par l’existence de communautés, voire de sociétés, dont les ancêtres furent des groupes d’Africains qui, entre les XVIe et XIXe siècles, s’enfuirent et parvinrent à s’établir durablement, parfois en se mêlant aux Amérindiens non colonisés dans les vastes frontières des Amériques au cours des vagues successives de la traite négrière. Situées dans les régions frontières d’accès longtemps difficile, ces communautés marronnes mirent en place un système de troc et de défense grâce auquel elles parvinrent à subsister. […] si nulle part le marronnage ne put mettre fin à l’institution de l’esclavage, il l’a considérablement affaiblie. […] Certaines de ces communautés furent reconnues comme autonomes et leurs esclaves fugitifs déclarés libres par les autorités coloniales esclavagistes incapables de les soumettre, ce qui représentait une énorme victoire contre l’esclavage » (Aline Helg, Plus jamais esclaves, éditions La Découverte, 2016, p.65-66).

° Accès au documentaire d’ARTE

° 2è image : le village de Ganvié au Bénin.

Raphaël ADJOBI, 05 février 2017