Le rôle trouble d’Alexandre Benalla auprès du président

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Alexandre Benalla (d) avec le président Emmanuel Macron au Touquet (Pas-de-Calais), le 11 juin 2017. REUTERS/Philippe Wojazer

Une perquisition a eu lieu ce mercredi soir dans le bureau d’Alexandre Benalla à l’Elysée, en sa présence. Les enquêteurs poursuivent leurs investigations autour des actes du collaborateur du président de la République le 1er mai. Parmi les zones d’ombres de l’affaire, celui du rôle exact d’Alexandre Benalla à l’Elysée. A 26 ans, l’homme était un responsable clé dans le dispositif de sécurité autour du président. Il a connu dans le milieu de la sécurité, d’habitude très fermé, un parcours fulgurant. Récit.

Début 2010, Alexandre Benalla se rend rue de Solférino. Ce jour-là, au siège du Parti socialiste, il doit rencontrer Eric Plumer. C’est le responsable du service d’ordre du parti qui voit arriver dans son bureau le jeune homme de 19 ans, une carrure imposante, mais une expérience dans le milieu de la sécurité quasi inexistante. « Il venait d’Evreux, dans l’Eure. La fédération du parti le connaissait sur place », précise Eric Plumer.

L’ambition d’Alexandre Benalla plaît à son recruteur, qui accepte de le mettre à l’essai. Ce sera un poste de bénévole. Car il faut former ce débutant au contexte particulier, même sensible, de la sécurité en politique.

Le novice étonne son supérieur. « Il évolue très rapidement. C’est comme s’il avait la sécurité dans les gènes. On sentait qu’il avait ça en lui », décrit Eric Plumer. L’homme devient le mentor du jeune homme au sein du parti. Il lui en apprend les codes. « Avec Alexandre Benalla, notre relation allait plus loin : j’étais un peu paternaliste, je l’ai conduit à poursuivre ses études lorsque je sentais un relâchement. J’avais souvent sa mère au téléphone. »  A l’époque, le service d’ordre, le « SO » est « une famille » d’après son responsable, débarqué pendant la vague de licenciements à Solférino après la débâcle de 2017.

Fasciné par les hommes politiques

Eric Plumer lui indique les postes à occuper dans les meetings et déplacements des personnalités du PS. « On peut dire qu’il n’aimait pas surveiller un parking par exemple, même si c’est très important dans un dispositif. Il était très porté sur la protection rapprochée, au contact des personnalités. » Il faut donc tempérer les ambitions d’Alexandre Benalla, fasciné par les personnalités et l’état-major du PS.

Le disciple finit par échapper à son maître. Après la victoire du candidat François Hollande en 2012, Arnaud Montebourg le recrute en tant que chauffeur, sans consulter Eric Plumer, qui le vit presque comme une trahison. Il en est persuadé : il est trop tôt, le jeune homme manque encore d’expérience. Il ne manquera pas de le lui faire savoir, dans un dernier échange avant de le perdre de vue. Eric Plumer est aujourd’hui beau joueur : « A 21 ans, je comprends tout de même qu’on saisisse cette opportunité. »

Séparé de son mentor, Alexandre Benalla commet une première faute. En présence du ministre, il a un accident de voiture. D’après Arnaud Montebourg, son chauffeur a alors tenté de prendre la fuite. Il est licencié au bout d’une semaine à son service.

Le « chef d’orchestre » trouble de l’Elysée

Après cette disgrâce, le jeune homme sort définitivement des radars socialistes. Son parcours entre 2012 et 2016 est flou. Seule certitude, il enchaîne durant cette période des passages dans des entreprises de sécurité privée.

Alexandre Benalla rejoint le candidat Emmanuel Macron et son parti, En Marche! pendant le début de sa campagne. Il est chargé de sa sécurité. Une fois à l’Élysée, l’homme reste fidèle au président. Il est propulsé chargé de mission à l’Élysée.

Un chargé de mission au rôle finalement trouble : il est décrit comme le « chef d’orchestre » de la sécurité du président par ses anciens supérieurs, lors de leurs audiences devant le Sénat et l’Assemblée nationale. Quel est alors le périmètre exact de ses missions ? Alexandre Benalla coordonne « les différents services qui concourent à l’organisation d’un déplacement, parmi lesquels la sécurité », assure devant les députés en commission des Lois le colonel Lionel Lavergne, patron du Groupe de sécurité de la présidence de la République, le GSPR.

Des prérogatives similaires par certains points à celles du GSPR. Alain Le Caro, le fondateur en 1982 du groupe d’élite, au statut hybride entre police et gendarmerie, est étonné par le rôle d’Alexandre Benalla. « Sa présence dans de nombreux déplacements, on l’a vu sur toutes les images, est étonnante. Il a été formé en service d’ordre dans un parti politique. Ce qui n’a rien à voir avec la sécurité présidentielle, qui nécessite de l’entraînement, une formation adaptée », souligne l’ancien membre du GIGN.

Un bureau à l’Elysée, un logement de fonction – jamais occupé – et toujours au plus près du président, y compris dans ses déplacements privés : Alexandre Benalla voulait-il se substituer au GSPR ? Non, d’après le colonel Lionel Lavergne. « Il n’y a pas de police parallèle à l’Elysée », a-t-il tranché devant les députés. Pour Alain Le Caro, « il est en tout cas dangereux d’avoir un tiers, non formé, qui s’occupe des questions de sécurité à l’Elysée. C’est tout à fait contre-productif ».

L’homme est resté « chef d’orchestre », malgré la sanction prise par le directeur du cabinet d’Emmanuel Macron, Patrick Strzoda le 3 mai. Jusqu’à son licenciement et sa mise en examen dimanche 22 juillet, notamment pour « violences en réunion ».
RFI.fr