Le cas Gbgabo discuté à l’Etranger

texte communiqué par le ministre Justin Katinan Kone « Un article intéressant à lire et à partager »

Lors d’un colloque sur la CPI, tenu dans un pays africain, un participant a demandé à un ancien ambassadeur des USA, qui défend la cause de la CPI, pourquoi son pays ne ratifie pas le statut de Rome. La réponse de l’ancien diplomate a été sans ambages. “ we trust our Justice”. Entendu « nous avons confiance à notre justice ». En tant que juriste et africain, j’avais été choqué par cette réponse qui traduit le narcissisme américain.
Par la suite, après les révélations très graves faites par le journal en ligne français Mediapart et un certain nombre de journaux européens sur la manière dont l’ancien Président ivoirien s’est retrouvé à la CPI, j’ai décidé de suivre de plus près son procès. Je n’ai pas eu tort de prendre une telle décision. La lecture du procès de monsieur Laurent Gbagbo renseigne sur deux éléments essentiels qui n’ont de cesse de nourrir ma curiosité. D’un côté, comment la cour pénale internationale gère l’exception, à elle reconnue, de la compétence ratione loci et de l’autre, comment elle arrive à concilier la diversité culturelle des juges qui l’animent.

I. Exception à la compétence ratione loci contre droits de l’homme.
La compétence ratione loci, entendue la compétence qui est reconnue aux tribunaux nationaux de chaque pays de connaître uniquement des affaires criminelles commises sur son territoire, est un autre aspect de la souveraineté nationale. Le juge rend ses jugements au nom du peuple. Ce principe de droit est d’application stricte et n’admet d’exception que dans des rares cas, tous possibles que dans les cadres de traités bilatéraux ou multilatéraux. En effet, il arrive que des États, voulant renforcer la protection de leurs citoyens, passent des traités bilatéraux avec plusieurs autres États à l’effet de juger eux-mêmes leurs citoyens quel que soit le lieu où ils auraient commis des crimes. Les champions toutes catégories de ces traités sont les États Unis d’Amérique. Ils obtiennent très facilement ces genres de traités avec les pays pauvres, notamment ceux d’Afrique, contre promesses d’aides multiformes. Le plus souvent, ces traités ne sont pas assortis, de facto ou de jure, de la clause classique de la réciprocité.
Dans l’état actuel du droit pénal international, le seul cadre multilatéral qui fait entorse au principe de la compétence ratione loci reste le traité de Rome instituant la CPI. En effet, c’est le seul cadre formel qui a compétence pénale planétaire, abstraction faite des tribunaux pénaux ad ’hocs, du reste en voie de disparition, créés par L’ONU pour connaitre de diverses affaires localisées.
En suivant avec une attention soutenue l’affaire Procureur contre Laurent Gbagbo, j’ai compris que le critère de territorialité de la compétence des tribunaux a une dimension pragmatique que la CPI a du mal à mettre en œuvre. La procédure pénale interne repose sur le monopole de la force reconnue à l’Etat. Celui-ci dispose de moyens de coercition pour donner force exécutoire aux décisions de justice. Sans la force publique, le droit pénal deviendrait chimérique voire illusoire. Cette force manquant à la CPI, cette dernière ne peut compter que sur l’exécution bona fide des traités internationaux par les États parties pour donner force exécutoire à ses décisions. Par exemple, lorsqu’ un juge octroie une liberté provisoire à un détenu, le temps qu’il vide l’affaire dont il est saisi, les mesures de sureté conservatoires qu’il prend pour garantir la comparution de l’accusé sont exécutées par la force publique. Il n’y a aucun risque, du moins le risque est très faible que l’accusé échappe à la justice. Ayant un territoire de compétence infini, ce qui vaut, in fine, à ne pas avoir de territoire, le juge de la CPI a tendance à faire de la détention la règle de ses mesures préventives. Dans le cas de l’affaire procureur contre monsieur Lauren GBAGBO, les juges de la CPI ont refusé plus de 12 fois la liberté provisoire à celui-ci. Les arguments avancés pour justifier cette détention, dont la durée (plus de 7 ans) défie tous les standards mondiaux, expriment le désarroi des juges de cette cour. Comment peut-on en effet reprocher à un ancien chef d’État d’avoir des relations dans son pays ou ailleurs. Cette longue détention, déjà intolérable, quand monsieur Gbagbo avait le statut d’accusé, devient un véritable déni de justice, une violation inacceptable de ses droits depuis la décision du 15 janvier par laquelle la chambre I, qui connaissait de son affaire, l’a acquitté de toutes ses charges Et a ordonné sa libération immédiate. La décision de suspension des effets du jugement de la chambre de première instance, ordonné par la chambre d’appel ne peut que choquer tout esprit sensible à la bonne justice. Elle est d’autant plus choquante que cette chambre est présidée par le Président de la Cour lui-même. Malheureusement, ce n’est pas le premier cas de violation des droits de monsieur Gbagbo par la CPI. Si l’on s’en tient aux révélations du journal en ligne Médiapart d’il y a plus d’un an, monsieur Laurent GBAGBO a été mis aux arrêts sur réquisition du procureur Ocampo avant même qu’une enquête ne fût ouverte et un mandat en bonne et due forme ne fût émis contre lui. De même, dans sa décision du 12 juin 2013, la chambre préliminaire de la cour avait également ordonné le maintien en détention de monsieur Gbagbo après avoir jugé, pourtant, que les preuves réunies par le procureur au soutien de ses allégations contre lui étaient insuffisantes. Une extension de délai avait alors été accordée au procureur pour réunir d’autres preuves. Aujourd’hui, monsieur Gbagbo est maintenu en prison alors qu’il n’est coupable de rien. Il a dépassé la simple présomption d’innocence pour être dans le statut d d’innocent de jure. Nous sommes revenus à l’ère sombre de l’inquisition. Avec le cas Gbagbo, les différentes révolutions anglaises et françaises n’ont jamais existé, encore moins la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui s’efface tout aussi. Paradoxe des paradoxes, le coup de gomme en est porté par le tribunal de l’ONU. Pour soutenir cette absurdité surréaliste, le traité de Rome s’est aménagé une zone de non droit avec l’article 81-3c qui donne pouvoir au procureur de demander un sursis aux conséquences inhérentes à tout acquittement : C’est à dire la liberté. Ainsi, pour contourner une faiblesse structurelle et matérielle de la Cour, l’on sacrifie le droit le plus cher de l’homme, celui qui justifie sa socialisation : la liberté.
Mais il y a plus grave dans les arguments avancés par le procureur au soutien de sa requête. Le procureur demande à la Cour d’interdire à monsieur Laurent Gbagbo de rentrer dans son pays au motif que l’actuel Président de la République de ce pays a déclaré publiquement ne plus vouloir envoyer aucun de ses compatriotes à la CPI. En développant un tel argument, le procureur de la CPI déclare prendre acte de la non coopération de l’État de Côte d’Ivoire et demande même à la cour entière d’en faire autant. En effet, une décision prise par n’importe quelle chambre de la cour, en se fondant sur les arguments ci-dessus avancés par le procureur, équivaudra à la fois à une légalisation et une légitimation du refus des autorités ivoiriennes de collaborer avec la CPI. Pourtant, le patron de ce qui fait office de parquet à la CPI, la gambienne Fatou Bensouda, ne cesse de clamer qu’elle enquête sur les autres crimes commis par le camp Ouattara. Si la Cour fait droit à la requête du procureur sur ce point, les chances de voir un jour les responsabilités de Ouattara et de ses alliés mises en balance devant la CPI auront définitivement disparu à cause d’une décision de la cour elle-même. Cela constituera alors une jurisprudence dangereuse pour le droit pénal international. Celle-ci aura du mal à se relever d’une telle incohérence eu égard à sa fonction primitive et essentielle de lutte contre l’impunité.
Il y a plus malicieux dans l’argument du procureur. En effet, lors de sa première comparution en audience d’inculpation le 5 décembre 2011, monsieur GBAGBO, par cette phrase simple : « madame et messieurs les juges je suis là. Nous allons aller jusqu’au bout » avait clairement exprimé sa volonté de se soumettre à la Cour et de collaborer avec elle. A contrario, les autorités ivoiriennes qui, après l’avoir conduit devant la CPI, ont décidé de ne plus y envoyer de citoyen ivoirien. Donc le procureur demande à la CPI de prendre en compte la volonté de non coopération d’un Etat partie pour refuser la liberté à un acquitté qui s’est engagé, lui de façon solennelle, à coopérer dès l’entame de son procès avec la Cour. Cela dépasse toute forme de raison et choque le bon sens. Par son revirement par rapport à sa coopération avec la CPI, l’actuel chef de l’Etat ivoirien expose au monde entier qu’il a utilisé la CPI à une seule fin, l’éloignement politique de monsieur Laurent GBAGBO, son adversaire certainement le plus redouté. Dans cette affaire, madame Simone GBAGBO ne joue que le rôle d’épouvantail pour assurer la protection des alliés de monsieur Ouattara, eux-aussi visés par la CPI. En avançant l’argument du refus de coopération du gouvernement ivoirien pour soutenir sa requête en suspension de la libération de monsieur Laurent GBAGBO, malgré son acquittement, le procureur met totalement la CPI à la disposition de monsieur Ouattara qui aura utilisé, à la fois par action et par omission, le traité de Rome pour éloigner un adversaire politique.
Au total, en maintenant monsieur Laurent Gbagbo en détention, la CPI en fait un homme sans droit à qui le tribunal de l’ONU impose des restrictions sur sa liberté alors qu’il n’est même pas poursuivi. En effet, depuis la décision des juges de la chambre de première instance qui consacre son innocence, monsieur Gbagbo n’est plus pour le moment poursuivi. Au nom de quoi devrait il perdre toute ou partie de sa liberté, celle-ci constituant l’essence même des droits de l’homme.
Or, sur la valeur des droits de l’homme, il nous est donné de lire dans les différentes décisions relatives à l’affaire Gbagbo une appréciation divergente des juges suivant leurs cultures juridiques.

II Une justice rendue difficile par la diversité socio culturelle des juges
Dans sa thèse « de l’affaire du Katanga au contrat social global, un regard sur la Cour pénale internationale »蜉, et résumé dans son livre « l’ordre et le monde, critique de la Cour pénale internationale »蜉, Juan Branco, observateur interne de la CPI, met en lumière les divergences et les antagonismes qui s’entrechoquent au sein du tribunal de l’ONU. L’affaire Laurent GBAGBO est symptomatique de ce qui apparaît finalement comme une maladie congénitale de la CPI. En effet, depuis le début de l’affaire Laurent Gbagbo, l’on note des divergences profondes entre les juges sur certains concepts à la fois basiques et fondamentaux du droit pénal lui-même. Par trois fois au moins, le Président de la chambre de première instance d’origine italienne s’est trouvé mis en minorité par ces deux autres collègues, l’un de Trinidad et Tobago et l’autre de la République dominicaine, sur la question de la longueur exagérée de la détention préventive de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé. Le premier a souvent répété, par des décisions dissidentes à celle de ses collègues, que cette détention constituait une violation grave des droits de monsieur Laurent GBAGBO qui était alors dans le statut d’accusé. En face, les deux autres répondaient que la gravité des charges qui pesaient sur les deux accusés étaient telle qu’il fallait les maintenir dans les liens de la détention. Au demeurant, ce raisonnement est absurde et pose l’une des faiblesses du statut de Rome qui est un amalgame de droit pénal anglo-saxon et romain. En effet, de par son caractère exceptionnel, la CPI est appelée à connaître des crimes les plus graves qui dominent la hiérarchie des crimes. Dès lors, quel est l’intérêt pratique d’une distinction entre les crimes pour lesquels les personnes poursuivies sont déférées devant la cour ? comment opérer cette distinction sans tomber dans la subjectivité. Si l’on s’en tient à ce critère de gravité des crimes, la détention préventive deviendrait alors la règle et la liberté l’exception. C’est toute la construction pénale, axée autour de la présomption d’innocence qui s’écroulerait. Le tribunal de l’ONU ferait la pire contre révolution contre les droits de l’homme et sa propre déclaration de 1948 se rangerait parmi les reliques de l’histoire.
Dans leur décision dissidente du jugement portant effet suspensif de la décision de la chambre de première instance, les deux juges britannique et polonais ont relevé que la liberté est acquise immédiatement, mécaniquement et de manière irrévocable à l’acquitté sans qu’il ne soit nécessaire pour le juge de la signifier expressément. Cette liberté découle naturellement et légalement de l’acquittement qui innocente l’accusé (art.81 du Statut de Rome). Désormais innocent, le prévenu retrouve immédiatement la plénitude de ses droits de citoyen et dont le plus important reste la liberté. Pour les deux juges, le droit à liberté de l’acquitté existe et détient lui-même sa force exécutoire. Nulle puissance ne peut ni le supprimer, ni en diminuer la portée en dehors, exceptionnellement, de la chambre de première instance elle-même, agissant sur requête du procureur, dans les conditions strictement encadrées par les dispositions de l’article 81-3c du statut de Rome. Tirant sa force directement du statut lui-même, la mise en liberté immédiate de l’acquitté échappe, de plein droit, à la censure de n’importe quel autre juge. Autrement, ce dernier se substituerait au « législateur » qu’est l’assemblée des Etats membres. Pour les deux juges qui ont émis l’opinion dissidente, seul la décision de refus de la libération immédiate prise par la chambre inférieure reste appelable devant la chambre supérieure. Cette décision, constituant une exception, devient dès lors la base de l’appel. Le juge de la chambre de jugement ne crée pas la liberté de l’acquitté. Elle s’impose à lui-même. C’est pourquoi il ne peut s’autosaisir pour délibérer sur un effet suspensif de la mise en liberté immédiate qui sanctionne un acquittement. Donc, quand elle rejette le recours, devant elle formulé par le procureur en vertu de l’article 81-3c, la chambre ne crée pas une nouvelle situation de droit. Dès lors, tout appel fait par le procureur sur la réponse négative de la chambre devient sans objet et devrait être rejetée in limine par la chambre d’appel pour exception d’incompétence. Les 3 juges nigérian, ougandaise et péruvienne ont pris une autre direction en s’octroyant, par une interprétation extrapolée de la jurisprudence Ngudjolo Mathieu. Or dans l’espèce, la chambre de première instance avait donné droit à la requête du procureur à l’effet d’obtenir la suspension de la libération immédiate découlant de l’acquittement de L’accusé. Cette exception ordonnée par la chambre de première instance avait fait l’objet d’appel de l’acquitté devant la chambre supérieure. Cette situation est totalement opposée à celle de l’affaire Gbagbo et la jurisprudence qui en a résulté ne peut, en aucun cas, servir dans l’occurrence. En extrapolant la jurisprudence Ngudjolo au cas Gbagbo, les juges de la chambre d’appel s’octroient un pouvoir que ni le statut de Rome ni les principes de droits ne leur donnent. Parce que la liberté est le droit le plus important immédiatement après celui se rapportant à la vie, ce droit mérite d’être protégé pour tout accusé a fortiori pour une personne reconnue innocente, et qui retrouve de, jure et de facto, la plénitude de ses droits. Mais à la lumière de son procès il y a bien longtemps que Laurent Gbagbo a perdu sa qualité de citoyen et d’homme dans l’indifférence totale des défenseurs des droits de l’homme. Dans ce dossier, le procureur titre tous les avantages des hésitations des juges de siège.
Aussi pousse-t-il le bouchon jusqu’à demander à la Cour d’en faire un apatride ou tout au moins un exilé. En effet, dans sa requête aux fins de suspension de la mise en liberté de monsieur Laurent GBAGBO, le procureur souhaite que la cour refuse à monsieur Laurent GBAGBO, acquitté, de retourner dans son pays, d’où il avait été transféré vers la CPI. Comment la cour s’y prendrait, en droit, pour dénier à un homme libre le droit de retourner dans son pays sans verser dans l’abus. Quel serait le statut juridique de monsieur Laurent Gbagbo, un homme libre interdit d’accès à son pays ? un exilé ou un apatride de fait ? La nationalité d’une personne est sacrée en ce qu’elle constitue la base de l’existence juridique de cette personne aussi bien à l’intérieur de son pays qu’à l’extérieur de celui-ci. Dans l’affaire Nottebonm, la CIJ, dans ses conclusions, relève que la nationalité qui lie une personne à un État constitue un devoir impérieux pour cet état de protéger cette personne. C’est au nom de ce principe, érigé en valeur supra légale, que les puissances occidentales se donnent le droit d’intervenir dans d’autres pays pour protéger leurs nationaux. Au demeurant, la constitution ivoirienne proscrit l’exil des Ivoiriens. Depuis 1951 pour les uns et 1954 pour les autres, l’ONU, tout en protégeant les exilés et les apatrides, tente de juguler autant que possible ces deux phénomènes qui constituent les deux facettes d’une même situation juridique au regard de la nationalité d’une personne. Comment l’ONU tolérerait-t-elle que son propre tribunal crée de nouveaux types d’exilés ou d’apatrides « judiciaires ». Or, en demandant à la cour d’empêcher messieurs Laurent Gbagbo et Blé Goudé, hommes libres, de rentrer chez eux, le Procureur demande à la CPI d’en faire au minimum des exilés forcés. Toute restriction que la cour porterait à la liberté des deux acquittés de retourner dans leur pays constituera la plus grave violation de leurs droits élémentaires qu’ils tiennent à la fois de la Constitution ivoirienne et de la déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU de 1948. Cette violation de leurs droits serait d’autant plus inacceptable qu’elle viendrait de l’ONU elle-même. Dans ces conditions, comment la Cour pourrait-elle tenir devant les critiques qui soutiennent que monsieur Laurent Gbagbo fait l’objet d’un harcèlement judiciaire punitif pour des raisons politiques. En suspendant la liberté de Gbagbo la cour a perdu là une opportunité de sauver sa face dans ce procès. Toutes les erreurs judiciaires portent toujours la marque d’un procureur zélé et inutilement haineux et des juges qui abandonnent leur indépendance.
C’est également du côté du procureur que les victimes, qui forment la partie civile de ce procès, doivent regarder pour trouver l’explication de leur déconvenue judiciaire. Dans le procès de monsieur Laurent GBAGBO, le procureur a fait preuve d’un entêtement à nul autre pareil. Il a été incapable de tirer avantage de la générosité dont ont fait preuve, à son égard (procureur), tous les juges qui ont connu de cette affaire.
En juin 2013, c’est de justesse que les poursuites engagées par le bureau du procureur contre le sieur Gbagbo ont échappé à une fin prématurée. Un délai de sursis avait été accordé au procureur pour lui permettre de corriger la faiblesse de ses preuves. Un an après, c’est encore in extremis, que les charges avaient été confirmées dans des conditions qui restent encore troubles. Une opinion dissidente forte avait prévenu le procureur sur l’extraordinaire faiblesse de ses preuves. En milieu de procès, les juges de la chambre de première instance avaient même suggéré au procureur de rectifier ou d’abandonner toutes ou partie de ses charges. Le procureur y est resté sourd. Tout homme averti aurait trouvé dans l’autorisation donnée par la chambre aux accusés d’introduire une requête en non-lieu comme les prémices d’une déconvenue judiciaire pour le procureur. Mais pourquoi ce dernier s’est-il entêté à conserver son narratif malgré les appels du pied des juges ? une opinion pense que la réponse se trouve dans le défaut de neutralité et d’impartialité dans l’approche du procureur dans le dossier ivoirien. Toute autre démarche l’aurait contraint à poursuive simultanément les deux camps opposés dans cette crise post-électorale survenue en Côte d’Ivoire en 2010. Or, le procureur semble s’être laissé guidé, dans sa démarche, par la clameur publique qui avait désigné le coupable avant tout jugement. C’était Laurent GBAGBO, le méchant contre le gentil Ouattara. Seul un narratif qui corrobore la thèse du génocide permettait de préserver le camp des gentils des poursuites. Il est en effet difficile de poursuivre, pour les mêmes faits, deux camps pour génocide parce que l’un des camps (celui des gentils) aura agi par légitime défense pour protéger les siens contre les attaques génocidaires de l’autre camp. Le procureur ayant refusé d’admettre qu’il y avait eu une guerre en Côte d’Ivoire a voulu dénaturer la réalité des faits qui font l’objet de ses poursuites. Il lui était impossible de trouver les preuves pour soutenir des allégations qui n’ont jamais existé dans les faits.
Nous sommes ici dans le domaine du droit, plus précisément du droit pénal qui n’admet pas de laxisme dans son application. Les médias ne créent pas le droit. Il y a encore trop de propagande sur les 3000 morts. Un tribunal sérieux, de surcroit la CPI ne peut se nourrir de propagande. Dura lex, sed lex.
Devant tant d’errements de la CPI dans l’affaire Procureur contre Laurent GBAGBO les propos de l’ambassadeur américains ci-avant mentionnés interpellent ma conscience candide. Le monde est encore trop injuste pour se donner une cour pénale internationale.

Fakry Khaled Mahmoud
Docteur en droit enseignant-chercheur et observateur régulier de la CPI
Alger

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Morten Bergsmo ( avocat international européen, directeur du Centre de recherche en droit international et des politiques)  « La France devra déterminer comment elle en est arrivée à participer à l’échec des poursuites contre Laurent Gbagbo ».

L’acquittement de Laurent Gbagbo révèle qu’il existe un problème de contrôle qualité au sein de la Cour. Ce n’est pas nouveau. A vrai dire, sa capacité d’enquête a même été affaiblie dès le début. Le budget d’origine adopté par les Etats membres de la CPI prévoyait que le procureur occuperait des fonctions de direction, tandis que son chef de cabinet officierait à un niveau inférieur, uniquement professionnel. Mais dès mai 2003, le premier procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, a échangé ces attributions devant l’insistance de son premier chef de cabinet. Conduite depuis les plus hauts niveaux, une division imprévue et compliquée consacrée à l’analyse diplomatique et politique a été créée.
C’est cette division qui a collaboré avec le ministère français des affaires étrangères pour que Laurent Gbagbo soit arrêté et détenu, plusieurs mois avant le début de l’enquête de la Cour. Comme l’a expliqué la journaliste d’investigation française Fanny Pigeaud en octobre 2017, le gouvernement Sarkozy soutenait l’adversaire politique de Laurent Gbagbo à l’époque, l’actuel président Alassane Ouattara. Fanny Pigeaud a exposé en détail la façon dont une diplomate française, qui avait dirigé la division diplomatique du procureur Moreno Ocampo entre 2006 et 2010, a coopéré avec le bureau du procureur après être retournée au sein du ministère des affaires étrangères, pour s’assurer que Laurent Gbagbo soit placé en détention quand Alassane Ouattara prendrait ses fonctions, jusqu’à ce que la CPI ait fini de préparer son dossier. Il s’agit de la procédure qui a échoué le 15 janvier 2019.

J’ai partagé l’article de Fanny Pigeaud avec mes étudiants à la faculté de droit de l’Université de Pékin, la plus grande de Chine. Ils étaient ravis : « Vous voyez, professeur, nous vous avions dit que les juridictions internationales ne pouvaient pas être indépendantes face à des gouvernements puissants. Elles sont forcément instrumentalisées. C’est pourquoi la Chine ne doit pas rejoindre la CPI. » C’était le sentiment commun des étudiants, parmi lesquels figurent des aspirants aux fonctions de dirigeants chinois.

Source: Extraits de sa Chronique au journal Le Monde ( France )
Patrick Trioni