Le 11 avril 2011, tel qu’il a été vécu par Saint Claver Oula

Mon 11 avril

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Excédé par les bruits assourdissants de bombes que larguait l’armée française sur la résidence du président Laurent Gbagbo, mon fils de 2ans est tombé dans un état de traumatisme qui faisait qu’il était tout temps effrayé et apeuré, sa sœur ainée, quant à elle, trouvait son refuge quotidien sous mon lit, parce qu’elle ne voulait plus rester dans sa chambre. Mon épouse n’en pouvait plus. Ses sœurs habitant dans la caserne d’Agban avec leur père, officier de gendarmerie appartenant au Groupement d’escadron blindé (Geb) du commandant Abéhi, ne cessaient de nous joindre pour prendre de nos nouvelles et nous donner les leurs.
Leur père, tout comme son patron était en première ligne de combat pour empêcher que les assaillants s’emparent du camp afin de commettre des massacres et s’adonner aux viols tous-azimuts dans les familles… Son frère, lui aussi gendarme, est sur le front ouest à Blolequin. Quelques jours plutôt, quand il me joint, c’est pour me dire qu’ils ont été la cible de MI24 de l’Onuci qui a bombardé leur cargo au moment où ils allaient en renfort à Duékoué où des Dozos appuyés de Frci commettaient des massacres sur des civils. Ils ont dû se disperser dans la brousse n’ayant aucun moyen de défense aérien parce que la France avait détruit la flotte de l’armée ivoirienne en 2004. Et depuis quelques jours, plus de nouvelles de lui.

Deux semaines plus tard, mon téléphone sonne, c’est lui. « Grand-frère, je suis à San-Pedro avec un de ma promo ». Moi-même, « journaliste de Gbagbo », l’étiquette collées aux journalistes défendant les idéaux du camp Gbagbo, il fallait que je me mette à l’abri. La situation devenait de plus en plus intenable. Fallait-il prendre le chemin de l’exil ? Je consulte le niveau de carburant dans mon véhicule (une Golf 3) et je n’envisage pas cette possibilité. Je ne pouvais pas prendre un si grand risque d’aller jeter en cours de chemin mon épouse et nos 3 enfants. Chaque seconde qui passe envahit mon esprit des conseils d’un ainé, un officier supérieur de l’armée aujourd’hui en exil dont je suis voisin à la famille à la Riviera2, qui me donnent de très bonnes idées. Ma décision finale de rester ne tranquillisait pas des parents, amis et connaissances qui ne cessaient de faire crépiter nos téléphones portables, Mme et Moi. Un journaliste d’investigation ayant aussi toujours un tour de ruse dans son sac, je décide de rester avec ma famille.

Le 11 avril 2011, à 8h30, un cousin, officier de police, dans la garde rapprochée du président Gbagbo, à sa résidence officielle de Cocody où ses frères d’arme et lui ont tenu tête aux forces pro-Ouattara a plusieurs reprises, me joint depuis le village Ebrié Blauckauss où il se fait soigner chez une âme généreuse après avoir pris des éclats d’obus des hélicoptères français qui les ont bombardé toute la nuit, pour m’annoncer que de nombreux chars faisaient mouvement chez le président. « Les nouvelles ne sont pas bonnes » me dit-il. Les heures qui suivent sonneront la mort de la démocratie en Côte d’Ivoire et l’avènement d’une longue dictature teintée d’enlèvements, de tortures, de tueries, d’emprisonnement arbitraires pour les plus chanceux des partisans du président Laurent Gbagbo, de licenciement à la pelle dans les entreprises d’Etat, d’exil forcé en violation flagrante de la constitution, du rattrapage ethnique, de l’expropriation des biens…

Le «déboulonnement» de cette dictature, parce qu’elle est effectivement dictature qu’on déclare publiquement qu’elle est «indéboulonnable», si elle ne vire pas à la démocratie, exige à la fois de l’endurance et de la détermination. Les écailles sont en train de tomber des yeux et des signaux sont prometteurs. Grand merci à ces différentes familles qui ont bien voulu accueillir la mienne durant la crise, grand merci à ceux qui ont bien voulu me recevoir aussi chez eux. Demain il fera forcément jour. OVAJAB !
Saint-Claver Oula
11 avril 2013,