Lazare Koffi Koffi : « Pour nous, Affi n’est plus du FPI…Gbagbo est d’accord avec Bédié »
Après 8 ans passés en exil, l’ex-ministre (FPI) Lazare Koffi Koffi est rentré au bercail le 31 janvier 2019. L’acquittement de Laurent Gbagbo en passant par la plateforme de l’opposition et l’élection présidentielle de 2020, toutes ces questions sont abordées par l’ex ministre de l’enseignement technique du FPI dans cette interview.
Monsieur le ministre, après 8 ans d’exil au Ghana, vous êtes rentré définitivement en Côte d’Ivoire. Qu’est-ce qui a motivé ce retour au bercail ?
– Pour plusieurs personnes, ce retour était inattendu mais pour nous, c’était préparé. Nous avions analysé un certain nombre de paramètres et nous avons suivi les signes du temps. Et nous avons estimé qu’il fallait rentrer. Dans un premier temps, il y a eu la loi de l’amnistie. Plusieurs fois, le gouvernement avait envoyé des missions au Ghana pour demander de rentrer mais n’ayant pas confiance, nous avons dit, il fallait que le gouvernement pose un acte.
Il y a eu dans un premier temps l’ordonnance d’amnistie que nous avons souhaitée qu’elle se transforme en une loi et cela a été fait. Et deuxièmement, ce pourquoi nous étions partis. C’était que le président Gbagbo qui était un président démocratiquement élu par le peuple de Côte d’Ivoire, la manière dont il a été déchu du pouvoir n’était pas acceptable. C’est par réaction à cela que nous sommes partis.
Et voici que le 15 janvier dernier, il a été justifié, acquitté et blanchi de tous les crimes dont il a été accusé à la CPI. L’un mis dans l’autre, il nous était donc apparu important de retourner et il n’y avait plus de raison de rester là-bas.
Dans le temps, vous évoquiez des questions de sécurité avant le retour au bercail. Est-ce que cette condition est remplie aujourd’hui ?
– C’est sur le terrain que nous allons apprécier car la question de sécurité ne peut pas être complètement être appréciée de l’extérieur. Sur la base de la confiance et de tout ce qui a été dit, il fallait que nous venions. Et puis il y a des Ivoiriens qui vivent dans cet environnement d’insécurité.
Comment ils font pour y vivre ? Nous avons beaucoup de nos camarades qui vivent ici et de nombreux camarades qui étaient en prison ont été libérés. Donc nous allons ensemble vivre la situation que vivent tous les Ivoiriens. Donc la question de sécurité n’était pas la question primordiale. Ce qui était important pour nous était le président Laurent Gbagbo pour lequel nous pensions qu’il subissait une injustice et il fallait tout faire pour que le président soit libéré.
Donc nous sommes rentrés parce que nous savons qu’il va revenir bientôt car tous les signes nous permettent de le dire et nous sommes donc venus pour préparer son retour au pays pour qu’il vienne trouver un peuple réconcilié et un environnement sain.
Il y a deux ou trois ans en arrière, certains de vos camarades qui étaient rentrés d’exil ont été poursuivis et mis aux arrêts. Ne craignez-vous pas ce même syndrome pour vous ?
– Non nous ne craignons pas cela car dans la vie, chacun a ses activités, projets et ce qui lui parait bon. En ce qui me concerne, je ne fais pas de cela une préoccupation. Nous ne sommes pas venus pour tuer ou insulter qui que ce soit. Nous sommes venus chez nous. S’il y en a qui veulent tuer, qu’ils nous tuent. Nous n’allons pas rester dans cette peur pour ne pas rentrer.
Comme les tenants du pouvoir parlent de réconciliation, nous sommes venus sous instruction du président Laurent Gbagbo qui nous envoie en mission pour la réconciliation. Donc je me sens missionnaire pour la réconciliation. Nous sommes venus pour être des artisans de paix. Et si cela est possible, nous allons rencontrer tous ceux que nous devons rencontrer. De part et d’autre, nous allons poser des actes pour montrer que nous ne sommes ennemis de personne. Quand tu as été justifié par Dieu, ce n’est pas à toi d’aller te venger puisque tu as été justifié. Donc c’est dans un esprit de paix et de réconciliation que nous sommes là.
Vous avez créé la coordination du Front populaire en exil et vous rentrez à un moment où le parti créé par le président Laurent Gbagbo est en proie à une crise interne. Votre avis sur ce vent contraire qui traverse votre parti ?
– Moi en arrivant j’ai trouvé un FPI debout. Étant en exil, nous envisagions déjà en 2011 de mettre en place une direction du Fpi en exil au cas où nos camarades qui étaient restés seraient emprisonnés et empêchés d’exercer des activités politiques. Dieu merci grâce au président Miaka Oureto d’abord et quand Affi N’guessan est sorti de prison, les choses se sont passées autrement que nous pensions. Et aujourd’hui, je suis venu trouver un FPI véritablement débout. Quand on dit que le FPI est en crise, c’est une expression que, véritablement, moi, je n’accepte pas.
C’est un FPI debout avec deux têtes ?
– C’est-à-dire qu’il y a un FPI du gouvernement et le vrai FPI. Car le gouvernement a fait cela avec tous les partis politiques et c’est de bonne guerre. Le gouvernement travaille pour affaiblir les partis politiques mais malheureusement je suis au regret de voir que le président du FPI, Affi N’guessan s’est laissé avoir par le gouvernement et en réaction à cela, notre FPI s’est réuni à Mama et nous l’avons écarté.
Et nous pouvons dire que depuis lors, nous sommes en situation de crise avec le gouvernement. Comment faire pour que le FPI légal résiste, c’est là le combat que nous menons. En termes de fortes têtes, de leaders fondateurs du parti, les grandes figures du parti sont avec nous en dehors d’Affi qui s’est entouré d’autres personnes. Je dis qu’il n’y a pas de crise au FPI.
Donc ceux qui sont avec le président Affi N’guessan ne font plus partie du FPI ?
– Nous parlons d’Affi N’guessan seul; sinon nous ne nous sommes pas encore prononcés sur le cas des autres. Pour nous, Affi n’est plus du FPI. S’il fait amende honorable et qu’il veut venir, nous allons aller à un autre congrès pour nous prononcer là-dessus. Sinon jusqu’à preuve du contraire, Affi n’est plus du FPI. Et je ne pense pas qu’Affi va revenir encore.
Est-ce qu’il y a des actions pour faire revenir ceux des militants qui sont avec lui en votre sein ?
– Ils sont tous informés que nous sommes ouverts.
Donc à vous entendre, la réconciliation au FPI est impossible pour ressouder les deux branches de votre parti ?
– Il ne faut pas forcer les gens à être réconciliés. Si Affi N’guessan, par rapport à son attitude, demande à être intégré, nous allons apprécier cela à un congrès.
Qu’est-ce que vous reprochez à Affi ?
– Nous lui reprochons d’avoir vendu le parti et d’accompagner le gouvernement Ouattara.
Vous auriez préféré la politique de la chaise vide ?
– Ce n’est pas la politique de la chaise vide. Nous lui reprochons d’avoir légitimé Ouattara. Et nous lui avons dit. Tu ne peux pas être dans une situation où nous étions à l’époque et vouloir organiser un congrès pour se légitimer. Quand Affi était en prison, Miaka avait voulu commettre cette erreur mais nous nous sommes battus depuis pour empêcher cela. Donc c’est ce que nous avons fait pour Affi aussi mais il n’a pas suivi cela et il a organisé un congrès pour se légitimer et dire que Gbagbo ne va plus sortir de prison.
En vous soumettant à l’amnistie prise par le pouvoir, est-ce que ce n’est pas une façon de légitimer aussi ce pouvoir ?
– Ici, nous sommes dans une situation de fait. Et la situation de 2015 n’est pas la situation d’aujourd’hui. Nous avons dit à Affi de lutter pour Gbagbo car nous savons qu’il n’est pas fautif mais il ne l’a pas fait. Aujourd’hui, nous nous avons la tête haute puisque Gbagbo est acquitté.
Quelle est la réaction du président Laurent Gbagbo face à cette situation qui prévaut au FPI ?
– Ceux qui disent que Gbagbo ne dit rien ne sont pas dans la vérité. Gbagbo dit qu’Affi N’guessan a quitté le FPI et qu’il aille créer son parti politique. Ce n’est pas un reniement.
Donc le président Laurent Gbagbo a chassé Affi de son parti ?
– Non, Affi N’guessan s’est chassé lui-même. Gbagbo n’a pas chassé quelqu’un mais c’est Affi lui-même qui s’est mis de côté. Un comité central qui se réunit et prend une décision et toi, le président du parti, tu dois exécuter cette décision, tu te mets en situation contradictoire avec cette décision du comité central qui est considérée comme la décision du peuple, tu te mets hors du parti.
Je pense que le problème des Ivoiriens, c’est qu’ils ne sont pas habitués à ce genre de situations. C’est pourquoi il y a beaucoup de papillonnements politiques. Un tel qui a été élu sous la bannière du PDCI se retrouve au RDR. Il faut arrêter cela parce que cela ne grandit pas les partis.
Vous rentrez au pays au moment où il y a une recomposition de la classe politique avec le retrait du PDCI-RDA du RHDP. Dans ce contexte, le président Bédié vient de lancer une nouvelle plateforme politique. Quelle est votre opinion sur cette situation ?
Il faut distinguer deux choses dans ce que j’ai pu comprendre dans l’appel du président Bédié. Le pays court une dérive grave. Le pays est menacé de disparition. Il y a les questions de liberté et d’existence qui sont menacés. La forme de gouvernance qui est imposée au pays est telle qu’il faut que nous sauvions le pays. Sur ces questions-là, tous les Ivoiriens quels que soient leurs partis politiques, leurs régions ou leurs religions, nous devons nous mettre ensemble pour sauver le pays.
Tout appel dans ce sens, nous sommes partants. Nous-mêmes, nous avions lancé un même appel il y a quelques années. Aujourd’hui, nous devons sauver la démocratie, il sauver le droit et la justice. Notre pays est en train d’être bradé, d’être vendu et chaque fois que quelqu’un veut se prononcer sur la question, il court le danger d’être emprisonné s’il n’est pas assassiné et cela est grave. C’est pourquoi, pour tout appel dans ce sens, tous les Ivoiriens doivent se mobiliser autour de la Côte d’Ivoire.
Le second élément, c’est que c’est après cette mobilisation autour de la Côte d’Ivoire que nous allons voir est-ce que nous pouvons nous mettre ensemble pour aller à des élections avec des candidats uniques. C’est un autre débat. Nous devons savoir qu’avec le RHDP, il se met en place tout le mécanisme du parti unique comme nous l’avons connu autrefois. Si nous laissons faire, les partis politiques vont tous disparaître. Si les partis politiques disparaissent, il n’est plus question d’aller aux élections. Le premier ministre et un ministre ont dit que c’était bouclé. Cela est grave. Et par rapport à cela, nous devons nous retrouver.
On peut dire que l’interview du président Bédié est salutaire ?
– Oui, c’est salutaire et même Abou Drahamane Sangaré avait lancé un appel pareil. Les Ivoiriens doivent se retrouver pour sauver la Côte d’Ivoire. Et j’insiste là-dessus. Parmi les éléments qui nous permettront d’aller aux élections, la réforme de la Cei. Et sur cette question, nous devons avoir une seule attitude.
Que répondrez-vous à ceux qui disent qu’une plateforme PDCI-FPI ne pourrait pas marcher parce qu’ils n’ont pas la même idéologie politique ?
– Tout est possible. C’est pourquoi le président Henri Konan Bédié a bien fait de le préciser. Il s’agit d’une plateforme pour sauver le pays donc il ne faut pas extrapoler.
Quelle est la position du président Laurent Gbagbo par rapport à cette plateforme ?
– Le président Gbgagbo est d’accord pour cette plateforme. C’est ce qu’il a appelé la réconciliation. C’est la mission qu’il nous a confiée pour que nous allions vers tout le monde pour parler de réconciliation. Il est important que nous sauvions le pays car il est danger.
Il y a une question qui est aujourd’hui sur toutes les lèvres. C’est celle de savoir si Gbagbo, après son acquittement, pourrait être candidat à la prochaine élection présidentielle de 2020 ?
– S’il le désire, il peut le faire et nous-mêmes désirons qu’il soit le candidat du FPI. Donc nous travaillons à cela. Et ceux qui sont au pouvoir le savent. C’est Ouattara et son groupe qui ont peur de voir Laurent Gbagbo revenir au pays. Ils savent que si Gbagbo rentre au pays, toutes les élections que ce soit local ou autre, ils ne gagneront pas. Et le peuple est prêt à cela .
Quand on va finir de sauver notre pays, ceux qui se battent avec le président Bédié sauront que les Ivoiriens sont avec le président Bédié pour sauver le pays. C’est pourquoi, nous saluons tous les combats du président Henri Konan Bédié. Il faut que nous arrachions notre pays des mains des prédateurs.
Guillaume Soro qui est en rupture de ban avec le pouvoir, frappe à la porte de cette plateforme. Quelle est votre lecture de la position de l’ex-président de l’Assemblée Nationale ?
– Notre appel et l’appel du président Bédié ne font pas de restriction. Nous regardons dans les principes. Et il faut que les choses soient claires avec Soro Guillaume. Quel type d’amende honorable Soro Guillaume fait aujourd’hui auprès du peuple de Côte d’Ivoire ? Nous regardons. Le peuple de Côte d’Ivoire a mûri et il regarde les petits détails. Donc en fonction des attitudes des uns et des autres, nous aviserons.
Avec tous les événements qui se déroulent actuellement, nous avons quelques indices de la crise de 2010. Les Ivoiriens doivent-ils avoir peur pour 2020 ?
– Je pense que les Ivoiriens ne doivent pas avoir peur même si on veut nous présenter les épouvantails de 2010 pour que nous laissions tomber des choses. Mais nous ne nous ferons pas avoir. Il n’y aura rien. Nous n’allons pas permettre une autre situation de viol constitutionnel. Aujourd’hui, si nous allons aux élections et qu’il y a un blocage qui ne permet pas à tout le monde d’être candidat, nous n’allons pas l’accepter. Si vous dites que vous avez le pouvoir et qu’on vous aime, il faut ouvrir les élections à tout le monde.
A quelle condition accepterez-vous d’aller aux élections ?
– Il faut la réforme de la CEI. Il faut une CEI débarrassée de toutes ses scories pour permettre une ouverture à tous les candidats qui le désirent. Nous n’allons pas faire comme les années passées. En disant que comme la réforme de la CEI n’est pas faite, nous boycotterons les élections. Cette année, nous ne boycotterons aucune élection. Nous irons aux élections avec une CEI réformée.
Récemment, des rapports de l’Union Européenne et d’Amnisty international ont accablé le régime ivoirien. Votre sentiment sur ces rapports qui enfoncent le pouvoir ?
– Toutes ces Institutions ont soutenu l’avènement de Ouattara au pouvoir mais 8 ans après, elles se rendent compte que ce n’était pas l’homme qu’il fallait. Et la première mission qui avait été donnée à Ouattara, c’était la réconciliation nationale mais il n’a pas réussi. Il a donc utilisé la terreur pour se faire accepter. Donc ceux qui l’ont adulé hier, c’est ceux-là mêmes qui l’accablent aujourd’hui. Et nous, nous ne faisons qu’applaudir. Et nous savons qu’il y a d’autres réactions qui arrivent. Je dis que nous et le PDCI-RDA, c’est nous qui sommes dans le vrai.
En visite à Mama, la résidence de Laurent Gbagbo a été refusée à Mme Gbagbo. Comment appréciez-vous cette situation ?
– Ce n’est pas ce que j’ai appris. Selon des sources proches de Mme Gbagbo, j’ai été informé que la maison n’avait pas d’électricité. Comme la délégation de Mme Gbagbo est arrivée dans la soirée à Mama, c’est pourquoi elle n’a pas pu visiter la maison.
Votre message aux populations Ivoiriennes ?
– Je dis au peuple de Côte d’Ivoire de garder la tête froide et d’avoir confiance. Tous les 8 ans passés en exil, je n’ai eu qu’une seule parole, demeurer dans l’espérance. Dieu va nous justifier. Dieu fait le combat pour nous. C’est le même Dieu qui nous a fait venir, c’est lui qui a fait sortir Gbagbo et c’est le même Dieu qui va faire que la Côte d’Ivoire va se retrouver.
Entretien réalisé par Jérôme N’DRI et Martial Alaté (Nouveau Réveil)
ivoiresoir.net