L’avocate algérienne Zohra Mahi corrige le rédacteur en chef du Figaro Magazine

Maître Zohra Mahi.
Maître Zohra Mahi.

En réaction à un commentaire du rédacteur en chef du Figaro Magazine critiquant, de manière vile et haineuse, l’audace qu’a eue Emmanuel Macron pour mettre en cause la colonisation, l’avocate algérienne Zohra Mahi lui a adressé une longue lettre dans laquelle elle démonte un à un ses arguments. Elle décortique tous les crimes commis par l’armée coloniale française en Algérie, que l’auteur de l’article a tenté de détourner, pour aboutir à la conclusion que la France officielle est effectivement passible de la Cour pénale internationale (CPI) pour «crime contre l’humanité».

Dans cette leçon magistrale qui s’adresse en réalité à toute la classe politique française, et dont nous avons reçu une copie, la juriste analyse dans le détail les faits constitutifs du crime contre l’humanité et leur qualification juridique. Au fondement de ce crime : l’assassinat ciblé. Maître Zohra Mahi revient sur cette histoire, qui est d’actualité, des têtes de résistants algériens coupées par des officiers de l’armée française et envoyés au Musée de l’Homme à Paris dès les premières années de la colonisation. Elle cite les noms d’une dizaine de ces «indigènes» victimes d’assassinat ciblé. Elle rappelle, pour illustrer son propos, le sinistre palmarès d’un tueur en série, Lucien de Montagnac, qui «pour se changer les idées noires qui l’assaillaient, « coupait les têtes d’hommes comme on coupait les têtes d’artichaut », selon sa belle formule».

S’ensuivent les assassinats de masse, plus cruels et plus destructeurs les uns que les autres. Le premier grand massacre eut lieu 17 ans après l’occupation, à Zaâtcha. «La population de tout le ksar a été passée au fil de l’épée, hommes, femmes, enfants, vieillards. Tout a été rasé.» Selon le témoignage d’un colonel de l’armée d’occupation, cité en appui, il y eut plus de deux mille morts dans le seul ksar de Zaâtcha. «On marchait sur du sang, les cadavres empêchaient de passer. On dit que pendant longtemps, la ville sentit la mort et je ne suis pas sûr que l’odeur ait entièrement disparu. Quand on eut enfoui tous les morts, il ne resta plus personne dans la ville, exceptés les douze cents hommes de la garnison».

Au titre de génocide, il y a eu aussi les enfumades, dont la plus connue est celle d’Ouled Riyah avec ses 760 morts, toujours dans les premières années de la colonisation. «Qui a dit que l’idée de la chambre à gaz a jailli un beau jour du cerveau malade d’Hitler ?», s’interroge l’avocate ironiquement.

Troisième crime : la politique de la terre brûlée pour affamer les populations. Une idée inspirée par un rapport du «brillant théoricien de la démocratie», Tocqueville, nommé à la tête d’une commission parlementaire chargée de réfléchir sur la poursuite de la colonisation. Celle politique se résume à l’impératif de réduire les «indigènes» à la plus extrême pauvreté pour que la primauté du colon soit totale.

Parmi les innovations de la colonisation française, on trouve aussi les déportations, les regroupements forcés et la torture. L’auteur rappelle le cas des Algériens déportés en Nouvelle Calédonie «à la suite de procès tellement truqués que jusqu’à ce jour les scellés sont restés secrets et ne peuvent être consultés», et celui de la torture et des camps de regroupement, où l’on mourait «comme on mourait dans le camp d’Auschwitz ou de Sobibor».

A tous ces crimes s’ajoute une variété d’actes inhumains réduits par le journaliste du Figaro Magazine à des «pages grises» de la colonisation.

Sur un ton plus incisif, l’avocate dit ne pas avoir, en fait, besoin de se référer à des historiens «pour savoir que «nous étions 9 millions d’Algériens pour un million de pieds noirs et que dans une salle de classe de 30 élèves, nous étions deux élèves algériennes», ni pour savoir que son père est mort d’une diphtérie facilement guérissable grâce à un vaccin s’il avait pu être admis dans un hôpital.

Elle récuse l’idée véhiculée par tant d’auteurs français, à savoir que le pouvoir en Algérie a pris la peine de construire une «mythologie», en clamant que l’histoire vécue par les Algériens dans leur chair, se raconte, se transmet et se construit encore dans les familles.

Plus politique, l’avocate algérienne demande à ces Français bienpensants de cesser de soutenir «par lâcheté» que les Français d’origine algérienne n’aiment pas la France à cause d’une prétendue rancune liée à la guerre. «C’est vous, assénera-t-elle, qui les avez maintenus fermement en marge de votre société, c’est vous qui les haïssez et non l’inverse, car c’est vous qui détenez le pouvoir. Vous pensez et agissez à leur égard comme Goering « le droit est notre bon plaisir ». Ils n’ont de droits que ceux que vous leur concédez», assène Maître Zohra Mahi.

Pour conclure, elle revient à cette polémique qui déstabilise l’élite française : «Croyez-vous vraiment que les phrases à la Macron vont nous convaincre que vous avez abandonné votre racisme structurel ou que vous nous avez couverts de bienfaits ?»

R. Mahmoudi, algeriepatriotique

Extraits du discours d’Emmanue lMacron qui a tellement choqué les pieds noirs et les béni-oui-oui de la politique,

(…) Entre l’Afrique et la France, entre l’Afrique et l’Europe, il y a une histoire.Il y a une histoire parce que, au fond, nous sortons de plusieurs décennies d’un passé qui ne veut pas passer. Ce qui est un problème pour nous. C’est pourquoi je trouve que cette initiative de faire émerger une nouvelle génération est, je pense, l’une des clés de la réussite commune de la France et de l’Afrique. (…) Pendant beaucoup d’années, en France en particulier, certains ont voulu oublier qu’il y avait une histoire coloniale. Plutôt, ils ont voulu la perpétuer. Ça a donné la merveilleuse formule de la Françafrique. C’est à dire qu’on a fait comme si la décolonisation n’avait pas eu lieu. Certains s’y sont essayés dans d’autres pays.
Ça n’a pas été la meilleure option, et pour la France, et pour l’Afrique. Ça n’a pas permis le développement nécessaire en Afrique, ça n’a pas permis de mettre en place une économie stable, ça n’a pas permis d’assainir justement la nature de ces relations et d’avoir une relation vraiment équilibrée. Et ensuite, d’autres ont pensé que la meilleure solution, c’était de (…) tout faire comme si nous n’avions aucune relation particulière entre la France et l’Afrique. Et donc, presque d’oublier ce continent, de considérer que, au fond, ce n’était pas une terre d’avenir, qu’il y avait même une histoire un peu honteuse sur laquelle il fallait jeter un voile. Et nous avons, ce faisant, laissé souvent l’Afrique à ses propres problèmes, nous avons laissé d’autres venir, et collectivement, nous n’avons pas tiré les enseignements.
La nouvelle génération qui arrive aux affaires, de part et d’autre, doit tirer les leçons de ces erreurs passées et prendre en considération que (…) il y a une histoire millénaire entre l’Europe, en particulier la France, et l’Afrique. L’Afrique francophone comme l’Afrique Anglophone. Et cette histoire, c’est notre force. C’est la profondeur des relations humaines, culturelles, qui ont des ramifications dans nos systèmes politiques, dans nos systèmes économiques. (…)
Il faut regarder en face l’avenir et se dire (…) qu’est ce qu’on peut faire ensemble, dans une relation repensée et équilibrée. Parce que c’est cela notre défi commun, c’est le défi de notre génération. Pour ce faire, il faut justement regarder en face, ce que sont nos défis. Je pense que nous avons, en France, en Afrique, beaucoup de défis communs. (…)
D’abord un défi économique. Quand on regarde nos situations, il y a une forme de symétrie parfaite. Nous sommes dans un continent mature, avec un écosystème d’innovations, d’enseignements, des infrastructures stables, des systèmes politiques et démocratiques, peut être trop sophistiqués parfois, avec une lenteur de décision (réelle), des réticences au changement (nombreuses) et le risque d’une stagnation séculaire à nos portes. Précisément parce que les contraintes que porte ce continent sont multiples. (…)
Et en même temps, un continent africain qui, on le sait aujourd’hui, a une croissance annuelle moyenne supérieure à 5%. (…)
Nous avons, de part et d’autre, à vivre la grande transformation du siècle qui s’ouvre, qui est la transformation numérique. (…)
Dans les banques et les assurances, pour ne prendre qu’un exemple, plus de 60% des métiers aujourd’hui n’auront plus cours dans dix ans. Nous créons chaque année 1500 start-up. Il y a, dans la salle, de beaux exemples de leaders français qui font partie de cette génération. (…)
Nous sommes en train de conduire ici une révolution culturelle, économique, qui passe justement par cette transformation qui est le numérique et qui bouleverse les modes de consommation, d’investissement, d’innovation, de production. Et le numérique frappe aussi rapidement le continent africain ou plutôt, vient en quelque sorte comme une opportunité inédite. Et il n’ y a pas une histoire linéaire à ce titre. Ceux qui pensaient que l’Afrique devrait rentrer dans l’air de l’analogique, avant de connaitre le numérique se sont profondément trompés. (…)

Recueillis et Retranscrit par Axel Illary

 21 Juin 2016, La Dépêche d’Abidjan

Enregistrer