La tactique du crabe
« Si on se comporte comme des crabes »
Les révélations de mes confrères de « Mediapart » sur la CPI, pour quelque scandaleuses qu’elles sont et au-delà de tout, posent un seul problème. Celui de la compétence de la CPI à juger Laurent Gbagbo, dès l’instant où, au moment des faits, la Côte d’Ivoire, n’avait pas encore formellement ratifié le traité portant création de la CPI.
Mais les questions de compétence des tribunaux à connaître de telle ou telle affaire, on les pose à l’ouverture des procès. Pas, quand le procès tire vers sa fin.
A l’ouverture du procès de Gbagbo, Me Altit, son avocat principal, a soulevé cette question de compétence de la CPI à juger son client. On s’en souvient tous et, à l’époque, « L’Eléphant Déchaîné » était le seul journal qui publiait les arrêts de la CPI.
Sur la question de la compétence, la Chambre avait répondu dans un arrêt, que la Cour était compétente pour juger Laurent Gbagbo. Me Altit a fait appel de cette décision. La Chambre d’appel a confirmé l’arrêt de première instance. Et cette décision, depuis six ans, est recouverte de l’autorité de la chose jugée, c’est à dire, qu’en aucun cas, on ne peut débattre de nouveau, à la CPI, de la question de sa compétence par rapport à ce procès.
Alors, quand je vois toute l’agitation, quand je vois qu’on demande à Me Altit de faire arrêter le procès en s’appuyant sur les révélations de « Mediapart », je dis, « eh les frères, sortez des émotions. Le droit, il peut être enrobé par la politique, mais c’est pas de la politique ». Les décisions rendues s’appuient sur des principes de légalité (sans texte, pas de décision, hein, Yao N’Dré…), tout le reste n’est que commentaire, selon nos ressentiments. Les juges de la CPI, c’est pas Paul Yao N’Dré qui dit une chose et, le lendemain, dit son contraire.
Les révélations de mes confrères ne peuvent pas arrêter le procès de Gbagbo et encore moins conduire à la dissolution de la CPI, il ne faut pas rêver. C’est trop facile de détenir quelqu’un pendant six ans et puis, un bon matin, on l’appelle et on lui di: « Ah monsieur, on voudrait vous présenter nos excuses. Un journal vient de nous apprendre qu’on n’est pas compétent pour vous juger, donc vous êtes libre, rentrez chez vous… » Cela n’est pas possible à ce niveau. Il n’y a que sous nos tropiques-comme ce fut récemment le cas des étudiants emprisonnés pendants 21 jours et libérés sans explications, sans dédommagement-que de telles choses peuvent se produire.
La libération définitive-je dis bien définitive et non provisoire- ou pas de Laurent Gbagbo, est une décision qui ne sera prise qu’à la fin du procès, je ne vois vraiment pas ce qui pourrait changer cela. Quant à la dissolution de la CPI, je ne suis pas sûr que ce sont les révélations sur les pratiques mafieuses de l’ex-procureur Ocampo, lesquelles pratiques n’ont rien à envier à celles des procureurs politisés qui sévissent dans nos propres tribunaux en Afrique, qui en décideront. Le combat se trouve donc au niveau de la mobilisation que ses partisans et ses soutiens doivent faire pour que la CPI ne gaspille pas le temps dans des interruptions intempestives du procès pendants que les prévenus Blé Goudé et Gbagbo restent en détention. Six ans de détention sans décision de condamnation ni de libération même provisoire, cela est problématique. Ailleurs, sur le fait que les révélations de « Mediapart » ne changeront rien pour la CPI, la preuve est que Me Altit, l’avocat de Gbagbo, en est tellement convaincu qu’en marge de la défense de son client, il est en pleine collaboration avec le Bureau du Procureur de la CPI, dans le cadre de plaintes en préparation, contre certains autocrates africains… Voyez-vous cela…
Alors, il faut sortir des émotions, arrêter d’insulter la terre entière, et observer ce qui se passe dans le monde qui est une leçon pour nous les Africains. Nos aînés, pour certains, nous ont conduits dans l’abîme. Mais cela n’est rien par rapport à ce que notre génération sera capable de faire, quand j’observe certaines réactions.
Je suis sûr qu’en ce moment, beaucoup de personnes au Togo, y compris celles qui ont perdu un membre de leur famille, assassiné par balles dans les manifestations qui ont secoué le pays et qui n’obtiendront jamais justice au Togo, seraient heureuses de voir le président Faure Gnassigbé traduit devant la CPI. Il y a quelques mois, les débats sur le retrait des Etats africains de la CPI dans l’émission « Appel sur l’Actualité » de RFI, voyaient la participation active d’auditeurs appelant du Togo et qui vouaient aux gémonies, la CPI. Aujourd’hui, devant des individus qui circulaient à bord de véhicules 4X4 et qui ont ouvert le feu sur des Togolais aux mains nues, je suis sûr qu’il y a beaucoup de personnes qui n’oseront plus descendre dans la rue pour manifester et qui ont une nouvelle perception de la CPI.
C’est nous qui sommes toujours en train de massacrer nos propres frères, nos propres peuples, à créer des rébellions, à faire des coups d’Etat, à provoquer des famines…pour après s’étonner qu’on ne juge que les africains à la CPI. Pour des gens sans défense comme moi, pour les peuples qu’on veut massacrer, égorger à huis clos, pour un fauteuil présidentiel, la CPI reste le seul bouclier, aussi imparfait soit-il. On y est toujours mieux jugé que chez nous ici où tout est mis en oeuvre au cours de procès politiques, pour que les avocats de la défense, excédés par le zèle des procureurs et autres juges, abandonnent leurs clients, afin que le procès puisse se poursuivre sans débats.
Yaya Jameh, après avoir massacré, fait disparaître des gambiens par centaines pendant plus de deux décennies, a quitté le pouvoir sur la pointe des pieds, pour se réfugier en Guinée Equatoriale, où il est sûr que personne ne lui demandera des comptes et qu’il ne sera jamais extradé dans un autre pays pour y être jugé. On n’entend aucun dirigeant africain, aucun panafricaniste du vendredi, donner de la voix pour que Yaya Jameh rende des comptes à ceux qu’il a martyrisés. Sans la menace de se retrouver à la CPI s’il s’entêtait à rester au pouvoir après sa défaite, il serait encore au pouvoir en Gambie. C’est le même cas pour le beau Blaise qui coule des jours paisibles en Côte d’Ivoire et qui, opportunément, a pris la nationalité ivoirienne pour ne pas risquer d’être extradé dans son pays aux fins de rendre compte à son propre peuple pour qui, cependant, il était prêt encore, moyennant des morts, à faire don de sa personne pendant des décennies, à coups de modifications de la Constitution, sous les acclamations de députés qui ne représentent que leurs propres intérêts et non celui des électeurs. Aucune institution judiciaire africaine, en dehors de celle de son pays qui n’a aucun moyen de pression sur la Côte d’Ivoire, ne le réclame. Aucun dirigeant africain ne lève la voix pour demander qu’il soit jugé, de peur que cela se retourne contre lui-même, demain, puisqu’ils ne sont pas prêts à quitter le pouvoir.
Il y a quelques jours, j’ai observé attentivement la réaction des dirigeants africains, quand l’ancien ministre des Affaires étrangères de l’Ethiopie, Directeur Général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), a osé nommer le grand démocrate, Robert Mugabe, 93 ans au compteur et candidat à sa propre succession à l’élection présidentielle à venir au Zimbabwe, « Ambassadeur de bonne volonté » de l’OMS, pour les maladies non transmissible. Pour quelqu’un qui ne veut pas transmettre le pouvoir de son vivant, le nom était bien trouvé. Aucun dirigeant africain n’a trouvé cette nomination (puisque ce sont eux qui, au sein de l’U.A, ont oeuvré pour…), controversée. Il a fallu la protestation des ONG Internationales, de l’Angleterre, des Etats-Unis, du Canada, grands donateurs de l’OMS, pour que la décision de nomination de Mugabe soit annulée. Car ce brave homme n’a rien trouver de mieux à faire pour son peuple, après la lutte pour l’indépendance, que la destruction totale du système sanitaire de son pays. Lui-même fait tellement confiance à son système de santé que, même pour prendre sa tension, il saute dans l’avion-aux frais d’un peuple appauvri volontairement et résigné- pour Singapour, où les dirigeants, soucieux du bien être de leurs populations, ont construit un système sanitaire particulièrement performants. Voilà les merveilles de notre Afrique.
Devant ce spectacle misérable, devant toutes ces bouffonneries (je pense à Dadis Camara en Guinée et sa parenthèse meurtrière), en l’état actuel de la situation de notre continent, s’il fallait choisir entre nos systèmes judiciaires vermoulus dirigés par des pantins à la solde de potentats et la CPI, je choisirais la CP, sans hésitation. Les blancs chez qui nous aimons courir pour chercher le salut quand nous avons fini de mettre le feu chez nous par nos intransigeances imbéciles, sont passés par des situations encore plus dramatiques que ce que nous vivons en Afrique. Mais eux, chaque fois que la folie de quelques-uns parmi eux a conduit à des massacres, ils ont toujours trouvé les ressources, sans état d’âme, pour prendre des sanctions et des mesures pour que cela ne se répète plus. Nous, nous sommes toujours à idéaliser nos dirigeants, à ne leur trouver aucun défaut, à les considérer comme des gens infaillibles. Pourtant, avant d’accéder aux postes suprêmes, ils étaient de pauvres bougres comme nous, dans les quartiers, dans les rues, dans les villages.
Je crois que c’est sur le campus que j’ai entendu cette phrase de la bouche des leaders de la Fesci: « Si vous vous comportez comme des crabes, on vous mangera avec beaucoup de bruits ».
Arrêtons d’être des crabes et préparons un monde meilleur pour les enfants que nous sommes en train de faire en abondance.
NB/ Ceci est mon opinion. Non seulement je la partage, mais en plus je ne l’ai exprimée que sur ma page. C’est vrai qu’il est difficile de dissocier le journaliste professionnel que je suis, du simple citoyen. Les réactions de ceux qui me liront, sur le fond, sur les limites de mon opinion qui n’est pas une vérité universelle, sont les bienvenues. Mais la moindre attaque contre ma personne, parce qu’on lira mon opinion avec l’oeil du partisan politique, le moindre argument ab hominem et c’est le bannissement. Celui qui ne peut pas commenter sans m’insulter, a le droit d’utiliser la liberté que la nature et les lois lui offrent, pour passer son chemin. Sion, hop! J’utilise ma liberté à moi et c’est le bloquage.
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