L’entêtement du gouvernement à refuser l’accès aux parcs et aux jardins dans les zones dites rouges ne relève pas d’une décision absurde. C’est au contraire l’illustration d’une vision du monde qui privilégie d’abord la rentabilisation économique et les plus fortunés.

Revenons un instant sur la polémique. C’est assez simple : dans les zones où la propagation du virus est encore considérée comme active, comme par exemple en Ile-de-France et a fortiori à Paris, le gouvernement a décidé de ne pas rouvrir les parcs et les jardins. Pour, officiellement, éviter les attroupements. Mais outre que cette crainte est fondée sur la représentation d’une population infantile, incapable de se responsabiliser et de respecter les gestes barrières – alors que depuis le début de la crise sanitaire, elle a au contraire prouver l’inverse – il n’est en fait aucune raison sanitaire qui en justifie la fermeture. D’ailleurs, des scientifiques, médecins et experts appellent depuis des semaines le gouvernement à revenir sur sa décision. Et pour cause, la capitale et sa métropole concentrent les richesses et l’activité, entraînant une hyperdensité, avec son flot de nuisances : pollutions, saturation des transports et manque cruel d’espaces verts. En plus d’être des lieux privilégiés de propagation du virus, nos grandes villes sont particulièrement fragiles face à la catastrophe climatique, car inadaptées pour répondre aux canicules. C’est peu dire que la décision de laisser fermer les parcs est une aberration d’un point de vue sanitaire et qu’elle constitue une injustice sociale majeure.

A Paris, 25 % des logements sont en situation de suroccupation et 6,6 % sont insalubres ou de mauvaise qualité. Pour ces Parisiennes et Parisiens, le logement n’est pas un cocon protecteur, mais un lieu qui les rend malades. La décision gouvernementale sur les parcs les prive d’un accès à la nature que nous savons pourtant vital pour la santé physique et psychologique. Les parcs et les jardins constituent des espaces gratuits, accessibles à tout un chacun. La nature est un bien commun précieux, et encore bien plus précieux lorsqu’elle est rare comme à Paris. En interdire l’accès, c’est renforcer une discrimination entre celles et ceux qui ont pu vivre le confinement hors des grandes villes et ceux qui, assignés dans les centres urbains et à fortiori dans des logements inadaptés, ont dû se contenter d’un horizon de béton. En ville, rendre accessible la nature, créer de nouveaux parcs et jardins, sont aussi des composantes d’une politique de justice sociale. Enfin, on le voit ici, la crise sanitaire accroît la tentation d’une forme de privatisation de ces biens communs, pour en faire un objet de pouvoir et de domination notamment sur les plus fragiles. Avec une logique simple : la nature est rare, son accès ne saurait en être aisé.

Et cela d’autant plus qu’elle ne répond pas à une vision commerçante du monde. Ouvrir d’abord les centres commerciaux (dont la fréquentation, soit dit au passage, présente plus de risques de transmission du virus que dans un espace ouvert comme un parc), c’est nous ramener à la seule fonction portée par le diptyque «production – consommation», utile a l’économie et à la croissance illimitée. Réduits à des unités économiques, la flânerie et la rêverie qu’autorise la nature ne se justifient pas. Dans cette logique, tout doit être rentable. D’ailleurs, les seuls espaces de nature rouverts en zones rouges sont les golfs. Évidemment payants et très chers !

On est bien loin du monde d’après, répété et décrit à longueur de discours et de tribunes. Cette polémique sur la réouverture des parcs, qui peut apparaître mineure, est en réalité un des champs de lutte où se joue la confrontation de plusieurs visions du monde et de ce que doit être «l’après» justement. Cet «après», pour l’écologiste que je suis, c’est un monde qui garantit l’accès aux biens communs à toutes et à tous, c’est un monde qui crée et ouvre des espaces, des lieux, des moments où le rêve, la promenade et les déambulations sont favorisés et valorisés, c’est un monde où la nature et notre santé passent avant toute autre considération. En un mot, oui, il faut rouvrir les espaces verts dans les zones rouges, et les rouvrir maintenant.

David Belliard Président du groupe écologiste de Paris, candidat écologiste à la mairie de Paris
paru sur Libération.fr