comment on meurt chaque dimanche au CHU de Treichville

Dieu, disent les livres dits saints, créa le monde en six jours. Le septième, il décida de se reposer. Dimanche est devenu jour de culte pour la majorité des chrétiens. Dimanche dans les lieux de culte, on prie pour sauver des âmes. Dimanche, malheureusement, dans certains autres lieux comme les hôpitaux, ces structures destinées à soigner pour sauver des vies, quelques individus prient pour que viennent des malades amochés afin de les escroquer ou les laisser mourir. Ce n’est pas une généralité, encore moins une généralisation. Mais, quand le verre est dans le fruit, il n’est pas impossible que tout le sac soit contaminé. En Côte d’Ivoire, il n’y a rien qui étonne. Ou qui doit étonner. Dans toutes les structures hospitalières, l’ombre des voleurs de médicaments ou de froids soigneurs plane. Ces hiboux lugubres sont toujours les premiers à dire : « Il n’y a pas ceci ici, mais allez la- bas, ça coûte ceci », « la radio est en panne depuis X jours, voici l’adresse d’une bonne clinique où il y a une radiographie .» On émergence à double vitesse ou à double sens.

Des personnes de tout âge, tout sexe, toute catégorie sociale meurent gratuitement dans les CHU du pays faute de matériels et d’appareils fonctionnels et d’hommes conscients et sensibles aux malheurs des autres. Paresseux, veules, cupides, commerçants, sensibles à la limite de l’indicible, des médecins, des infirmiers, des brancardiers, des ambulanciers du service des Urgences chirurgicales du Centre hospitalier et universitaire de Treichville (CHU) ont démontré de manière sordide, qu’il est préférable de ne point avoir affaire à eux. Ils sont sadiquement aussi insensibles et humainement froids que certaines sages- femmes face aux parturientes comme le décrit bien Suy Kahofi .

Ce dimanche 7 septembre 2014, au petit matin, 19 jeunes, des amis qui rentraient d’une veillée d’hommage, ont été victimes d’un accident de circulation à la descente du pont de Gaule. Dieu merci, pas de décès, mais des blessés. Dieu merci, ils ont été secourus dans les délais et évacués vers les Centres hospitaliers et universitaires (CHU) de Treichville et de Yopougon. Si les 8 conduits au CHU de Yopougon, ont eu la chance d’être reçus et pris en charge, les 11 déposés par les pompiers au CHU de Treichville sont restés de 7 h à 12 h entre vie et mort. Ils ont eu le malheur d’être envoyés dans un CHU piteusement équipé et où règnent en dieux, quelques personnes sans scrupule des monstres froids au sens de Nietzsche.

Pas moins de 5 heures durant, ils sont restés tels que les pompiers les avaient déposés.  Dans leurs vêtements ensanglantés, leurs plaies ouvertes, ils se tordaient de douleur pendant que les DIEUX des Urgences chirurgicales étaient tranquilles dans leurs bureaux. Quelques-uns, faisaient semblant de se rendre utiles en remplissant des bons d’enregistrement. Comble du manque de professionnalisme alors que les pompiers avaient déposé 11 rescapés d’un accident, ils n’en avaient enregistré que 10. Où était donc passé le 11e malade?

La victime gisait seule, en cet endroit sordide, dans une pièce où on l’avait oubliée. Le jeune avait pris un gros coup de froid. La seule phrase consolante qu’un infirmier trouva à dire, «  ce n’est pas grave, on voit pire que çà ici au quotidien ». Il fallait donc attendre que le dernier miraculé soit enregistré pour enfin commencer la prise en charge. Tout ce temps pour enregistrer des accidentés et délivrer des bons de médicaments, indisponibles à la pharmacie du CHU. « Vous avez la moitié ici, le reste est disponible et payant à la pharmacie interne. Allez là-bas. »

Le CHU de Treichville, un hôpital et un centre universitaire de rang. Les CHU, il n’y en a que 5 dans le pays : 3 à Abidjan, 1 à Bouaké et le dernier à Korhogo, si je ne me trompe. Et le CHU de Treichville ne dispose pas de radiographie fonctionnelle. Diantre! « La radio est en panne depuis longtemps », affirme-t-on en chœur, avant d’indiquer l’adresse privée d’une clinique, où tout se trouve. Sur le dos des malades et prétextant des pannes, se développe un business florissant. La radiographie d’un hôpital de ce rang est en panne. Dans un pays qui se voudrait émergent et qui se targue d’être en train de construire un Institut de médecine nucléaire à Abidjan. Et on le dit sans l’ombre d’une quelconque honte. L’ambulancier, qui se pavane dans sa blouse et avec son air important, remet les bons de radio en murmurant avant de s’éloigner comme si une autre tâche urgente l’attendait. « On fait ça là bas. Cela fait 30 radios. Une radio fait 10 000F Cfa ». Imaginez le calcul qui leur fait se lécher les babines et se frotter les mains quand ils s’imaginent les ristournes qu’ils toucheront sur le client recommandé.

Dimanche, chacun est responsable de son malade (Ph.Badra)

Dans le fond les hôtes du jour se sont comportés comme des dieux vautours. Comment se fait-il que le matériel élémentaire tombe toujours en panne dans nos institutions hospitalières? On se souvient que le décès d’une mannequin Awa Fadiga , au CHU de Cocody, par négligence et faute de scanner a fait des tollés révélateurs de ce que cache l’émergence. Mais là il y a eu des réformes conduisant à la fermeture d’un pan des urgences pour réhabilitation et remplacement du directeur. Mais, qu’est-ce que cela change véritablement au système ? Il y a eu ces mesures parce que le jeune mannequin avait des amis et parents influents, qui ont usé de tous les moyens pour révéler les erreurs du système sanitaire ivoirien et crier leur ras-le-bol. Mais imaginez tous ces moins nantis, ces inconnus qui à défaut d’argent meurent en silence dans ces institutions.

En Côte d’Ivoire, avoir des hôpitaux équipés relève du miracle. Et quand les équipements sont trouvés, cela est annoncé en pompe dans tous les médias pour montrer que le pays est au travail. Oui, le gouvernement travaille pour satisfaire les populations. Mais quand il s’agit de prendre soin de ce qui s’obtient difficilement, on tombe dans l’incivisme. Car être bon citoyen, ne consiste pas seulement à respecter les lois et à ne pas gaspiller l’eau et l’électricité. Un bon citoyen respecte aussi les efforts consentis par l’Etat. On a l’impression que les chers techniciens et médecins rêvent que les équipements de soins tombent rapidement dans la défaillance, afin qu’ils fassent de recommandations de radio ou d’examens dans des cliniques, où ils touchent des quotas sur les patients clients orientés ou envoyés. Pour preuve, dans ce pays, si votre malade doit faire un scanner, il vous revient de louer une ambulance pour le conduire dans une clinique privée, indiquée par le soin du médecin traitant, et de revenir de cette clinique avec votre malade dans l’établissement public afin de continuer ses soins.

Dans un autre cas, on vous indique sèchement qu’il y a panne, mais si vous rentrez dans le contexte, tout se dépanne miraculeusement ou on vous trouve une solution rapidement. Faites un tour au service de radiographie de l’hôpital militaire d’Abidjan (HMA). Si vous ne payez pas le passage, vous risquez de faire de belles racines dans la salle d’attente. Faites un tour aussi à l’INSP d’Adjamé, il y a des examens médicaux qui se font sans reçu. Leurs frais sont directement remis aux techniciens aux blouses dont les poches ont changé de couleur à force de voir les mains entrer pour y déposer des billets de banque et ressortir aussitôt.

Le CHU de Treichville, ne dispose pas de radiographie. C’est grave à entendre. On suppose que le CHU fait au moins des recettes. Comment ne pas réparer aussitôt une machine défaillante, vu qu’une radiographie est une nécessité pour une institution de ce genre. L’Afrique ne ressemblera pas de sitôt aux pays développés hein. ! Combien coûte une radio, pour qu’on n’en ait pas en réserve quand on imagine le nombre d’unités mobiles de radiographie qui sont mobilisées quand il s’agit des concours du CAFOP, de l’ENS, de l’ENA, de la Police.

Si des établissements qui organisent les concours mobilisent des unités mobiles appartenant quelquefois à des structures de privés, le CHU en cas de panne, ne peut-il pas recourir à ces unités mobiles ?

Les imbéciles qui se prennent pour des dieux…

Au CHU de Treichville les demi-dieux et monstres froids sont à la base, logés dans les accueils et les dieux au sommet. Le parcours du combattant commence déjà à l’accueil du service des urgences chirurgicales.

Le vigile à l’entrée se prend pour un dieu, parce qu’il a le privilège de pouvoir ouvrir ou fermer à qui il veut. Là encore il faut négocier,  »le gérer » pour voir son sourire et ses dents dont l’éclat de couleur rivalise avec son uniforme. Son prétexte : il est interdit de rester dans les couloirs. Oui cela est vrai, mais une fois géré, lui même gère et est prêt à trouver la raison suffisante de votre présence dans le lieu interdit, aussi nombreux que vous soyez. Il y a aussi le malin des brancardiers qu’il faut supporter. Eux se prennent pour des médecins, parce qu’ils ont des blouses. Pour entrer dans leur grâce et mériter leur bénédiction hypocrite, il faut les ‘‘voir »quand-ils finissent de transporter votre malade d’un point A à un autre dit B. Les ambulanciers quant à eux se donnent un pouvoir immense. Leurs services sont ultra obligatoirement payants. Il faut les voir se pavaner avec des airs d’affairés, mains gantées et cache-nez descendu au menton. Avant de décoller avec nos malades, ils ont exigé d’être  »vus » d’abord. Evidemment, il leur faut du carburant, sans quoi la machine ne peut se mouvoir. Enfin, avant de voir les médecins, qui n’ont jamais le temps, il faut passer entre les mains des aides-soignants (A.S) et infirmiers. Ceux-là ont le pouvoir de recevoir un malade, de prescrire des bons, de commencer la prise en charge. Ils sont les plus sadiques. Leur phrase fétiche : « Nous, on voit pire que ça tous les jours. » Ce dimanche, ces braves travailleurs sont  en boule d’être au travail, un jour où les autres sont à la plage ou au repos.  Ils ne manquent jamais de rappeler leurs conditions misérables de vie et de salaire

Aucun d’eux ne s’était donné la peine de nettoyer simplement les plaies ouvertes ou les corps mouillés de sang. Cinq heures après l’arrivée au CHU, il était impossible  d’avoir la moitié des médicaments prescrits pour les premiers soins dans la pharmacie de l’institution. La tension commençant à monter face à l’attitude insultante du personnel en présence, se moquant de l’inquiétude des parents du malade, il a été décidé de transporter les blessés vers le CHU de Yopougon, où les autres semblaient avoir été accueillis dans de meilleures conditions. Surprise ! Il n’y a pas d’ambulance. Le CHU qui se trouve dans la commune du ministre-maire Amichia et de l’honorable Ami Toungara , ne dispose pas d’ambulance. La seule ambulance qui se trouvait dans les parages ne pouvant transporter que 5 personnes, le transfert des autres a été effectué dans des véhicules personnels. Là encore, les agents qui ont conduit les malades en chaise roulante attendaient une récompense. Diantre encore ! ignorent-ils que le malheur n’arrive pas qu’aux autres?

Ici on parle d’émergence

Depuis un certain temps, le mot émergence est devenu célèbre. Même Ebola n’arrivera pas à ternir son aura. Mais l’émergence, ce n’est pas forcement un pont, encore moins une autoroute. L’émergence ne se limite pas à prendre des mesures au cours des conseils, d’interdire les sachets plastiques, de casser toutes les installations anarchiques à Cocody et de faire semblant de ne pas voir ceux de Port-Bouét 2 à Yopougon. L’émergence ce n’est non plus des chiffres qui traduisent la croissance, sans que le peuple n’en ressente aucun effet. L’émergent ne devrait pas se limiter à peindre une université et augmenter les coûts des inscriptions sous prétexte que ce qui est « cher a plus de valeur ». Dans ce cas, ceux qui disent soigner mystiquement à 5 F Cfa, et qui passent toujours à Radio Yopougon, sont des idiots menteurs. L’émergence, ce n’est pas de dire à chaque apparition qu’on a transformé à titre d’exemple 100 centres hospitaliers régionaux (CHR) en CHU, 100 hôpitaux généraux (HG) en CHR, qu’on a transformé 1000 cases de santé rurale en HG… Il y a une infinité d’exemples hein !

Non! L’émergence doit être aussi dans le comportement des travailleurs ivoiriens. Les corps habillés, notamment les policiers, par exemple,. Ces derniers de doivent pas être vigilants que quand il s’agit de traquer les conducteurs qui conduisent en téléphonant ; les concours doivent être crédibles et les modes de recrutements moins népotistes…Dans les hôpitaux, l’essentiel pour le citoyen est de savoir, si le changement de nom et de statut – ce qui est simple à faire – s’accompagne des dispositions et aménagements en termes d’équipements que cela implique. L’émergence, c’est aussi le changement d’attitude. Dans nos hôpitaux on se permet de crier, d’insulter ou d’humilier les malades; on fait chanter les parents parce qu’on sait qu’on tient entre ses mains la vie d’un tiers. L’émergence c’est aussi d’avoir des hommes qui se souviennent de leur serment d’Hippocrate, hypocritement prononcé pour satisfaire à l’usage. L’émergence, ce sont des infirmiers qui savent lire et comprendre ce qui en plaque devant chaque CHU: Ne me dis pas ton nom, ne me dis pas ton ethnie, ne me dis pas combien tu as en banque, dis-moi simplement ton mal pour que je puisse faire mon travail. Celui que j’ai choisi par vocation en sachant toutes les réalités financières et sociales de ma corporation, celui que j’ai aimé parmi tant d’autres et auquel je suis arrivé par la force de mon esprit, et non malgré moi, parce qu’y a plus travail. »

Les amis, sont mal en point, mais Dieu merci, sains et saufs. Pour le reste, Dieu s’en charge.

9 septembre 2014 Par Aly Coulibaly, civox.net