Dès l’annonce de l’hospitalisation en urgence d’un agent double russe, dans le sud de l’Angleterre, tous les regards se sont tournés vers Moscou. Retrouvé inanimé le 4 mars sur un banc public de la ville de Salisbury, en compagnie de sa fille Youlia, elle-aussi hospitalisée, Sergueï Skripal a-t-il été empoisonné sur ordre du Kremlin ?

Le ministre des Affaires étrangères britannique Boris Johnson a donné du crédit à cette hypothèse, devant la Chambre des communes, mardi 7 mars, alors que des analyses sont encore en cours pour analyser la substance retrouvée dans leur organisme. “Si les soupçons se confirment, il faudra sérieusement repenser notre relation avec la Russie”, a-t-il déclaré, allant jusqu’à évoquer un boycott partiel de la Coupe du monde de football, rapporte le tabloïd Daily Mail. De son côté, le Daily Telegraph a déterré des propos menaçants de Vladimir Poutine à l’encontre de Sergueï Skripal et des trois autres espions graciés et échangés en 2010 contre des agents russes détenus aux États-Unis.

Les traîtres vont le payer très cher. Faites-moi confiance. Ces gens ont trahi leurs amis, leurs frères d’armes.”

Le quotidien conservateur informe par ailleurs que la fille de l’agent double s’est récemment montrée critique à l’égard du chef de l’État russe sur sa page Facebook, qualifiant celui-ci de “pire président de l’histoire”.

Pourtant, plusieurs éléments et témoignages laissent une grande place au doute. Interrogé sous couvert d’anonymat par le tabloïd russe Moskovski komsomolets, un membre actuel du GRU, les renseignements militaires russes pour lesquels avait travaillé Sergueï Skripal, s’interroge quant à l’objectif d’un tel assassinat ciblé. L’agent affirme d’emblée :

Il faut se demander avant tout qu’elle aurait pu être l’intérêt [pour la Russie] d’éliminer Skripal. Il n’en représentait plus aucun depuis longtemps. S’il y avait eu la moindre crainte qu’il révèle des choses, un moyen de l’éliminer aurait été trouvé en prison. Il n’aurait en tout cas certainement pas fait l’objet d’un échange. Les services britanniques ont tiré de lui toutes les informations utiles en 2010. Il leur a raconté tout ce qu’il savait et ne savait pas – surtout ce qu’il ne savait pas, au reste, car il ne travaillait plus au GRU depuis 1999. Skripal est un dossier classé pour les deux camps.”

Un acte contraire aux règles tacites de l’espionnage

Certains vétérans des renseignements russes, poursuit le quotidien, relèvent par ailleurs un autre “détail” infirmant la piste russe : le fait qu’une personne tierce – sa fille – ait été également visée. Cela ne ressemble pas à la méthode des services russes, ce n’est pas leur “signature”.

“S’en prendre à un espion échangé contre l’un de ses propres agents serait une violation des règles tacites de l’espionnage, confirme The Times. Il est généralement considéré qu’une fois gracié, un individu a le droit de vivre sa vie sans être inquiété.” Selon des sources interrogées par le quotidien britannique, la tentative d’assassinat pourrait plutôt émaner du crime organisé russe ou d’un loup solitaire pensant faire plaisir à Vladimir Poutine.

À moins que Sergueï Skripal n’ait jamais réellement pris sa retraite et continue, depuis son arrivée au Royaume-Uni en 2011, à travailler avec le MI6… Dans ce cas, une exception aux règles tacites aurait pu être faite, estime The Guardian.

Laurence Habay et Sasha Mitchell
Le courrier Internationnal.com