Admettons le crime contre l’humanité du colonialisme

Claude Askolovitch

Photo émise en 1931 de la locomotive «Mikado» du chemin de fer Congo–Ocean /  AFPPhoto émise en 1931 de la locomotive «Mikado» du chemin de fer Congo–Ocean / AFP

Un «crime contre l’humanité», la colonisation? Évidemment, dans le sacrifice des esclaves razziés par la France républicaine pour construire un chemin de fer, dans l’idéologue de la domination, dans la chosification des indigènes. Puisque l’affaire Macron nous y oblige, regard sur le passé.

Les politiques qui fustigent Emmanuel Macron en pensant capter le pays devraient entendre un poète disparu, qui parlait il y a 67 ans de notre colonialisme; ses mots font pièce à leur ignorance. Martiniquais, Aimé Césaire était de France, de langue, peut-être de rêves, certainement de blessures, absolument d’intelligence. Il n’avait pas les délicatesses hypocrites de notre âge. On ne faisait pas encore commerce d’une identité blessée, pour faire croire à la France qu’on l’insulte quand on lui dit son passé. Césaire avait vécu ce dont il parlait.

En 1950, Césaire publie un Discours sur le colonialisme, qui, cinq ans après la fin du nazisme, arrache aux civilisés leur masque de bienséance, et révèle leur figure de sang:

«Et alors un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour: les gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets. On s’étonne, on s’indigne. On dit: «Comme c’est curieux! Mais, Bah! C’est le nazisme, ça passera!» Et on attend, et on espère; et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries; que c’est du nazisme, oui, mais qu’avant d’en être la victime, on en a été le complice; que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’oeil là-dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens; que ce nazisme là, on l’a cultivé, on en est responsable, et qu’il est sourd, qu’il perce, qu’il goutte, avant de l’engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne. Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXème siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est que l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique.»
Slate.fr