Samba David, au-delà de la libération.
Il y a des gens, et non des moindres, qui pensent que, dans ce pays, on devrait se contenter du folklore et passer en pertes et profits, les principes qui gouvernent un Etat de droit.
Samba David, après près de trois ans passés en prison sans jugement, pour un crime qu’il n’a pas commis, vient d’être libéré, provisoirement et précipitamment, alors qu’on estimait que son crime était si abominable, qu’il représentait un danger si grand pour la société ivoirienne, que neuf demandes de libérations provisoires introduites par ses premiers avocats, avaient été piétinées et jetées à la poubelle.
Saisi de cette affaire, et alors qu’il était à la Maca, le journal dont je suis le premier responsable, après enquête et preuves à l’appui, a pris fait et cause pour Samba David, en portant aux yeux de la nation, l’affreuse injustice dont il était victime. En démontrant la vacuité des charges retenues contre Samba David et, surtout l’incroyable violation de ses droits.
Chacun sait que, à la suite de nos révélations, le procureur de la République a produit un communiqué, pour repréciser les infractions qui étaient imputées à Samba David, et, qu’en réponse, des journalistes de « L’Éléphant Déchaîné », exploitant les propres informations du procureur, s’étaient déplacés sur le lieux du crime imputé à Samba David et avaient démontré que ce dernier n’avait jamais mis les pieds à l’endroit évoqué par le procureur. Car, au moment où le crime imputé à Samba David se commettait, il était déjà condamné pour une autre infraction et détenue à Direction de la Surveillance du Territoire (DST).
Sur la base de nos propres convictions et des preuves que nous avions obtenues, nous avions trouvé un nouvel avocat à Samba David, pour redonner un nouveau souffle au dossier qui n’avait connu aucune évolution pendant plus de deux ans.
Ici même sur cette page, j’avais annoncé notre volonté, avec le nouvel avocat de Samba David, de saisir la Cour Africaine de justice et des droits de l’homme, pour dénoncer la séquestration de Samba David, par la justice ivoirienne.
Quelques jours après nos écrits, un conseiller du ministre de la justice, intervenant au cours d’un séminaire sur les droits de l’homme, a indiqué que Samba David allait être jugé incessamment en cours d’assise et que le dossier était devant le parquet général. Ici, encore, nous avions, dans les colonnes de « L’Eléphant Déchaîné », dénoncé l’aveuglement du ministère de la justice sur l’affaire Samba David, après les propos de ce conseiller.
Le 16 mars 2018, Samba David, sans que son avocat n’ait été informé, a été sorti nuitamment de la Maca et conduit à une destination inconnue. On le retrouvera plus tard, à la prison de Korhogo, hors du ressort du tribunal qui avait son dossier en charge.
A la suite de cette déportation, comme nous l’avions écrit, interrogé sur l’origine de l’ordre qui a permis le transfèrement de Samba David, le directeur de l’administration pénitentiaire qui venait de prendre fonction, a déclaré qu’il ne savait pas qui a ordonné le transfèrement de Samba David.
Interrogé, le juge d’instruction en charge du dossier de Samba David a dit ne pas savoir qui l’a transféré à Korhogo.
Interrogé, le procureur général a donné aussi la même réponse, personne ne l’avait informé du transfèrement de Samba David. Peut-on imaginer ce genre de choses dans un Etat de droit ?
A ce jour, personne, ni au ministère de la justice, ni au parquet, ni à la direction des affaires pénitentiaires, n’est en mesure de dire d’où est venu l’ordre du transfèrement sur Korhogo, de Samba David et, c’est là que ce qui se passe aujourd’hui, prend, tout son sens.
Quand Samba David partait pour Korhogo, il n’était pas malade et n’avait aucun antécédent cardiaque.
Quelques jours après son arrivée dans la prison de Korhogo, un détenu, nommé Coulibaly Omaguignan François, né le 22 décembre 1984 à Ferké, condamné à cinq ans de prison ferme pour détention illégale d’armes à feu (Mandat de dépôt du 22 décembre 2017), se met au service de Samba David. Il faut dire que, en prison, ceux qui sont détenus au bâtiment dit « Assimilé » ont souvent, à leur service (vaisselle, lessive, achat de nourriture, cuisine, etc), d’autres détenus à qui ils paient journellement selon une périodicité définie de commun accord, une certaine somme d’argent ou à qui ils donnent de la nourriture.
Environ deux semaines après son arrivée dans la prison et alors que cet individu s’occupe de sa nourriture et autre, Samba David ressent des douleurs au niveau de son cœur et s’affaiblit de jour en jour. Les soins que lui prodiguent l’infirmier qui intervient dans la prison, soulagent un peu ces douleurs mais le praticien conseille l’évacuation de Samba David sur Abidjan, pour des examens et des soins plus appropriés. Rien ne sera fait et le mal, continuera son chemin.
Le lundi 2 juillet 2017, soit plus de trois mois après le début de la maladie, alors qu’il est hors de sa cellule, Coulibaly Oumaguignan François est surpris par un autre détenu, en train de mettre de la drogue, dans le sac de Samba David, histoire le faire accuser de détention ou de trafic de drogue, afin de justifier son maintien en prison.
Conduit devant le régisseur, Coulibaly Oumaguignan François déclarera avoir été « mis en mission » pour introduire la drogue dans les affaires de Samba David. Mis en mission par qui ? Il n’en dira pas plus.
Quatre jours plus tard, soit le 6 juillet 2018, on retrouvera Coulibaly Oumaguignan François, mort, dans sa cellule. A ce jour, nul ne sait sur ce qui a causé sa mort, une mort particulièrement suspecte.
Resté en détention sans soins appropriés, le 10 juillet, Samba David rechute. Devant la gravité de son cas, enfin, le jeudi 12 juillet, il est évacué sur Abidjan, au Chu de Cocody. Là, les médecins demanderont qu’il soit évacué sur le Chu de Treichville, en service de cardiologie. Mais, faute d’ambulance, Samba sera reconduit à la Maca où il tombera, après deux jours sans soins, dans un demi coma. Évacué dans un véhicule de type 4X4 au Chu de Treichville, après cinq jours passés en cardiologie, faute de personnes pour faire face aux frais d’hospitalisation, Samba David est conduit au service de médecine générale.
Le mardi 24 juillet, à 21 heures, un greffier, accompagné du régisseur de la Maca, iront signifier à Samba David, sur son lit d’hôpital, qu’il est mis en liberté provisoire. Sans autre forme d’explication.
Voilà donc les faits qui soulèvent de graves interrogations. Et, c’est pour cela que nous nous étonnons que certains se mettent, sur les réseaux sociaux, à s’auto-célébrer et, dans les journaux, à couvrir la justice ivoirienne d’éloges, alors que cette justice, peut-être, a mis en liberté, un homme dont elle sait qu’il ne survivra pas, tant Samba David est aujourd’hui malade. Qu’est-ce qu’ils lui ont fait ? Qui l’a envoyé à Korhogo ? De quoi Samba David souffre-t-il au juste ? Où est son dossier médical ? Quel est le diagnostic ? Pourquoi on le libère à 21 heures ? C’était quoi l’urgence ?
Non, on ne dira pas « merci » à la justice ivoirienne pour la libération provisoire de Samba David. Cette justice n’est pas digne de notre « merci ». Elle a pris un homme en bonne santé, l’a détenu pendant trois ans sans cause et, le voyant mourir lentement, le remet entre les mains de sa famille. On devrait applaudir cette justice ?
Non. Nous allons tous œuvrer pour que Samba David aille mieux. Et nous allons demander au procureur de la République de le présenter devant la cour d’assise pour qu’il soit jugé afin qu’on voit les preuves sur la base desquelles, il a été détenue pendant trois ans.
D’ici là, on ne dira pas merci, à la justice ivoirienne, pour le travail qu’elle a refusé de faire, c’est à dire: « dire le droit, rien que le droit ».
Avec une telle justice, nous sommes tous des prisonniers en sursis.
Tiémoko Antoine Assalé