Agnès Buzyn s’exprime pour le magazine Marie-Claire
IVG, méthodes de contraception, scandale du Lévothyrox, gynécologie médicale, endométriose… Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé a répondu aux questions que de nombreuses femmes se posent.
La demande d’interview a été lancée en novembre dernier. Il nous aura fallu patienter avant de rencontrer Agnès Buzyn. Pas que pour des raisons d’agenda de ministre de la Santé overbooké mais parce qu’elle tenait à présenter à Marie Claire ses propositions en ce qui concerne la santé des femmes une fois celles-ci actées par le gouvernement.
Celle qui fut au cœur de vives polémiques, le Lévothyrox et sa nouvelle formulation, les 11 vaccins rendus obligatoires, assume ses responsabilités. Médecin et scientifique, elle sait que le monde médical peut être sexiste et sourd à la parole des femmes quand elle dérange. Elle mise sur une nouvelle relation patient(e)s-médecin. Entretien.
MC : On fête cette année les 50 ans de la pilule contraceptive. Êtes-vous inquiète face à la réticence de la nouvelle génération vis à vis de cette méthode contraceptive ?
– Je constate deux phénomènes inquiétants : d’une part un plus grand recours à la pilule du lendemain, d’autre part en effet le recours à des méthodes dites naturelles qui sont promues sur les réseaux sociaux. C’est inquiétant car ces dernières ne sont pas efficaces. En parallèle, il est vrai que l’on observe une diminution de l’utilisation de la pilule mais il faut la mettre en regard de l’augmentation de la pose de stérilet par exemple.
Il est indispensable d’améliorer l’information des jeunes femmes –mais aussi des jeunes hommes- sur les modes de contraception, ainsi que leur accessibilité, sans avoir recours aux parents par exemple.La consultation dédiée à la santé sexuelle chez les jeunes filles de 15-16 ans va s’étendre aux jeunes garçons, et sera prise en charge à 100% par l’assurance maladie. Nous allons également permettre à tous les centres et services de santé universitaires de pouvoir prescrire une contraception -et de pratiquer le dépistage des Infections Sexuellement Transmissibles (IST).
On dénombre environ 220 000 IVG en France chaque année. Comment pourrait-on faire baisser ce nombre ?
– Je crois que ce chiffre traduit une méconnaissance ou une insuffisance d’accès aux méthodes contraceptives. Cela prouve donc que notre politique d’information est à revoir. La priorité est d’améliorer la connaissance des jeunes femmes et des jeunes hommes sur l’usage de la pilule et du préservatif. Nous savons qu’aujourd’hui un ado sur deux indique ne pas avoir utilisé de préservatif lors de son dernier rapport sexuel…
Pour nous aider, nous comptons sur la mise en place, dès la rentrée 2018, d’un service sanitaire. Il consiste au déploiement dans les collèges, lycées, écoles, EHPAD de près de 47 000 étudiants en santé qui vont désormais dédier trois mois de leurs études à faire de la prévention sur le terrain. Quatre thématiques ont été retenues: alimentation, activité physique, santé sexuelle, et addictions.
Nous avons déjà mené des expérimentations à Angers avec des résultats spectaculaires. Avec des jeunes qui parlent à des jeunes de santé sexuelle par exemple, la parole se libère. Les étudiants travailleront avec les rectorats et les préfets pour choisir les lieux d’action, pour monter des projets à plusieurs. C’est une force de frappe considérable en faveur de la prévention et de la promotion de la santé.
On s’est inquiété de la disparition de la gynécologie médicale…
– Les femmes ont eu raison de protester. Nous venons d’ailleurs de la réaffirmer comme spécialité à part entière dans la réforme du troisième cycle de médecine qui est mise en œuvre cette année. On peut désormais à nouveau choisir la gynécologie médicale sans être obstétricien.
Ces professionnels pourront faire du suivi gynécologique sans opérer. Cette spécialité est d’autant plus importante qu’il y a aujourd’hui de grosses difficultés à accéder aux gynécologues dans certains départements. Les femmes n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers des obstétriciens qui sont très occupés par des actes de chirurgie, ou vers des médecins généralistes ou des sages-femmes.
La France aurait pris du retard dans la mise sur le marché de médicaments genrés, faute de prendre en compte les différences biologiques entre les femmes et les hommes…
– On a longtemps considéré que les hommes et les femmes réagissaient de la même façon aux médicaments. Dans les essais cliniques internationaux, on les testait plus sur les hommes que sur les femmes. Il y a 3-4 ans, on a fait émerger l’idée d’une recherche clinique genrée. C’est désormais admis dans la recherche clinique française et l’industrie pharmaceutique a intégré cette dimension même si, vous avez raison, on n’en voit pas encore les fruits.
Comment expliquez-vous que la parole des femmes sur la douleur ne soit pas toujours écoutée par le monde médical ?
– Je ne l’explique pas, je le constate comme vous ! C’est une forme de mépris pour la douleur des femmes surtout en ce qui concerne les douleurs gynécologiques. Cela explique par exemple le sous diagnostic de l’endométriose.
Nous avons pris une série de mesures pour mieux former les professionnels notamment lors des études de médecins. La réforme du 1er et 2e cycles d’études de médecine va permettre aux jeunes médecins de se confronter beaucoup plus tôt à l’expérience des patient(e)s. Il est très important qu’ils soient formés à l’écoute, et à l’empathie. J’ai vécu la mobilisation des patients atteints par le VIH dans les années 80, puis celle des patients atteints de cancers quand j’étais à l’INCa (Institut national du cancer), il est indispensable que les malades s’emparent de la connaissance scientifique. Ils doivent être en capacité de tester leur médecin sur les alternatives de traitements, la transparence doit être totale. Il faut être co-acteur de sa prise en charge en partenariat avec le médecin. C’est nouveau, ce n’est pas toujours confortable pour le monde médical…mais c’est très utile.
Que vous a appris la crise du Lévothyrox ?
– Les médecins avaient été informés du changement de formulation par le laboratoire, ils avaient reçu un courrier parmi beaucoup d’autres. Beaucoup n’ont pas gardé l’information en tête, ils ne l’ont pas transmise à leur patientèle. Quand une nouvelle formulation d’un médicament est mise sur le marché, les laboratoires négocient avec l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), cela ne remonte pas jusqu’à la ministre.
La grande leçon que nous en avons tirée est que nous n’avons aucun moyen légal de prévenir les patients. La prescription est confidentielle. Or le plus grand reproche a été que les personnes ont ressenti des effets secondaires sans avoir été informées du changement de formule du Lévothyrox. Elles se sont senties méprisées. Je les comprends. La transparence est nécessaire. Nous devons donc trouver un autre mode d’information. C’est pourquoi nous avons confié une mission à un médecin journaliste et à une représentante associative pour améliorer l’information sur les médicaments. Il faut impérativement, qu’en tant que ministre de la Santé, je sois capable d’informer le grand public or aujourd’hui, je n’ai pas de levier pour le faire.
Avec les réseaux sociaux, l’information circule vite, la désinformation aussi…
– La difficulté quand on est au ministère est justement de rééquilibrer la parole rationnelle face à l’irrationnel. Beaucoup ne croient plus en la médecine allopathique, et recherchent des méthodes douces. Pourquoi pas dans certains cas mais quand elles se substituent à un traitement médicamenteux notamment lors de maladies graves, c’est angoissant. Depuis des années, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) pointe la médecine comme la discipline suscitant le plus de dérives sectaires.
Comprenez-vous l’inquiétude des parents vis à vis des onze vaccins rendus obligatoires ?
– Oui surtout quand on voit tout ce qui circule sur les réseaux sociaux !
Personne n’a jamais mis en doute le DT Polio, le seul vaccin obligatoire. Ce sont les vaccins recommandés, donc « pas nécessaires » qui étaient remis en question. J’ai voulu lever cette ambiguïté : tout est nécessaire pour sauver des vies, éviter des épidémies. Je les ai rendus obligatoires pour que notre pays atteigne enfin les recommandations de l’OMS. Nous avions une couverture vaccinale plus faible que la plupart des pays d’Amérique latine ! Eux ont éradiqué la rougeole, nous, nous en sommes à 2000 cas, deux personnes en réanimation, deux décès.
Les Européens bien-portants, riches, ont oublié qu’ils sont sensibles aux virus et aux bactéries, et peuvent en mourir. Pour moi, la mort des enfants quand elle est évitable est insupportable. Je prends mes responsabilités. J’assume.
Marie Claire