Côte d’Ivoire/ Affaire Agrobusiness : les clés pour comprendre
Nous sommes nombreux à nous interroger pourquoi l’Etat ivoirien s’ingère-t-il dans une affaire dont il n’est pas partie. Pourquoi ne rembourser que les sommes investies par les souscripteurs au lieu de tout rembourser (actif et passif). Enfin pourquoi c’est maintenant alors que le phénomène existe depuis 2008, sinon alors que l’Etat lui-même se dit être informé depuis août 2016.
Pour être plus populiste, on dirait que l’Etat dans son rôle régalien a le devoir de protéger sur son territoire les personnes et leurs biens. C’est ce qui nous a conduit au remboursement des souscripteurs ivoiriens dans l’affaire des maisons de placement à l’époque sous Laurent Gbagbo. Aussi ce remboursement tient compte des circonstances du moment (conjonctures et disponibilité de ressources).
Le phénomène agrobusiness en Côte d’Ivoire et l’Etat
Pour le comprendre il faut remonter au document du ministre de l’économie et des finances adressé à la presse le 8 février 2017et repris par le magazine La tribune de l’Eco dans sa publication du 20 au 26 février 2017.
« Au plan financier, l’agrobusiness deviendrait une menace pour les établissements financiers. L’existence de projets d’agrobusiness faisaient des initiateurs de ces projets de redoutables concurrents déloyaux pour la vingtaine de banques commerciales (…) Cette offre d’affaire ne correspondait à aucun modèle connu » avait –il informé.
En clair, les banques commerciales en Côte d’ivoire se sont senties menacées par la montée en puissance des sociétés d’agrobusiness.
Mais là où le ministre n’est pas clair, c’est quand il affirme que cette offre d’affaire ne correspondait à aucun modèle connu.
Il faut savoir que si les autorités ivoiriennes se sont réveillées tardivement c’est bien parce que le même phénomène qui a commencé à la fin des années 2000 va faire perdre aux banques américaines 11 milliards USD par an sur les 5 prochaines années. Aux USA, ce phénomène s’appelle « Crowdfunding », un mode de financement par les foules où les entreprises sollicitent des milliers de personnes afin de leur apporter des capitaux sans passer par les acteurs financiers traditionnels (banques). En temps normal ce sont les banques qui prêtent de l’argent aux personnes ou aux entreprises. Avec ce nouveau phénomène la part des banques pourrait se réduire à 20%. Un vrai danger ! En dehors de l’alerte des banques américaines, c’est le rapport du FMI sur la situation économique de la Côte d’Ivoire publié en juin 2016 qui dressait le bilan négatif du secteur financier. Le FMI affirmait qu’il y avait un risque d’insolvabilité du à l’augmentation du ratio moyen des fonds propres des banques (8,3%) contre la norme de 8% de l’Uemoa. « Les risques sont concentrés sur les 5 plus gros emprunteurs qui représentent le tiers des actifs des banques et 3 fois leurs fonds propres. Ces emprunteurs sont des entreprises publiques et privées de grande taille dans le secteur de l’agroalimentaire et du commerce pour les entreprises privées ».
Pourquoi le phénomène doit être contrôlé et non cassé
Généralement le financement participatif ou « Crowdfunding » est un mode de collecte de fonds réalisé via une plateforme telle que l’Internet. En Côte d’Ivoire, les 36000 souscripteurs qui ont pu mobiliser en peu de temps 66 milliards Fcfa l’ont fait via les banques. Ceci dans le sens de participer au développement du secteur financier. Malheureusement avec les nombreuses malversations des responsables des sociétés d’agrobusiness, il est souhaitable qu’il y ait une collaboration avec les banques mais surtout une réglementation afin de protéger toutes les parties. C’est bien ce que l’Etat ivoirien tente de mettre en place. Mais avant il faudra satisfaire les souscripteurs qui se sentent grugés.
Enfin, les banques devraient se positionner comme des acteurs complémentaires conscient de l’intérêt pour les particuliers et les porteurs de projets d’accéder à un financement rapide…Il appartient donc aux banques de valoriser leur savoir-faire dans la sélection des projets et l’évaluation du risque. En France, beaucoup de banques sont dans le Crowdfunding. Certaines ont leur propre plateforme. C’est d’ailleurs l’une des réponses au financement des jeunes entreprises innovantes. Malheureusement en Côte d’Ivoire le désintéressement de l’Etat pour le secteur bancaire (toutes nos banques nationales ont été privatisées) nous fait perdre de l’argent alors que les autorités ivoiriennes devraient pouvoir saisir la balle au bond suite à cette formidable capacité de mobilisation de l’épargne engendrée par le phénomène Agrobusiness.
Philippe Kouhon à Paris.
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Suite à la conférence de presse du président du FPI, voici la réaction insultante et infantilisante du RDR face à la souffrance des ivoiriennes et des ivoiriens.
« Nous assistons depuis quelques semaines à un débat sur le phénomène « Agrobusiness ». Certains souscripteurs qui ont été proprement grugés par les vendeurs de rêve sont remontés contre l’Etat, ils accusent ce dernier d’avoir bloqué les comptes des promoteurs de l’Agrobusiness.
Ces entreprises de type nouveau qui créent et animent l’illusion de l’argent facile ont réussi à convaincre bon nombre de nos concitoyens qu’on peut devenir très riche dans l’agriculture vivrière et maraîchère sans forcément travailler dans un champ. C’est une véritable insulte au travail de nos paysans qui s’échinent tous les jours dans les champs pour produire à la sueur de leur front.
En effet, il ne suffit pas d’être assis tranquillement dans son bureau, de souscrire au projet d’agrobusiness et en quelques semaines on réalise de super profits dans le domaine agricole. N’est-il pas illusoire de croire qu’on peut réaliser des bénéfices de plus 600% en quelques mois dans un projet ?
Pour certains des souscripteurs, cet espoir de gain rapide est devenu un cauchemar. Ils se sont lourdement endettés auprès de leurs banques ou de leurs amis pour investir dans ce rêve.
Le moment est venu d’attirer l’attention de nos concitoyens sur ces phénomènes d’enrichissement rapide et facile.
Pour tenter de limiter les dégâts et sauver ceux qui peuvent encore l’être, le Gouvernement ivoirien a, dans un premier temps, fait geler les comptes des entreprises et demander à tous les milliers de souscripteurs de se faire recenser. Le Gouvernement a décidé que les remboursements vont démarrer avant la fin de ce mois de février 2017.
Ce qui est incompréhensible, ce sont ces mouvements et marches des souscripteurs qui refusent d’être sauvés par l’Etat. Ils veulent que les entreprises d’agrobusiness continuent de les gruger. Ils préfèrent vivre dans le rêve permanent de l’enrichissement rapide et facile sans travail.
Nous faisons remarquer que pour donner satisfaction aux dizaines de milliers de leurs souscripteurs, les entreprises d’agrobusiness n’auront pas assez de terres arables disponibles en Côte d’Ivoire pour créer les plantations promises à leurs clients.
Cela aurait dû faire prendre conscience du caractère illusoire du projet. Le plus surréaliste dans cette affaire d’agrobusiness, c’est qu’il existe des hommes politiques ivoiriens qui veulent profiter du désarroi actuel des souscripteurs.
En effet, lors de sa dernière conférence de presse Monsieur Affi Nguessan, le Président d’une des factions du Front Populaire Ivoirien (FPI), tente de faire porter le chapeau de la mésaventure des souscripteurs au Gouvernement.
Cette nième maladresse de Monsieur Affi prouve qu’il a une totale méconnaissance des règles économiques de base. On ne le répétera jamais assez. Il existe une règle économique qui ne changera jamais ni dans le temps, ni dans l’espace : c’est le travail qui produit le bien et c’est l’échange de ce bien qui permet de gagner de l’argent. Toute autre forme d’enrichissement est soit illicite soit éphémère ou illusoire.
Au passage, nous faisons remarquer que l’Etat n’a envoyé personne ni encourager certains de nos compatriotes à aller souscrire à cette opération d’agrobusiness. Donc, l’Etat dans sa volonté de limiter les dégâts ne peut être tenu pour responsable du désarroi des souscripteurs.
Le Ministre Joël NGUESSAN
Secrétaire Général adjoint du RDR, chargé de la communication, Porte-parole ».
Jean Bonin