Hier 29 novembre 2017, le général Slobodan Praljak a avalé la ciguë après avoir été confirmé coupable par les membres du TPI pour l’ex-Yougoslavie en appel. Choc de deux mondes, dont la coexistence est impossible. Celui des idées, qui peuvent conduire au sang, et celui de la bonne morale, qui cache le sang. Praljak serait-il le cadavre de trop de cet étrange tribunal où l’on meurt beaucoup?

Sans revenir sur les détails de la guerre de l’ex-Yougoslavie, disons qu’avec le recul, elle commence à beaucoup ressembler aux prémisses du démantèlement de l’espace post-soviétique que l’on voit perdurer aujourd’hui. Avec la chute de l’URSS et le maintient de la Russie dans un état de faiblesse durant toutes les années 90, tout a commencé très vite. La mort de Tito réveille les revendications ethniques et d’indépendance. En 1991, des négociations politiques sont lancées entre les serbes et les bosniaques, mais tombent dans une impasse. Le 29 février 1992, le pouvoir bosniaque organise un référendum d’indépendance, auquel ne participent pas les serbes. Il ne reste plus qu’à reconnaître les résultats. Mais le morcellement d’un pays risque toujours de provoquer des crises violentes, une manifestation est alors organisée à Sarajevo le 5 avril, où pour la dernière fois les serbes et les bosniaques ont manifesté ensemble pour la paix. Sans que l’on n’ait pu établir d’où, des tirs éclatèrent sur la foule. Les victimes sacrificielles permirent de justifier l’intervention occidentale dans le processus politique interne yougoslave.

L’UE a reconnu dès le 6 avril les résultats du référendum et le morcellement du pays avec l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine. Le 7 avril fut le tour des Etats Unis. Ça ne vous rappelle rien? Passons.

Comme prévu et manifestement attendu, la guerre a pu commencer. Par deux fois, l’OTAN a lancé une opération militaire particulièrement violente contre le pays et principalement les serbes, montrés seuls responsables du conflit par la communauté internationale. La dislocation du pays est célébrée en 1995. Dans la première partie du conflit, de 1992 à 1995, le nombre des victimes est à ce jour difficilement estimable: de 70 000 à 200 000.

En 1999, l’OTAN se souvient à nouveau de ce morceau de terre, et le fondement d’une nouvelle intervention dite « humanitaire » fut la cause des albanais et le nettoyage ethnique imputé aux serbes. Mais les informations sur les dégâts causés par les bombardements démocratiques lancés contre les serbes sont classés secrets-défenses aux USA et aucune information ne filtre sur la détermination des cibles civiles qui furent nombreuses, comme le montre ce rapport de l’Institut de recherche sur l’énergie et l’environnement, pointant notamment le bombardement systématique des installations industrielles civiles, ayant entraîné des dangers réels immédiats et à long terme pour la population civile, sans même parler des problèmes juridiques de bombardements de cibles civiles en violation du droit de la guerre. Pour autant, aucune action en justice internationale n’a été lancée contre les pays occidentaux responsables de ces désastres. L’impunité totale qu’ils ont alors ressentie leur a totalement délié les mains dans ce que nous voyons aujourd’hui.

Ces problèmes étiques et ce parti-pris politique immédiat explique peut-être ce qui ressemble de plus en plus à du fanatisme de la part du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie. Si au départ, les deux parties au conflit, les serbes et les bosniaques furent reconnus coupables du déclenchement de la guerre, finalement sous la pression de la politique internationale et grâce à l’objectivité toujours incontestable de la presse occidentale, les serbes sont les principaux figurants présumés coupables de cette étrange institution quasi-judiciaire.

D’une manière générale, la justice pénale internationale est une justice à part, c’est la justice des vainqueurs. Elle repose bien sur un motif politique et défend une vision idéologique. C’est elle qui est censée poser la vérité officielle, construire l’histoire officielle du Bien contre le Mal. Pour que les peuples dorment en paix, il est important qu’ils soient persuadés que le Bien a gagné. Ces mécanismes fonctionnent lorsqu’il existe un réel consensus sur le mal, comme en ce qui concerne les crimes nazis lors de la Seconde Guerre Mondiale. Avec cette instance, l’Occident a voulu réutiliser ce qui avait finalement bien fonctionné, oubliant qu’il en manquait ici les fondements moraux, le bien et le mal étant particulièrement imbriqués. D’une certaine manière, la puissante campagne médiatique qui accompagne ce processus de blanchiment para-judiciaire et de légitimation internationale fonctionne dans l’ensemble assez bien au regard des populations occidentales, qui n’ont pas eu accès à d’autre point de vue que le point de vue officiel dans ce conflit extrêmement complexe et ne remettent absolument pas en cause l’intervention de l’OTAN. Ce but a été atteint, un autre coupable a été trouvé.

Non seulement le fondement de cette « justice » a ainsi été légitimé, mais le déroulement du spectacle est présenté sous un jour particulièrement favorable. Lorsque la presse française parle des conditions de détention, elle présente la prison où sont incarcérés les détenus, principalement les dirigeants serbes, comme une prison modèle:

Il faut dire que la prison de la Cour Pénale Internationale est un peu particulière. Cette prison de haute sécurité, située dans le quartier résidentiel de Scheveningen à La Haye, la capitale des Pays-Bas, fonctionne en respectant le principe fondamental de la justice internationale: le respect des droits de l’homme. « Les détenus sont des accusés qui attendent leur jugement, et qui sont donc présumés innocents, ce qui n’est pas toujours très bien compris à l’extérieur: ils possèdent des droits qu’ils n’auront plus une fois condamnés », expliquait Marc Dubuisson, le directeur des services d’appui judiciaires de la Cour au Figaro.

Ils peuvent se faire à manger, rencontrer leurs conjoints, un modèle même de tolérance. Or, dans ce monde merveilleux, où les « présumés innocents » sont incarcérés jusqu’à 15 ans avant d’entendre leur verdict, on meurt beaucoup et l’on ne soigne pas vraiment. L’on se souviendra de la réaction hystérique de la communauté internationale suite au décès en prison en Russie de Magnitsky, qui blanchissait les fonds pour le magnat Browder. Cette mort a donné lieu à une révision totale du système de soins. Mais dans la prison du TPI, on continue allègrement à mourir.

Il faut dire que l’accès au soin est très sélectif. Nombreux dirigeants serbes ont des problèmes cardiaques, sans avoir d’accès aux traitements, ni de consultations avec des spécialistes, Milocevic en est mort. Un autre, a vécu un an avec une tumeur au cerveau avant d’être renvoyé dans un hôpital en Serbie pour y mourir. C’était trop tard, il n’a pas été soigné pendant trop longtemps. En général, 6 dirigeants serbes sont morts, soit « suicidés » par pendaison notamment, soit de maladie par manque de soins, soit ‘d’une arrêt du coeur ». Aucune enquête n’a abouti à quoi que ce soit, aucun élément ne filtre. 2006, suicide de Milan Babic. 1998 suicide de Slavko Dokmanovic. Voir le reportage pour les russophones:

Nous sommes très loin de l’image bobo de la prison modèle que l’on veut nous vendre.

L’attitude des juges, si l’on peut les appeler ainsi, laisse également à désirer. L’on se souviendra du procès de Mladic, qui après plusieurs infarctus se sent mal lors du prononcé de son jugement. Le juge ne lui permet pas d’avoir accès à un médecin. Lorsque avec ses dernière forces il déclare « Tout cela n’est qu’un tissus de mensonges, c’est un tribunal de l’OTAN« , le jugement sera lu sans lui, c’est plus commode de se retrouver entre soi, entre personnes du même monde. De toute manière l’affaire était réglée, comme l’affirmait le procureur, « tout jugement autre qu’une condamnation à vie serait une honte pour la justice. » Justice est faite, il peut être satisfait. Mais la question des soins n’est pas réglée et il y a un véritable problème d’image de la justice.

Alors peut-on encore parler de justice?

La manière dont les hommes sont traités dans ce tribunal est très éloignée des standards internationaux requis en la matière. La justice est un processus qui doit suivre des règles, mais qui doit également être conforme à l’image de la justice. C’est ce que ne cesse de marteler l’Europe. Couper les micros lorsque les paroles dérangent (l’on se souviendra de Milosevic), refuser des pauses à des personnes malades (le cas notamment de Mladic), refuser les accès aux soins (ils sont trop nombreux pour être cités), sont des violations flagrantes des droits des personnes en jugement. Que ce tribunal remette de facto en cause la présomption d’innocence est attendu dans ce type de « justice de légitimation », mais remettre en cause la nature humaine de la personne poursuivie lui confère un niveau très sophistiqué de barbarie.

Face à ce qu’il n’a pu considérer comme de la justice, le général croate Slobodan Paljak s’est suicidé en avalant du poison après avoir déclaré:

« Praljak n’est pas un criminel. Je rejette avec mépris votre verdict »

Le juge, dans un autre monde, ne semble pas faire attention à ce qu’ingurgite l’accusé, il lui demande simplement de se taire et de s’asseoir.  Sur la vidéo, c’est flagrant:

Le juge se moque éperdument de ce qu’avale démonstrativement Praljak, lui a des choses importantes à faire, il doit rendre la justice et condamner ces monstres. Puisqu’ils sont ici, devant lui, ce sont des monstres. Or cet individu le gêne, à gesticuler comme ça. Il détourne l’attention de la Justice. C’est manifeste, il est contrarié. Et lorsque l’avocate tente de faire comprendre que Praljak a avalé du poison, l’on ne voit strictement aucune empathie apparaître sur le visage du juge, juste de la contrariété. Un homme meurt devant ses yeux et lui, ça le dérange, car l’ordre du jour va en être perturbé. Un tel niveau de cynisme tend à l’inhumain.

L’une des avocates de Praljak, Natacha Favo Ivanovic, déclare qu’il faut absolument trouver les responsables. La question des méthodes de travail de cette juridiction doit être posée.

C’est le moins que l’on puisse dire, un véritable problème moral se pose. Praljak est-il le cadavre de trop de ce tribunal qui a fini par rendre la vengeance et non la justice, discréditant d’autant le système très fragile de la justice internationale?

Karine Bechet-Golovko

source:http://russiepolitics.blogspot.fr/2017/11/praljak-le-cadavre-de-trop-du-tpi-pour.html#more