Le parlement de Kiev vient de décréter le 25 décembre jour férié, afin que le pays puisse fêter Noël dans le calendrier grégorien, en tournant le dos à la tradition orthodoxe russe, qui fête Noël le 7 janvier.

figarofr: Des Ukrainiens célèbrent le Noël orthodoxe le 7 janvier 2015, à Kiev.© GENYA SAVILOV/AFP Des Ukrainiens célèbrent le Noël orthodoxe le 7 janvier 2015, à Kiev. De notre correspondant à Moscou

Pour la première fois dans l’histoire de l’Ukraine contemporaine, le 25 décembre sera jour férié dans le pays. Jeudi matin, la Rada (le parlement) a voté un texte reconnaissant officiellement cette date comme la fête de Noël, à côté de celle, plus traditionnelle, du 7 janvier, qui marque le Noël orthodoxe. Une initiative destinée à minimiser l’empreinte de l’héritage soviétique dans cette république en conflit ouvert avec son voisin russe et à renforcer les liens avec l’Occident romain.

Aujourd’hui, près de 11 000 communautés catholiques et protestantes ukrainiennes célèbrent Noël en vertu de notre propre calendrier grégorien (25 décembre), contre les 23 000 communautés orthodoxes obéissant au calendrier julien imposé par Moscou. Les communautés catholiques représentent 30 % de l’ensemble des chrétiens du pays. «Il s’agit d’une part significative des croyants ukrainiens», relèvent les députés en leur accordant le privilège d’un jour non travaillé. La loi pourrait être effective dès la fin de l’année.

«Nous ne disons pas aux églises quand et comment fêter leurs fêtes religieuses, mais le fait de passer au calendrier grégorien est un signe d’européanisation», s’est félicitée Irina Podoliak, député du parti nationaliste Autodéfense. «Cette décision historique nous permettra de nous détacher du calendrier de Moscou et des standards impériaux russes», s’est réjoui, pour sa part, le secrétaire du Conseil de sécurité et de défense, Olexandre Tourtchinnov.

Un conflit qui remonte à l’URSS

Historiquement divisée entre sa partie occidentale, plus proche du monde latin, et sa partie orientale, influencée par les valeurs orthodoxes russes, l’Ukraine est aujourd’hui en guerre larvée avec son grand voisin de l’Est. Les églises ukrainiennes ont toujours été traversées par ce conflit. Lors de la révolution de Maïdan, en 2014, il s’est exacerbé. D’un côté, l’Église orthodoxe, rattachée au patriarcat de Kiev, ainsi que l’Église gréco-catholique s’étaient rapprochées des manifestants pro-européens, tandis que l’Église orthodoxe, liée au patriarcat de Moscou, soutenait naturellement les idées de ses parrains russes. Aujourd’hui, seule la date du 7 janvier réunit ces multiples courants confessionnels, à l’exception de l’Église romaine ukrainienne.

L’origine du conflit calendaire remonte, quant à elle, à la période communiste. En 1923, alors qu’elle était durement réprimée et placée sous l’éteignoir du pouvoir bolchevique, l’Église russe avait refusé de suivre la recommandation du Concile orthodoxe mondial fixant au 25 décembre, plutôt qu’au 7 janvier (calendrier julien), la fête de la naissance du Christ. «Seuls les pays qui étaient sous influence de l’URSS ont suivi le pas et aujourd’hui c’est justement la Fédération russe, héritière de l’Union soviétique, qui a annexé notre Crimée et occupe une grande part du Donbass ukrainien. Celle-ci n’a jamais reconnu les aspirations européennes de l’Ukraine indépendante et l’une de ces aspirations est justement de revenir aux valeurs chrétiennes sur laquelle est basée la civilisation européenne», a déclaré à la tribune de la Rada, le député Evguenni Rybtchinsky.

Un patriarcat de Kiev silencieux

L’historien russe des religions, Roman Lounkine, critique une vision trop politisée de l’histoire. «En 1923, l’Église orthodoxe n’était pas encore totalement soumise au parti communiste et a pris sa décision d’une manière autonome. En son sein même, il y avait des religieux qui ne voulaient pas épouser le calendrier grégorien, et l’Église a donc préféré s’en tenir au statut quo pour ne pas fragiliser davantage l’institution à une période critique de son histoire», explique cet expert.

Engagés dans une entreprise de révisionnisme historique, les députés ukrainiens songent également à commémorer le 8 mai la capitulation du pouvoir nazi – et non plus le 9 mai comme à Moscou. Pour sa part, la communauté chrétienne ukrainienne se montrait très discrète après le vote de la Rada. L’Église orthodoxe rattachée au patriarcat de Kiev s’est refusée à tout commentaire: «en tant qu’Ukrainien, je ne vois pas de problèmes au fait d’avoir un jour férié supplémentaire. Mais pour la majorité des Ukrainiens qui sont orthodoxes, le Noël reste le 7 janvier», explique une source, sous couvert d’anonymat.

Seule l’Église romaine ukrainienne, qui revendique un peu moins d’un million de fidèles, se réjouit ouvertement. «Même si les motivations des députés sont autres, je peux vous assurer que tous nos paroissiens sans exception sont contents. Ils ne seront plus obligés de demander un congé spécial à leur employeur pour fêter Noël», a déclaré le porte-parole du diocèse de Lviv (ouest), Alexandre Khoutsy.

Pierre Avril