Le FMI et l’UE vent debout contre l’offre chinoise pour la reconstruction d’Haïti

Karel Vereycken,
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Comme bon nombre de pays situés sur la « Ceinture de feu » [1], tant qu’Haïti n’accède pas à un niveau élémentaire de développement, elle aura à subir les conséquences de nombreuses catastrophes « naturelles ».

La plus récente et une des plus meurtrières est le tremblement de terre dévastateur qui a frappé l’île le 12 janvier 2010, tuant 200 000 personnes. Plus de 300 000 personnes ont été blessées et plus d’1,5 million d’Haïtiens « déplacés ». En quelques minutes, la secousse a fait perdre au pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental 120 % de son PIB.

Ensuite, le monde s’est ému, des promesses de dons ont afflué, des missions de reconstruction se sont succédé. Des organisations internationales de renom se sont penchées sur le présent et le futur d’Haïti. Pourtant, huit ans après, le constat est amer : la reconstruction annoncée n’a pas eu lieu, ou si peu. Certes, des gravats ont été déblayés, des édifices ont été rebâtis, des personnes relogées, beaucoup d’autres simplement déplacées (on les appelle désormais ainsi).

Pire, les constructions, même nouvelles, sont toujours aussi précaires, les règles annoncées n’ont jamais été suivies, le code de construction n’est toujours pas opérationnel et aucun contrôle n’est mis en place, notamment dans les quartiers populaires. Les comportements à adopter en cas de secousses restent méconnus ; les exercices de simulation sont rares, voire inexistants.

Résultat ? Les spécialistes estiment qu’un séisme de même intensité provoquerait aujourd’hui le même nombre de victimes qu’en 2010 !

L’offre chinoise

En août 2017, dans le cadre de sa politique de Nouvelles Routes de la soie, la Chine a envoyé une délégation à Haïti pour évaluer les premières pistes concernant la reconstruction de la ville de Port-au-Prince, point de départ de la reconstruction d’Haïti.

Comme nous l’avons documenté sur ce site, la Chine est fermement engagée à éradiquer la pauvreté et ceci, aussi bien chez elle, que là où elle peut apporter son aide.

Ainsi, fin août 2017, le maire de Port-au-Prince Youri Chevry a conclu un accord cadre réunissant la Société haïtienne Bati Ayiti, dirigée par l’ancien sénateur Amos André, la mairie de Port-au-Prince et la firme gouvernementale de la République de Chine Populaire : Southwest Municipal Engineering Design & Research Institute of China.

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D’après l’Agence haïtienne de presse (AHP), outre le bâtiment devant loger la Mairie, la construction des marchés en bas de la ville, plusieurs milliers d’appartements ainsi que 100 km de route, le projet comprend une station de traitement d’eau potable d’une capacité de 225 000 m3 par jour, une station de traitement des eaux usées d’une capacité de 180 000 m3 par jour, un service de traitement des ordures ménagères, 450 toilettes publiques, une centrale électrique de 600 Mw et la rénovation du réseau électrique.

Enfin, un système de communication moderne, un système de cameras de sécurité qui devrait être capable de repérer les actes de banditisme, font également partie de l’accord.

4,7 milliards de dollars américains et 20 000 travailleurs de secteurs divers, seraient mobilisés pour cet important projet prévu pour être réalisé sur une période de 3 à 5 ans. Selon la firme chinoise MCC (Metallic Corporation of China), qui a rencontré le maire, le financement de la construction de la mairie de Port-au-Prince dans le cadre du Disaster Recovery Fund (fond de reconstruction post-sinistre naturel) du gouvernement chinois est aussi envisageable.

A terme, les Chinois prévoient d’investir la somme de 30 milliards de dollars américains en Haïti (à comparer avec les 30 milliards d’euros en contrats rapporté par Macron lors de sa visite d’Etat en janvier… )

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L’empire contre-attaque

Le scénario était-il trop beau ? Haïti enfin en voie de reconstruction ? C’était sans compter sur Londres et Washington, de plus en plus paniqués par le statut prestigieux que revêt désormais la Chine à l’échelle mondiale.

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Koldo Echebarria, représentant-résident de la BID.

Ainsi, immédiatement après l’annonce d’un contrat possible entre la Chine et Port-au-Prince, c’est Koldo Echebarria, le représentant-résident de la Banque Interaméricaine de développement (BID), qui monte à la barre au nom des « institutions financières internationales », pour rappeler sèchement que tout nouveau prêt commercial accordé à Haïti par des firmes chinoises entrainerait une renégociation des accords entre le pays et ses partenaires financiers institutionnels… Pour lui, en acceptant des prêts non concessionnels de la Chine, « il est clair que l’Etat haïtien viole ses engagements envers la communauté internationale ».

En effet, après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, Haïti avait accepté officiellement, par devant la communauté internationale, de refuser tout prêt dont l’élément « don » n’était pas pris en compte à au moins 35 %… (Source : FMI).

Ainsi, dans le cas précis de l’agrandissement de l’aéroport international Toussaint Louverture, par une firme chinoise, Haïti n’avait pas respecté cette donne. Et c’est en jouant son rôle de « censeur » que le FMI, appuyé par d’autres bailleurs comme la BID, la Banque mondiale et l’Union européenne, a bloqué la signature d’un prêt commercial entre l’Autorité aéroportuaire nationale (AAN), et la banque chinoise ICBC, pour la reconstruction de l’aéroport de Port-au-Prince ! Que c’est bien d’avoir des amis…

En clair, abusant de la faiblesse du pays, les grands bailleurs (virtuels) de fonds, ont carrément mis le pays sous tutelle financière ! Dans les faits, l’engagement d’Haïti en faveur des prêts concessionnels ne lui donne accès qu’à un club très restreint de partenaires financiers sur le marché international et lui défait de son droit souverain de négociation dans les affaires. Premier pays à s’être émancipé de l’esclavage, il faut sans doute le punir pour l’exemple !

Comme le précise Marie-Carmelle Jean-Marie, ex-ministre de l’Economie et des Finances :

Le gouvernement haïtien, pour avoir accès aux ressources chinoises dispose de trois options : passer outre les engagements pris envers les autres bailleurs, en renonçant à leurs concours financiers ; négocier des exceptions avec ces bailleurs, exceptions qui seront consignées dans la lettre d’intention au FMI ; nouer des relations diplomatiques avec la Chine. Pour les opportunités, tout pays, pour croître, a besoin de financement externe, l’épargne intérieure ne répondant pas à tous les besoins d’investissement (…) la Caraïbe, Haïti encore plus, doit faire appel aux pays excédentaires en capitaux pour se mettre sur la voie de l’émergence.

Qui investira ?

Pour Bernard Craan, président du Forum économique du secteur privé, « tout investissement fait dans des conditions normales de marché, respectant les lois et règlements ne peut être que bienvenu ; qu’il provienne de la Chine ou de n’importe quel autre pays ». « En ce qui concerne Haïti, ma position est la même. Je souhaiterais que les autorités haïtiennes fassent preuve de transparence et d’ouverture et tiennent la population au courant en divulguant les informations relatives à ces éventuels investissements publics de façon régulière », a-t-il souligné.

Hans Tippenhauer, de l’entreprise Bati Ayiti et intermédiaire de plusieurs compagnies chinoises, a confié au journal Le Nouvelliste que les Chinois « aimeraient faire d’Haïti un exemple » de leur capacité technologique.

L’annonce d’investissement de 250 milliards de dollars d’investissement sur dix ans dans les pays de la CELAC montre l’intérêt des Chinois pour cette région, a indiqué Hans Tippenhauer. « Il n’y a pas de relations diplomatiques avec la Chine. Ce n’est pas un obstacle commercial mais cela peut empêcher le pays d’être un hub pour les investisseurs chinois », a-t-il dit.

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Projet de nouvelle mairie pour Port-au-Prince.

Lettre du Maire de Port-au-Prince :

Port-au-Prince, 25 août 2017

Mr. Xie Yong Jian
Advisor
Southwest Municipal Engineering Design and Research Institute of China
No. 11, Xinghui Road, Jinniu District, Chengdu
Sichuan, China

Cher Mr. Xie :

Nous sommes heureux d’accepter le « Projet de rénovation municipale de Port-au-Prince, planification de la construction, proposition de projet » , projet qui comprend six (6) sous-projets, avec un investissement total d’infrastructure de 4,711 milliards USD qui comprend : les travaux d’eau et de drainage ; travaux routiers ; Travaux d’assainissement environnemental ; Réseau de communication et d’information avec infrastructure et la reconstruction de la « vieille ville » de Port-au-Prince qui comprend un nouveau marché, une zone commerciale et une nouvelle place de la mairie.

Une infrastructure solide et suffisante est une base essentielle pour la croissance rapide de la ville et nous comprenons qu’il améliorera la santé de la population et créera un environnement stable et sûr créant une base solide pour le développement économique.

Port-au-Prince, en tant que centre capital et industriel d’Haïti avec le plus grand port, a un énorme potentiel de développement. Il est primordial de commencer le développement de l’infrastructure pour améliorer la protection sociale, créer des emplois et stimuler l’économie après le tremblement de terre en 2010.

Après une recherche approfondie et une considération prudente, le gouvernement municipal soutient la mise en œuvre de la Projet de rénovation municipale de Port-au-Prince en tirant parti des investissements et des finances internationaux.

Nous sommes reconnaissants pour cette opportunité et nous sommes impatients de travailler avec l’Institut de conception et de recherche d’ingénierie du sud-ouest de la Chine dans ce projet.

Cordialement,

Le conseil de la municipalité de Port-au-Prince :

  • Ralph Youri Chevery, maire
  • Rose Kettyna Bellabe, maire-adjoint
  • Bernard Joseph, maire-adjoint

[1Située exclusivement sur les côtes et les îles, la « ceinture du feu », désigne un alignement de volcans, de limites de plaques tectoniques et de failles. Elle borde l’océan Pacifique sur la majorité de son pourtour, soit environ 40 000 km.
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