De la traite et de l’esclavage des Noirs en Libye au XXIe siècle

18 novembre 2017

   De la traite et de l’esclavage des Noirs en Libye

                                     au XXIe siècle

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            Le lundi 13 novembre 2017, j’ai eu l’honneur d’être l’invité de la section départementale d’un célèbre club service international pour donner une conférence sur « Les résistances africaines à la traite et les luttes des esclaves pour leur liberté dans les Amériques ».

            J’avais commencé mon exposé par une définition de l’histoire qui passe parmi nous pour une science alors qu’elle est un récit dont le contenu s’éloigne de la vérité dès lors que le narrateur néglige ou travestit certains faits devant le structurer. Puis j’ai insisté sur l’immensité de l’Afrique qui est comparable aux Etats-Unis, l’Europe et la Chine mis ensemble. Par conséquent, avais-je dit, il convient de ne jamais la considérer comme homogène, physiquement et humainement. Ensuite, j’avais pris soin de délimiter les zones du continent africain qui connaissaient la pratique de l’esclavage comme l’Europe – le servage n’étant rien d’autre qu’un mot issu du latin désignant l’esclavage – avant de souligner que la zone forestière l’ignorait totalement. Pour preuve, j’avais fait remarquer à l’assistance que la fin de la traite négrière atlantique au milieu du XIXe siècle a coïncidé avec la fin de la traite et de l’esclavage dans cette partie de l’Afrique. Cela est un fait historique indéniable. A la fin du XIXe siècle, les déportations et les assassinats des chefs africains opposés à la colonisation européenne – avec son lot de travaux forcés – constituent des preuves supplémentaires de la non-pratique de cette forme d’asservissement de l’homme par l’homme dans la zone forestière africaine.

                                Les foyers de l’esclavagisme africain

            Dès le lendemain de ma prestation, mon attention a été attirée par la vente aux enchères de migrants d’Afrique noire par des populations libyennes, blanches et arabes. C’est alors que m’est revenue avec violence ma réponse au doyen du public de la veille. Répondant à sa question sur l’esclavagisme que l’on dit exister aujourd’hui encore en Afrique, j’avais, à nouveau, clairement délimité les zones géographiques africaines où cette pratique était très ancienne et persiste encore : une zone qui part du Sahel jusqu’au nord du continent. J’avais alors avancé le cas de la Mauritanie où l’esclavagisme est courant en ce XXIe siècle et celui du Soudan où la traite a été constatée jusqu’au milieu du XXe siècle. J’avais alors parlé de l’expérience de Joseph Kessel et de son reportage pour le journal Le Matin en 1930. Le journaliste avait participé, au sud du Soudan, à la capture d’une bergère noire et témoignait des techniques mises en œuvre par les trafiquants pour se procurer la marchandise humaine qu’ils destinaient aux pays arabes d’Afrique du nord et du Moyen-Orient. Oui, l’esclavagisme est une pratique ancienne depuis le Sahel jusqu’au nord de l’Afrique où persiste encore en ce XXIe siècle ce que Malek Chebel appelle « l’esclavage de traîne » (1).

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                       Ce qui se passe aujourd’hui en Libye n’est donc en vérité qu’une logique de l’histoire de l’Afrique : la persistance, dans sa zone islamisée, de la pratique de l’esclavage depuis le Moyen Âge ! N’oublions pas que Soundjata kéïta l’avait aboli dans son empire au XIIIe siècle. Mais rien ne nous dit qu’il était parvenu à contrôler et maîtriser cette abolition. Tous ceux qui se vantent d’acheter et de vendre des Noirs sont issus de cette zone qui part du Sahel jusqu’au nord de l’Afrique. C’est dans cette zone sahélienne et nordique que l’on retrouve les confréries appelées « chasseurs traditionnels » qui ne sont rien d’autre que des chasseurs du gibier humain, des intermédiaires entre l’Afrique des forêts et le monde arabe.

                           Des chefs d’Etat africains sans réel pouvoir !

            Mais, après ce constat, la vraie question qui mérite d’être posée est celle-ci : que font les dirigeants africains dont les populations sont victimes de cette nouvelle traite et de ce nouvel esclavage ? C’est bien de montrer d’un doigt accusateur les Européens et les Arabes des siècles passés. C’est bien d’accuser les ancêtres de l’Afrique des forêts de ne pas avoir su lutter efficacement, pendant des siècles, contre les prédateurs européens et arabes. Maintenant qu’ils sont spectateurs de la répétition du même crime, que font-ils ?

            Retenons tous ceci : le mutisme des gouvernants africains devant le drame de leurs citoyens en exode massif vers des contrées lointaines – exode qui les expose à l’esclavagisme arabe connu depuis plusieurs siècles – témoigne de la vacuité de leur pouvoir. Certes, poussé par un journaliste, le président de l’union africaine a parlé. Mais que vaut la parole d’un président nègre ? Quel pouvoir a la parole d’un nègre ? « Tous les Noirs du monde actuel sont privés de pouvoir. Le pouvoir c’est tout simplement le contrôle de sa propre vie », le contrôle de la vie des siens pour un gouvernant !  « Si vous n’avez pas le contrôle (de votre vie et celle des vôtres), vous ne pouvez prendre vos responsabilités » (2). Oui, un président noir n’a aucun pouvoir devant ses pairs européens ou arabes. Un président noir est vide de toute substance valorisante pour les siens et pour la diaspora africaine.

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            Inutile de regarder du côté de la prétendue Communauté internationale à la solde de l’Occident ; une Communauté internationale qui n’est rien d’autre qu’un miroir aux alouettes pour les Africains. Elle est très douée pour les discours et pour détrôner un chef d’Etat nègre. Pour apporter une solution à une souffrance humaine, ses actions se limitent à des rassemblements chiffrés à des millions d’euros pour rédiger un discours final. En effet, on ne s’imagine jamais ce que cela coûte de réunir ces messieurs, de les loger durant des jours et des jours, les nourrir matin, midi et soir, leur assurer les voyages en avion pour les rassembler, les frais de carburant et les indemnités diverses pour produire un texte d’une page et un compte rendu de quelques dizaines de pages pour la postérité ! Assurément, les pauvres sont ingrats : ils ne savent pas apprécier le coût de tout ce que les puissants de ce monde font pour eux ! Assurément, les nègres sont des ingrats ! Il n’y a tout de même pas perte de gisements de pétrole dans cette affaire de vente de migrants noirs en Libye !

            Inutile de regarder du côté des médias français non plus. C’est la Corée que nous ne sommes pas capables de situer sur une carte qui les intéresse. Eux non plus d’ailleurs, mais en parler leur donne l’air d’être plus intelligents que nous. C’est pourtant la France qui a bombardé la Libye ! Mais une fois que les gouvernants français regardent ailleurs, nos journalistes déménagent pour ne pas rater l’actualité du président. C’est donc une journaliste américaine qui est venue leur montrer que la maison démocratique que la France dit construire en Libye grâce à ses amis au pouvoir brûle ! Pauvre France ! Pauvre Afrique ! Pauvre Afrique, l’obligée d’une pauvre France ! Les deux font la paire !

            Aux Français et aux Africains qui ne cessent de répéter qu’il faut tourner la page chaque fois que l’on évoque l’esclavagisme, je redis encore ceci : les peuples qui tournent les pages sombres de leur passé sans les lire, sans les enseigner, condamnent les générations futures à revivre les mêmes affreux événements.

(1) Malek Chebel : L’esclavage en Terre d’Islam, Fayard 2007.

(2) Nikki Giovanni, cité par Léonora Miano in « Marianne et le garçon noir », note p. 30).

Raphaël ADJOBI