Blocage du procès de Gbagbo : Universitaires et journalistes français démontent Bensouda

Le 30 novembre 2017, l’ancien président de la Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo a entamé sa septième année de détention dans le quartier pénitentiaire de la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye (Pays-Bas). Par courrier du 9 février 2018, le juge-président de la Cour, Cuno Tarfusser, a fixé un ultimatum à la Procureure générale Fatou Bensouda. Il lui demande de fournir un mémoire d’instruction détaillé des preuves à l’encontre de l’accusé.

On croit rêver. Ainsi, après 4 années d’un instruction conduite uniquement à charge, et disposant d’importants moyens d’investigation et deux ans de procès consacré à l’audition des seuls témoins de l’accusation , il est reproché à la Procureure générale de présenter un dossier insuffisant ! En effet, après le passage des témoins de l’accusation, le juge italien souhaite que Madame Fatou Bensouda fasse le lien entre les dépositions et les différentes charges retenues contre les deux accusés( Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, le leader des Jeunes Patriotes ) « À ce stade, conformément à ses pouvoirs et responsabilités statutaires et en vue de s’acquitter de son obligation d’assurer l’équité et la célérité du procès, la Chambre considère qu’il est en effet nécessaire d’inviter le Procureur à déposer un mémoire d’instruction contenant un récit détaillé de son cas à la lumière des témoignages entendus et de la preuve présentée au procès. Plus précisément, elle devrait indiquer à la Chambre de quelle manière, selon elle, la preuve appuie chacun des éléments des différents crimes et formes de responsabilité », stipule le communiqué publié en anglais.

Ce mémoire est nécessaire, selon le juge, au vu du retrait de nombreux témoins. « La Chambre rappelle que la Défense de M. Gbagbo avait indiqué que, pour permettre à la Défense et la Chambre d’apprécier la thèse du Procureur (notamment compte tenu du nombre important de témoins retirés depuis l’ouverture du procès), le Procureur devrait fournir un mémoire préalable au procès amendé, où tous les éléments de preuve soumis et les témoignages seraient spécifiquement liés à chacune des charges, souligne le juge italien ». Dans son courrier, Cuno Tarfusser enjoint par ailleurs Madame Fatou Bensouda de signaler le plus rapidement possible le retrait, si elle le souhaite, de certaines charges.

Dans toute autre institution judiciaire, une telle incompétence du ministère public entraînerait des sanctions immédiates… ou tout au moins une mise en liberté conditionnelle du prévenu.

Ce véritable camouflet ne surprendra pas ceux qui suivent ce dossier depuis le début. Le Monde diplomatique (1) dans son numéro de décembre 2017, titrait un article de Fanny Pigeaud consacré à cette affaire ”La Cour pénale internationale de nouveau en échec”. On relevait l’expression de ”débâcle de l’accusation contre M.Gbagbo”. On lisait aussi que ”révélant les carences d’une instruction à charge, les audiences mettent en lumière les responsabilités françaises dans le conflit et la puissance du réseau du président Alassane Ouattara». Dès juin 2012, la revue Marianne sous le titre « Gbagbo, déjà condamné ? », s’interrogeait sur le bien-fondé de la procédure judiciaire intentée alors par la Cour pénale internationale (Cpi) contre l’ancien président de la Côte-d’Ivoire.

Les révélations récentes de neuf médias regroupés dans l’European Investigative Collaborations (Eic), notamment Mediapart(2) pour la France, montrent aujourd’hui à quel point celle-là semble avoir été engagée en dehors de tout cadre procédural et, comme l’écrivent nos confrères, « au bénéfice exclusif d’une partie, à savoir l’actuel président ivoirien Alassane Ouattara ».

En contradiction totale donc avec la neutralité politique absolue que revendique l’institution judiciaire depuis sa création (…) La Cour et la Procureure persistent, en dépit de ses promesses de justice équitable, et de combat contre l’impunité, à refuser de s’enquérir des crimes de l’ex-rébellion, et de ses responsables, aujourd’hui au pouvoir, se contentant de ne juger que les vaincus, en confirmant ainsi s’être laissées instrumentaliser par certains pays et certains intérêts. Amnesty International, dans un rapport publié le 26 février 2013, fustige sous le titre ”La Loi des vainqueurs une justice borgne, en Côte d’Ivoire et à La Haye”.(4) Seul l’abandon de toute tergiversation et de l’inertie procédurale pourrait faire regagner à la Cpi un peu d’impartialité et de crédit. Si elle continue à faire la sourde oreille et s’obstine à n’entreprendre aucune poursuite à l’encontre des membres des forces pro-Ouattara, son sort sera très probablement celui d’un tribunal international purement symbolique, écrit Francesca Maria Benvenuto.(5) (…) Membre de la Cpi depuis le 1er avril 2015, la Palestine a transmis une première série de documents au procureur concernant la colonisation israélienne en Cisjordanie, l’offensive contre Gaza en 2014 et le sort des prisonniers palestiniens. Mais aucune « situation », comme on dit dans le jargon de la Cpi pour désigner les affaires traitées, n’a pour l’instant été déférée. (L’auteur de cette contribution veut bien prendre le pari que jamais aucune instruction, à fortiori un procès, ne sera diligentée envers les responsables politiques de l’Etat d’Israël. L’ouverture d’une telle instruction signifierait la disparition pure et simple de la Cpi…..ce qui, convenons en, aurait au moins le mérite de mettre fin à l’hypocrisie actuelle.) Pour la journaliste Stéphanie Maupas, le procès Gbagbo illustre l’instrumentalisation politique de la justice pénale mondiale : «On a l’impression que les puissances locales ou internationales ont fait de la Cpi un joker, observe-t-elle. Une carte diplomatique qu’ils peuvent brandir lorsqu’ils en tirent avantage. C’est le cas dans l’affaire Gbagbo et dans d’autres. Au final, ils ne font que fragiliser une institution qu’ils ont voulue et qu’ils financent (6)». Ce que semble reconnaître Hans-Peter Kaul, juge de la Cour pénale internationale.(7) (…) Dans une excellente étude de Guillaume Berlat publiée le 16 octobre 2017 sur le site « Les Crises » (9), l’auteur analyse les dérives de la Cpi, en particulier à travers le traitement du dossier Gbagbo. Nous en extrayons ces commentaires : «Pour ce qui est de la suite de l’histoire, il n’y a rien à ajouter de plus si ce n’est que Laurent Gbagbo a bien été traîné devant la Cpi et que le déroulement de la procédure démontre que le dossier du nouveau procureur tel qu’il existe en 2013 est trop faible pour pouvoir envisager un procès. Mais, l’intéressé n’est toujours pas libéré au titre de la présomption d’innocence, principe cardinal du droit français. Il est inculpé en 2014 pour crimes contre l’humanité en compagnie de Charles Blé Goudé. Sa santé est source de préoccupation. Quant aux crimes commis pendant la guerre par les troupes d’Alassane Ouattara et son actuel premier ministre, Guillaume Soro (800 civils massacrés dans l’ouest du pays), aucun mandat n’a, à ce jour, été émis par la Cpi. Du bon usage de la justice à géométrie variable et du deux poids, deux mesures». Pour l’heure, écrit Alain Léautier dans un article publié dans la revue Marianne n°1091, ” le procès est suspendu et nul ne sait quand il reprendra et si les avocats de Laurent Gbagbo renonceront à l’audition de leurs propres témoins pour hâter le dénouement. Comme ce fut le cas plusieurs fois, la rumeur d’une libération conditionnelle du prévenu agite à nouveau les couloirs de la Cpi…”(10) En conclusion, rien n’a changé depuis le fameux ” Vae Victis”(malheur aux vaincus)(11). Le droit international et son soi-disant bras justicier, la Cour internationale de justice, restent des instruments à la disposition des dominants. Le droit et la justice attendront…

Source  Investig’Action, sur LeTempsinfos.com