XVIe Sommet de la Francophonie : une langue en partage pour quoi faire ?
XVIe Sommet de la Francophonie : une langue en partage pour quoi faire ?
Le XVIe Sommet de la Francophonie s’est terminé dans une indifférence internationale généralisée et a posteriori cela semble plutôt mérité : qui pourrait affirmer s’être senti tout entier suspendu aux conclusions d’Antananarivo ? Concerné ?
Si l’on excepte la sempiternelle danse du ventre accordée, semble-t-il à la fois de facto et de jure, par France 24 et TV5 Monde aux principaux acteurs des manifestations de la Francophonie institutionnelle (qui sont après tout, leurs propres bailleurs de fonds et patrons !), on peut aisément se risquer à constater que ce XVIe grand barnum n’aura suscité ni passions, ni intérêt, ni tensions. Comme si les 44 chefs d’Etats qu’il a réunis n’avaient rien à se dire et rien à faire ensemble.
Prendre à bras le corps une crise migratoire qui déstabilise du Nord au Sud, de Montréal à Kinshasa Etats, peuples, sociétés, frontières, marchés et codes du travail ? Démonter, dans l’ordre, toutes ces logiques qui déplacent des masses d’hommes, de femmes et d’enfants contre leur gré et organisent au tout-venant l’espace francophone en circuit des exils ? Cela n’a pas été la conviction des signataires de la Déclaration d’Antananarivo, qui affirment leur adhésion à la toute neuve Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants d’octobre 2016, dont l’article 4 souligne » la contribution positive apportée par les migrants à une croissance inclusive et à un développement durable. Cette contribution rend notre monde meilleur. ». Considérer l’émigration comme une opportunité et non comme une contrainte ; faire de la mobilité une condition du développement plutôt qu’une conséquence d’un désordre social et économique. Pas certain que les vues du Sommet se confondent avec celles des peuples sur cette question…
« Soulignons qu’une approche globale est nécessaire pour favoriser un développement économique, social et environnemental durable et permettre à chacun de s’épanouir en vivant dans des conditions de dignité et d’égalité. Il relève de notre responsabilité commune d’exploiter les possibilités qu’offrent la migration et la mobilité, de relever les défis qu’elles représentent, cette responsabilité devant être partagée de manière équitable. » Déclaration d’Antananarivo, paragraphe 46. 2016
En ligne, Daech s’est doté récemment d’un organe francophone, Dar Al Islam, et déverse sa propagande en continu sur les réseaux sociaux. Au Sahel et en Afrique de l’Ouest Boko Haram et ses réseaux terrorisent et asservissent des populations entières, font reculer les Etats et les forces légales. Se réunir et coopérer pour affronter le développement du fondamentalisme islamique qui prospère en particulier dans les pays francophones ? C’est l’objet de cadres de coopération nouveaux qui ont émergé entre pays francophones ces dernières années, comme celui du G5 Sahel (2014), qui coordonne la sécurité des frontières entre Mauritanie, Mali, Burkina, Niger et Tchad ; toute la bande sahélienne. Cette coopération n’a ni été promue, ni élargie en cette occasion. Eclipsée par le génie diplomatique du premier ministre québécois Philippe Couillard, qui « n’a pas exclu la candidature de l’Arabie Saoudite » au club des Etats francophones, avant de revenir le lendemain sur ses propos. Eclipsée par le flou de la proposition d’un président Hollande en mal de grandes annonces avec son « réseau francophone de lutte contre la radicalisation » qui n’abandonne pas « les jeunes sans repères ». Avec 70% de jeunes dans le monde francophone et une démographie galopante qui double tous les vingt ans (on nous prédit un milliard de francophones d’ici 2050!) il va y avoir du monde à surveiller ! Voeu pieu s’il est relayé par des Etats dont les corps administratifs et judiciaires peinent déjà à assurer leurs fonctions fondamentales, sauf à centraliser le traitement des renseignements entre les mains des Etats les mieux outillés.
Parler d’économie ? De croissance francophone ? Le Commonwealth anglo-saxon a entretenu une proximité économique et commerciale entre des territoires par ailleurs fort différents et éloignés les uns des autres, qui fait encore du Royaume-Uni le premier client des exportations de l’île Maurice. Pourtant, cette dimension des échanges n’a été découverte par la Francophonie qu’en 2014, au Sommet de Dakar. Il n’était pas déplacé de mettre à profit, outre le partage d’une langue, les complémentarités économiques des territoires francophones, notamment pour aborder la révolution numérique ou miser sur l’investissement dans le développement. L’objectif de « croissance partagée » affiché en début de Sommet n’ayant pas été accompagné de moyens concrets par les Etats lors de sa conclusion, gageons que les plans d’émergence qui ont fleuri en Côte d’Ivoire, Togo, Bénin, Burkina, trouveront d’autres partenaires que les puissants actuels de la Francophonie, dont la balance commerciale ne reflète aucun virage francophone. Le Canada, malgré son bilinguisme officiel, compte uniquement des anglophones parmi ses partenaires commerciaux les plus proches : les Etats-Unis, le Royaume-Uni (la France est 10e). La France semble repliée sur le continent européen, essentiellement tournée vers le marché de l’UE.
A quoi ressemble la Francophonie, c’est à dire de l’alliance des Etats francophones, quand celle-ci ne répond à aucune crise commune, ne se dresse face à aucun défi majeur, pour se faire l’écho d’une mondialisation »positive » ?
Aux sermons éthérés des grandes puissances, de plus en plus éloignés des préoccupations et des expériences politiques de leurs collègues. On se souviendra pèle-mêle de l’allocution byzantine du Premier Ministre canadien Justin Trudeau, qui associait plaidoyer féministe et hommage à la mémoire du dictateur Fidel Castro ; du coup de menton de François Hollande pour la généralisation d’ « élections libres et transparentes » : une compétition de voeux pieux en réunion.
A la frénésie de l’élargissement : ce syndrome bien connu des organisations qui souvent déprécient la valeur de leur club à mesure où ils en facilitent les conditions d’accès. L’OIF n’y a pas manqué, et l’Argentine, la Corée du Sud ainsi que la province canadienne de l’Ontario ont adhéré à la Francophonie comme membres observateurs. La Nouvelle-Calédonie, territoire pourtant sous souveraineté française, est désormais membre associé, sans réactions de l’Elysée. Quant à la candidature de l’Arabie Saoudite, elle sera sérieusement réexaminée… au prochain sommet.
Alors il reste les investissements dans les infrastructures d’accueil des pays hôtes du Sommet, tous les deux ans. D’ailleurs le prochain coup de pouce aura lieu en Tunisie, où le tourisme s’est effondré après une vague d’attaques terroristes 2015.
Mais pourra-t-on, en 2018, tenir encore ces discours ? Face à la Méditerranée, les futurs acteurs de ce qui sera peut être le Sommet de Tunis trouveront-ils un autre sens à l’alliance des francophones que celui de « laisser-faire » ?
Loup Viallet