Vaccin contre le Covid-19: les antivax enflamment les réseaux
Défiance, complotisme, pseudo-médecine: l’hypothétique piqûre contre le coronavirus déchaîne les passions.
Selon un sondage Ifop réalisé fin mars 2020 pour le consortium Coconel (Coronavirus et confinement, qui étudie l’épidémie), plus d’un quart de l’échantillon français interrogé (26%) ne voudrait pas se faire vacciner contre le Covid-19 si un sérum existait.
Cependant, «il me semble important de ne pas considérer que ces 26% seraient tous des antivaccins», nuance Lucie Guimier, géographe, spécialiste des questions de vaccination.
«Il faut remettre le contexte: le développement du vaccin est encore en cours, et même si sa mise sur le marché succédera à des essais cliniques, nous n’aurons pas beaucoup de recul sur ses possibles effets indésirables. Il y a eu un précédent dans ce domaine qui a marqué les esprits, avec le cas du vaccin contre la grippe H1N1 qui a été développé et mis à disposition du public très rapidement; il a ensuite été démontré que le vaccin était à l’origine d’une augmentation du risque de narcolepsie chez les plus jeunes. Donc les craintes liées au développement et à la mise à disposition rapide de ce vaccin sont compréhensibles.»
La chercheuse poursuit: «De plus, l’acceptation ou le refus du vaccin dépendra probablement beaucoup des trajectoires individuelles durant cette pandémie. L’expérience d’un ou de plusieurs proches décédés de la maladie a de fortes chances d’induire une bonne vision du vaccin. Il sera intéressant d’étudier a posteriori de l’éventuelle future campagne de vaccination si l’on constate un plus fort taux d’adhésion dans les zones particulièrement touchées par le virus.»
Ces réserves sont sans doute à poser. Tout comme le fait que nous soyons dans une situation inédite, pandémique et traumatique qui va à l’encontre de ce qu’il est d’usage d’appeler le «paradoxe vaccinal» –celui-ci désigne la désaffection de la population pour un vaccin qui a fait ses preuves contre une maladie, et ayant par la même occasion fait disparaître l’impact de cette maladie dans les esprits. Cette période inédite et l’urgence sanitaire n’y changent pourtant rien: les antivax s’organisent déjà sur le web pour créer l’offensive.
Vase clos
«Les opposants à la vaccination s’organisent principalement en groupes sur les réseaux sociaux», explique-t-on chez Les Vaxxeuses, un collectif de citoyen·nes et de parents qui lutte contre la désinformation sur les vaccins sur Facebook. «Dans ces groupes, ils trouvent une caisse de résonance à leurs inquiétudes et craintes, s’échangeant des articles et opinions en vase clos. Toute remise en question des propos ou interrogation des sources proposées vaut l’exclusion des coupables, souvent avec des insultes voire des menaces en prime. Ironique pour des gens dénonçant la “dictature vaccinale” que de ne pas tolérer la moindre contradiction.»
Les Vaxxeuses mettent également l’accent sur les effets de meute: «De façon plus inquiétante, certaines personnes profitent de ces groupes comme espace de publicité pour gagner argent, gloire et renommée, quitte à créer autour d’elles des communautés de fans prêts à aller jusqu’au harcèlement pour défendre leurs idoles. Enfin, les opposants à la vaccination proviennent parfois d’autres communautés complotistes, et alors leur opposition est avant tout une conséquence d’un système de croyances plus large.»
Peu de place pour la pondération et la mesure dans de tels groupes. Il ne s’agit pas simplement de se méfier mais bien d’être dans l’opposition simple et nette à une éventuelle future vaccination.
Celle-ci se nourrit souvent d’une méconnaissance de la médecine et s’appuie sur l’argument selon lequel il est inutile, sinon impossible de créer un vaccin pour une maladie non-immunisante –c’est pourtant le cas du vaccin contre le tétanos.
L’adversité vient aussi d’une perte de confiance dans les organismes sanitaires et le corps scientifique et médical, ainsi que d’une défiance envers l’industrie pharmaceutique, ce fameux Big Pharma soupçonné, à tort ou à raison, de faire de l’argent sur notre santé.
Chez d’autres, on passe au cran au-dessus avec des soupçons de complot mondial auquel s’invitent des thématiques récurrentes au sein de la communauté complotiste: 5G, surveillance globale de la population, atteinte à la liberté, manipulation des enfants par les pouvoirs publics et le diabolique Bill Gates, prêt à tout pour faire prospérer sa société.
«Quoi qu’il en soit, ces oppositions de principe à la vaccination en général expliquent un rejet vis-à-vis du vaccin avant même que celui-ci n’existe», supposent Les Vaxxeuses. D’autres iront jusqu’à nier la gravité, voire même l’existence du Covid-19.
YouTube, la chambre d’écho
Alors que Facebook a tendance à filtrer et noyer les groupes antivax dans le flux des informations émanant d’entités sanitaires reconnues, YouTube devient une véritable chambre d’écho à ce type de propos, où les gourous s’expriment sans vergogne.
C’était le cas, par exemple, lors d’un récent live réunissant Silvano Trotta, Jean-Jacques Crèvecoeur, Christian Tal Schaller et Thierry Casasnovas, autant de figures de la défiance vaccinale et de la pseudo-médecine –à ce jour, cette vidéo enregistre 556.000 vues.
D’autres célébrités, habituellement plus consensuelles, s’invitent dans le débat à l’instar de Juliette Binoche qui a relayé des propos largement complotistes sur son compte Instagram.
«Il est difficile de déterminer l’impact spécifique de la parole des acteurs et autres personnalités du show-business sur la propagation de ces croyances, constatent Les Vaxxeuses. Mais elles donnent de l’écho dans l’espace médiatique à des positions qui se manifestent par ailleurs assez peu en dehors des réseaux sociaux. On peut en tout cas supposer qu’elles incitent les personnes appréciant leur travail à les suivre, y compris lorsqu’elles adoptent des postures complotistes totalement irrationnelles. Pour ce qui est des mouvements antivax, ils s’appuient sur l’aura et la célébrité de ces personnes pour s’en servir, parfois avec le soutien actif de ces dernières, comme figures de proue.»
À quoi s’attendre pour la suite? Selon Lucie Guimier, il est encore difficile de se prononcer. «Cela va dépendre en grande partie de la manière dont le gouvernement va agir et communiquer. Lorsqu’un vaccin aura fait ses preuves en matière de protection et d’innocuité, le gouvernement devra faire preuve de capacités logistiques optimales, contrastant avec le fiasco qu’on a pu observer jusqu’à présent sur les masques dont l’utilité a été réévaluée par les responsables en fonction du stock disponible.»
«De l’achat à la mise à disposition au public, et au coût du vaccin, il faudra faire preuve de transparence, sans quoi les mouvements de défiance à l’égard des autorités et envers le vaccin se multiplieront», poursuit-elle.
Du côté des Vaxxeuses, on craint l’émergence de nouvelles communautés antivax ou le renforcement de celles préexistantes. «ll y a plusieurs explications: les maladresses dans la gestion de la crise par les gouvernements mondiaux ou encore les propos ouvertement complotistes de Donald Trump. Par ailleurs, la controverse autour du professeur Raoult et de ses propos a pris une importance énorme, et il est perçu sur les réseaux sociaux comme un sauveur que les politiques chercheraient à étouffer, à restreindre pour protéger tel ou tel intérêt. Les personnes qui pondèrent et mettent en garde contre ses propos définitifs et bien peu prudents se voient très vite accusées d’être complices d’un vaste complot. Ce mécanisme de rejet irrationnel étant au cœur de la dynamique antivax, il est à craindre que celle-ci sorte renforcée par cette crise.»
Nous verrons alors si les mesures adoptées par les réseaux sociaux pour limiter la propagation des arguments antivax sont réellement efficaces ou si, au contraire, elles les amplifient, semblant légitimer le traditionnel argument complotiste «ils veulent nous faire taire».
Korii.slate.fr