Splendeur et décadence de l’ananas ivoirien
L’APE régional et les APEi ont été justifiés par des études basées sur des modèles d’équilibre général censés apporter une vérité scientifique indiscutable. Pourtant la Commission a refusé de publier les trois dernières études qu’elle avait financées car elles concluaient à un impact négatif pour l’AO . Finalement la DG Commerce a publié sa propre étude en mars 2016, remplie de contre-vérités. Notamment en affirmant que le programme d’aide à l’APE (PAPED) apportera 6,5 milliards d’euros (Md€) à l’AO de 2005 à 2020 alors que la DG développement souligne qu’il s’agit d’un reciblage des aides du FED, de la BEI et des fonds du Budget de l’UE . L’ambassadeur de l’UE au Nigéria a même déclaré que l’UE s’engage à financer le PAPED de 6,5 Md€ tous les 5 ans jusqu’en 2035, une impossibilité puisque l’Accord de Cotonou expire en 2020, que l’on ne sait s’il sera renouvelé et à quelle hauteur. Et le Royaume-Uni, qui quitte l’UE, finance 14,5% du 11è FED, qui n’est pas un budget de l’UE mais des Etats membres.
Selon la DG commerce l’APE permettrait à l’AO d’accroitre ses exportations dans l’UE ce qui n’est pas crédible car sa population baisserait après 2030, et que l’AO perdra en compétitivité, notamment vis-à-vis des 3 pays Andins et 6 pays d’Amérique centrale ayant accès aussi à droits nuls au marché de l’UE pour le cacao transformé, les conserves de thon et les ananas.
L’impact de l’APE a plusieurs facettes dont la première concerne les pertes de DD et TVA à l’importation et l’autre l’érosion de ses marges de manoeuvre politique.
2.1 – Les pertes de recettes douanières
Dans une APE sans le Royaume-Uni, les pertes annuelles de DD et TVA sur les produits libéralisés passeraient de 696 millions d’euros (M€) en année T5 à 4,5 milliards d’euros (Md€) en T20. Les pertes cumulées bondiraient de 8,5 Md€ en T10 à 46,5 Md€ en T20. Ces évaluations tiennent compte de la hausse des importations venant de l’UE28-RU liées à la hausse de la population (de 62% de 2016 à 2035), au détournement des échanges au profit de l’UE et au détriment des importations venant de l’AO et des pays tiers, et à la perte de TVA sur les importations. 51% des pertes pèseraient sur les 13 PMA (auxquels on assimile le Cap Vert, dont 7,2% sur le Sénégal), 7,8% sur la CI, 8,5% sur le Ghana et 33% sur le Nigéria .
Les pressions exercées par la Commission européenne sur les responsables politiques d’AO et de l’UE pour signer l’APE AO et les APEi s’expliquent par les pressions en amont des firmes d’agrobusiness, surtout françaises : la Compagnie Fruitière de Robert Fabre qui produit et exporte l’essentiel des bananes et ananas de CI, du Ghana et du Cameroun; le Groupe Mimran qui possède les Grands Moulins d’Abidjan et de Dakar et qui a fait pression pour réduire à zéro le DD sur le blé importé; Thai Union Europe et sa filiale MW Brands à Paris, qui contrôle l’essentiel des exportations de conserves de thon de CI vers l’UE, avec une conserverie à Douarnenez; le Groupe Bolloré qui contrôle la plupart des infrastructures portuaires du Golfe de Guinée et participe à l’exportation des produits vers l’UE.
Mais les montants avancés par le Ghana pour les droits à payer pour continuer à exporter vers l’UE, de 400 M€, sont un gros mensonge car ils seraient de 55,9 M€ en tenant compte du Brexit. Par contre la CI devrait payer 146 M€ sur ses exportations vers l’UE28-RU en l’absence d’APE.
Mais ces calculs ignorent les conséquences des APEi sur la taxation probable d’une partie des exportations de CI et du Ghana vers le reste de l’AO. Car les importations de ces pays seront soumises à deux tarifs extérieurs différents selon qu’elles viendront de l’UE ou de pays tiers ou des autres Etats de la CEDEAO. Même si la libéralisation des importations ne commence qu’en T5 (2021) elles seraient frappées immédiatement de DD inférieurs à ceux du TEC puisque le DD maximum des APEi est de 20% contre 35% dans le TEC. Il en résultera un détournement des investissements au sein de la CEDEAO et donc une meilleure compétitivité des produits de la CI et du Ghana au détriment des autres Etats de la CEDEAO. Et à partir de T5 une partie des produits importés à DD nuls de l’UE seraient réexportés vers les autres Etats d’AO sans pouvoir les taxer, compte tenu du laxisme des règles d’origine de la CEDEAO et d’une absence de vérification sérieuse par les douaniers.
L’intégration régionale étant censée être le premier objectif de l’APE, la DG commerce et le Parlement européen n’ont cure de la désintégration de l’AO. Toutes les politiques communes mises en place depuis 1975 seraient ébranlées, notamment la politique agricole (ECOWAP) étant donné le poids de la CI dans les échanges agricoles régionaux.