RHDP: Les grandes manœuvres de Ouattara
La colère gronde au PDCI-RDA. Des jeunes de ce parti ont empêché, le jeudi 11 janvier 2017 à Abidjan, la réunion du Comité de haut niveau pour la mise en place du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, coalition réunissant le PDCI-RDA, le RDR, le MFA, l’UPCI et l’UDPCI) comme parti unifié. Ils se disent convaincus que ce parti à naître va sonner le glas de la plus vieille formation de Côte d’Ivoire, entraînant sa liquidation.
A l’unisson, la première réunion annuelle des délégués départementaux et communaux tenue le même jour à Daoukro a encouragé «le président du parti (Henri Konan Bédié) à demander à notre allié, le RDR, à se déterminer avec clarté sur la question lancinante de l’alternance afin de créer la confiance au sein de l’alliance du RHDP».
Après bientôt treize ans de vie commune, il y a de l’eau dans le gaz. Les militants du PDCI-RDA ont de plus en plus le sentiment que la plate-forme fait de leur parti politique le dindon de la farce.
La naissance, le 18 mai 2005 à Paris, de cette plate-forme politique représente un véritable cadeau empoisonné pour le parti fondé par Félix Houphouët-Boigny. C’est désormais un géant aux pieds d’argile: il a perdu sa place de première formation politique ivoirienne et se trouve largement désormais à la remorque du RDR, le parti sorti de ses entrailles en 1994.
Tous les pions qui sont en train d’être poussés apportent de l’eau au moulin de Georges Djéni Kobina Kouamé, fondateur et premier secrétaire général du RDR. A la création de ce parti centriste, il affichait ses ambitions: faire disparaître l’ex-parti unique en le réduisant «à l’état de vestiges au nord et de reliques au sud».
Le 19 octobre 2007, Djéni a tiré sa révérence sans avoir réalisé cette ambition mais cet objectif apparaît en filigrane dans les actions menées. Aussi, quand Bédié, à l’issue du Bureau politique tenu le 17 novembre 2015, a proposé «le retour de toutes les formations politiques du RHDP au PDCI-RDA, l’œuvre la plus chère à Félix Houphouët-Boigny», il n’a récolté qu’une fin de non recevoir de tous les prétendus fils d’Houphouët.
La pilule fut difficile à avaler: il est payé en monnaie de singe. Si Ouattara, pour sa réélection, est passé haut la main à l’issue de la présidentielle du 25 octobre 2015, c’est parce que, sur injonction de Bédié, le PDCI-RDA s’est fait hara-kiri: par son Appel de Daoukro en date du 17 septembre 2014, le parti, malgré les résolutions du XIIè Congrès ordinaire (3 au 6 octobre 2013), a renoncé à ses ambitions présidentielles au profit de la candidature unique de Ouattara pour le compte du RHDP.
Après le refus de se fondre dans le PDCI-RDA, le RDR a infligé un autre camouflet à son allié. Il refuse de lui retourner l’ascenseur et reste donc sourd à la contrepartie attendue de l’Appel de Daoukro: l’alternance au pouvoir en 2020 sous forme de tontine politique, au profit de la candidature unique d’«un militant actif du PDCI-RDA» pour le compte du RHDP.
Car Ouattara reste flou sur ses intentions en 2020 avec ses réponses normandes. Tantôt, il est catégorique: «A l’occasion de mes 75 ans, ceci m’amène à réaffirmer que les institutions de la République qui seront mises en place très prochainement me permettront de prendre congé en 2020», déclarait-il le 4 janvier 2017, à l’occasion de ses vœux aux corps constitués du pays. Tantôt, il est nuancé: «Attendez 2020 pour connaître ma réponse en ce moment-là», a-t-il confié le 27 novembre 2017 à France 24.
Deux faits intervenus dans cette période mettent les puces à l’oreille. D’un, la Constitution de la IIIè République promulguée le 8 novembre 2016, remet les compteurs à zéro et n’empêche pas juridiquement Ouattara de solliciter un autre mandat présidentiel. Sans compter que lui-même avoue qu’il est contre la limitation des mandats, au point que se présentant à la présidentielle de 2010 pour n’exercer qu’un seul mandat, il a rempilé en 2015.
De deux, à l’issue du IIIè Congrès ordinaire du RDR (9 et 10 septembre 2017), il a déjoué tous les pronostics en nommant Mme Henriette Dagri Diabaté comme présidente du parti. Ouattara s’est attribué le titre de président d’honneur du parti à la Case. Et il y a anguille sous roche.
Le 31 octobre 2017, à l’issue d’une rencontre avec son «aîné» Bédié (photo), Ouattara (à g.) a mis le turbo pour la naissance du parti unifié du RHDP. Il a annoncé la création d’un Comité de haut niveau chargé de travailler sur le manifeste et les textes (Statuts et Règlement intérieur) du futur parti unifié. Et la machine s’est mise en branle.
Car deux positions antagonistes s’opposent et peuvent provoquer le clash en 2020 entre les deux poids lourds de l’alliance. «Le PDCI aura un candidat en 2020. Ce sera le candidat unique du RHDP. Il faut qu’Alassane Ouattara et moi nous entendions sur ce point pour que cette alternance ait lieu», a confié le 26 juin 2017 Bédié dans un entretien à Jeune Afrique.
Réponse du berger à la bergère. «Je veux dire aux uns et aux autres que pour la prochaine élection présidentielle, tous pourront se porter candidat, selon les dispositions de notre Loi fondamentale qui garantit des élections démocratiques et transparentes», a déclaré Ouattara pour doucher l’optimisme de Bédié dans son adresse à la nation, le 6 août 2017, à l’occasion de la commémoration du 57ème anniversaire de la Côte d’Ivoire pour traduire le bras de fer.
Au Congrès du RDR, il a mis balle à terre pour jouer l’endormissement. «Je voudrais dire à tous ceux qui se font des illusions, Henri Konan Bédié et moi sommes ensembles. Il n’y aura pas de problèmes entre Henri Konan Bédié et moi», a précisé Ouattara pour flatter son «aîné».
Quant au RDR, il a produit, sous son impulsion, une résolution spéciale consacrée à la constitution du parti unifié, dans les meilleurs délais. Nous y sommes. Car Ouattara a revu toutes ses ambitions. Si sa candidature est désormais dans l’ordre du possible, sa démission avant le terme de son second mandat (2015-2020) qu’il mettait dans la balance pour appâter ses alliés dans la campagne pour le projet de Constitution, n’est plus à l’ordre du jour.
Et Ouattara a engagé les grandes manœuvres. Il a lancé RHDP dont l’unification était en souffrance, dans une course contre la montre afin que cela devienne réalité avant 2020. C’est la course contre la montre pour tuer dans l’œuf une opposition frontale prévisible entre le PDCI-RDA et le RDR.
Ouattara vise clairement la présidence du parti unifié pour remplacer Bédié qui est depuis toujours le président de la Conférence des présidents des partis membres du RHDP. Son ambition est simple: instrumentaliser cette machine politique afin qu’elle reste à sa solde et exécute sa volonté.
Chaque parti ayant perdu son identité et son autonomie parce que dissous dans le RHDP, il n’y a plus que les seules instances du RHDP. Et alors Ouattara sera l’incontestable maître du jeu qui aura entre ses mains toutes les cartes. A la tête de l’État, il détient déjà les moyens de pression et les instruments de chantage qui mettent tout le gotha du RHDP à ses pieds.
Des jeunes du PDCI-RDA, aiguillonnés en sous-mains par des cadres du PDCI qui tirent les ficelles, ont choisi d’exprimer leur inquiétude dans des réactions de colère. Ils ont tous le net sentiment que leur président, avec toutes les concessions qu’il consent en vain depuis sa «spoliation d’au moins 600.000 voix» qu’il a dénoncée au premier tour de la présidentielle du 31 octobre 2010, est désormais influençable et manipulable à souhait.
«Bédié, c’est Ésaü: il a vendu son droit d’aînesse contre un plat de lentilles», commente Laurent Gbagbo dans son ouvrage «Pour la vérité et la justice», co-écrit avec le journaliste français François Mattéi.
«Mon aîné et moi sommes sûrs que le pays est en de bonnes mains», s’est réjoui Ouattara à la sortie de sa rencontre avec Bédié. Cette déclaration a alerté des militants du PDCI-RDA sur un autre deal qui pourrait être conclu à leur insu, comme l’Appel de Daoukro qui leur a été imposé.
Elle sonne comme un autre blanc seing que Bédié a donné. Car la suite d’une telle sortie est connue: on ne change pas une équipe qui gagne. Et ainsi, on va reprendre le même Ouattara, «bâtisseur infatigable, nouveau développeur de ce beau pays» selon Bédié, pour recommencer en 2020.
FERRO M. Bally
Bally Ferro