Réactions suite à l’assassinat de Samuel Paty, égorgé en leine rue
Rédac France Culture@FC_Assassinat de Samuel Paty : les deux collégiens de 14 et 15 ans présentés au juge ont reçu environ 300 euros pour désigner le professeur au tueur islamiste. Ils sont restés en contact prolongé avec Abdoullakh Anzorov. https://franceculture.fr/emissions/journal-de-18h/journal-de-18h-emission-du-mercredi-21-octobre-2020
La philosophe et enseignante rend un hommage bouleversant à Samuel Paty, ce professeur martyr qui a voulu que ses élèves puissent « se construire librement ».
Tu t’appelais Samuel Paty. Et tu avais choisi de consacrer ta vie, celle qu’on t’a violemment arrachée ce vendredi, à enseigner l’histoire. À transmettre à de jeunes citoyens bien plus qu’un ensemble de savoirs fondamentaux : le goût de la liberté, le sens de sa valeur et la conscience de sa vulnérabilité.
Voici venu le temps dont parlait Camus dans La Peste. L’heure, qui a si souvent sonné dans l’histoire, où « celui qui ose dire que deux et deux font quatre est puni de mort. » Celle où l’instituteur qui s’obstine à faire son travail devient malgré lui un martyr en sursis. Tu le savais. Et tu voulais, quoi qu’il t’en coûte, que tes élèves fassent l’addition. Car c’est cela, l’école. La possibilité d’un sursaut. Ce lieu sans verrou et aux mille fenêtres où nos convictions, nos a priori, nos préjugés quittent le confort de notre intimité pour s’observer à la lumière du jour. Ce refuge détesté des gardiens de l’obscurité, non parce qu’il aurait, comme ils se plaisent à le prétendre, juré la mort de la foi, mais parce qu’il fait émerger, avec l’apprentissage du questionnement et du désaccord, l’espace du choix. La connaissance n’est pas l’ennemi des croyances, mais celui de toutes les tutelles intellectuelles et morales. L’arme redoutée des adorateurs du pouvoir de contraindre, parce qu’elle réserve à chacun le droit de dire non. De changer d’avis comme de religion. De douter, de cesser de croire ou de croire autrement. De s’approprier les textes sacrés et de tenir tête à ceux qui se sont arrogé le monopole de la lecture légitime.
Tu rêvais d’un monde où l’on pourrait débattre tous ensemble et sans drame. Un monde appelé « République », dans lequel un enseignant peut faire cours sans se mettre en danger. Mais tu connaissais la distance qui nous en sépare. Tu voyais chaque jour à quel point la réalité contredit l’idéal. Alors, parce que le bien-être de tes élèves passait avant tout à tes yeux et parce que tu savais qu’aucun enfant n’est responsable de l’éducation qui l’a amené à se sentir blessé jusqu’au malaise par un dessin, tu as proposé à ceux qui le souhaitaient, avant de montrer une caricature du prophète, de sortir ou de détourner le regard. Et l’engrenage s’est enclenché. Pendant quinze jours, ils ont voulu te faire payer à grand renfort de manipulations. Quinze jours durant, ils ont été nombreux à relayer le mensonge et à se joindre aveuglément à l’odieuse curée. À soutenir la vendetta d’un père hypocrite qui t’avait accusé de stigmatiser tes élèves musulmans, alors qu’il incarnait le mur de pressions et de compromissions sur lequel nous sommes si nombreux à nous être cognés. Par sa plainte ridicule déposée à ton encontre pour « diffusion d’images pornographiques », par sa façon d’instrumentaliser sa fille en lui prêtant un traumatisme provoqué par une scène à laquelle elle n’avait pas assisté, il a démontré le bien-fondé de tes appréhensions.
Que faites-vous aujourd’hui, tandis que Mila a dû être déscolarisée?
Un professeur qui invite certains de ses élèves à quitter la classe, évidemment, c’est absurde. Inconcevable. On entend déjà les inspecteurs des travaux finis, toujours là pour confondre cause et conséquence, te faire jusque dans la tombe l’article sur la neutralité que tu aurais bafouée. Il est tellement plus facile de te reprocher de ne pas voler droit que d’admettre que dans ce pays, il y a bien longtemps déjà que la laïcité a du plomb dans l’aile. Comme si l’annonce de ton assassinat ne suffisait pas, il a fallu qu’on apprenne que tu avais présenté des excuses. Que les harceleurs avaient réussi à te faire endosser la responsabilité de leurs méfaits. Et qu’ainsi, ce qui n’aurait jamais dû cesser d’être notre honte et notre affaire collectives était devenu ta faute.
Non, Samuel, personne n’a le droit de te juger. Vous qui vous étonnez, vous qui vous scandalisez qu’un enseignant démuni signale à ses élèves musulmans qu’il ne les forcera pas à regarder des caricatures du prophète, où étaient vos alarmes quand un sondage Ifop publié le mois dernier montrait que 69% des Français de confession musulmane voient dans la publication de ces dessins une « provocation inutile » ? Quand les « ils l’ont quand même un peu cherché » ont fusé en janvier 2015, alors que le sang des dessinateurs de Charlie Hebdo était encore frais ? Que faites-vous aujourd’hui, tandis que Mila, la lycéenne qui, pour avoir insulté le dieu qu’on lui avait brandi à l’appui d’attaques lesbophobes, a dû être déscolarisée suite à des menaces de mort émanant notamment de certains de ses camarades, confie qu’elle s’attend elle aussi à mourir « butée par un islamiste » ? Qu’aviez-vous à dire à tous les spécialistes du « oui, mais » qui l’ont accusée d’avoir provoqué son calvaire, et à Cyril Hanouna qui l’a jetée en pâture dans son émission en lui intimant de « se faire toute petite » au prétexte qu’il « n’aime pas qu’on rigole ou qu’on insulte des religions » ? Et que direz-vous désormais à ceux qui, le lendemain de la décapitation d’un enseignant, récitent une fois de plus le couplet-couperet qui, en laissant entendre qu’on devrait renoncer à caricaturer la religion pour éviter de nouvelles tragédies, achève l’œuvre des bourreaux en cédant à leur chantage ?
Telle est la vérité avec laquelle il est plus que temps de se mettre en règle. Nous avons collectivement laissé s’élever un royaume de peur et d’intimidation, où l’arbitraire des sensibilités fait tacitement la loi. On t’en veut, Samuel, de t’être étouffé avec cet air asphyxiant qu’on t’a contraint à respirer, d’avoir balbutié le couteau sous la gorge. On aurait voulu que toi, le simple professeur, tu accomplisses l’impossible quand les autres n’ont pas le courage élémentaire de reconnaître l’évidence. Que tu enseignes sereinement la laïcité au moment même où tant de tes concitoyens s’en lavent les mains quand ils ne lui crachent pas ouvertement au visage, et que tu portes haut notre « liberté chérie » en ignorant ses fossoyeurs qui t’assaillaient sans rencontrer de grande résistance. Ce qu’il nous faut comprendre enfin, Camus l’avait énoncé dans une conférence de 1946 si justement intitulée La crise de l’homme : « Nous devons appeler les choses par leur nom et bien nous rendre compte que nous tuons des millions d’hommes chaque fois que nous consentons à penser certaines pensées. On ne pense pas mal parce qu’on est un meurtrier. On est un meurtrier parce qu’on pense mal. C’est ainsi qu’on peut être un meurtrier sans avoir jamais tué apparemment. Et c’est ainsi que, plus ou moins, nous sommes tous des meurtriers ». À chaque fois que nous traitons en provocateurs condamnables ceux qui n’ont jamais voulu provoquer autre chose que la réflexion, nous armons ceux qui sont prêts à tout pour éteindre la pensée.
Confronter les croyances des élèves à la satire et à la critique
C’est pour mettre un terme à la tyrannie de la susceptibilité dans laquelle certains adultes enferment leurs enfants que tu as pris ce risque qui n’aurait jamais dû en être un. Celui d’analyser un dessin avec tes élèves. Pour les amener, par la pédagogie et par l’exemple, à se prouver à eux-mêmes qu’il n’y avait rien à craindre. Qu’ils étaient capables de confronter leurs croyances à la satire et à la critique. Pour leur offrir l’occasion précieuse de constater que faire face à la contradiction n’a jamais tué personne, mais constitue au contraire la seule façon de se forger des convictions solides à la flamme de la raison. Le marteau nietzschéen a beau avoir retenti plus d’une fois dans mes classes, je n’ai jamais traumatisé personne en distribuant des textes qui égratignent nos certitudes, qu’elles soient religieuses, existentielles, métaphysiques, épistémologiques ou politiques. Si j’en crois mes anciens étudiants, j’ai peut-être même contribué, Dieu me pardonne, à éveiller quelques vocations philosophico-théologiennes. J’imagine que pour les businessmen du ressentiment qui cherchent à recruter des terroristes dociles, chaque nouveau Averroès ou Al-Ghazâlî qui se forme à l’école de la République est un affront insupportable. Il n’y a pas de plus belle victoire pour un enseignant que d’avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour tenir en échec ceux qui auraient voulu empêcher ses élèves de se construire librement. Ton bourreau a cru faire une démonstration de force en t’abattant. Il n’a su qu’exhiber malgré lui un aveu de défaite.
Cette bataille, Samuel, tu l’as déjà remportée. Passionné, attentionné, drôle et captivant : c’est ainsi que tes élèves parlent de toi. L’homme qu’ils se remémorent en ces termes et dont ils pleurent la disparition brutale ne pouvait être qu’un grand professeur. De ceux qui font murir derrière les pupitres des esprits justes, des cœurs reconnaissants dénués de méchanceté. Loin des polémiques médiatiques, hors de portée des prêcheurs de haine, tes élèves se souviendront de toi avec la même gratitude tendre que celle que j’éprouve envers les enseignants qui ont changé ma vie. Comme Elizabeth Bourrel, Bernard Diette, Patrice Lheureux, Marie-Noëlle Véran, Sébastien Cote, Luc Verrier et tant d’autres sont pour moi les noms des personnes auxquelles je dois ma vocation et une profusion de richesses que nul ne peut dérober, Samuel Paty sera, pour les enfants qui ont eu la chance de croiser ta route, celui d’un homme dont l’existence était guidée par le souci de les rendre maîtres de la leur.
LExpress.fr
Barbara Lefebvre: «La République a laissé croire que l’islamisme était une opinion comme une autre»
FIGAROVOX/TRIBUNE – Il n’y a pas d’islamisme modéré, juge Barbara Lefebvre. Selon l’enseignante et essayiste, l’attentat contre Samuel Paty est le fruit de trente ans de mollesse et de tiédeur.
Par Barbara Lefebvre, Publié le 19 octobre 2020 à 17:15, mis à jour hier à 11:06
En quittant son collège ce vendredi après-midi, Samuel Paty était probablement soulagé d’être en vacances. Ces sept premières semaines de cours furent éprouvantes entre les contraintes des mesures sanitaires, puis début octobre la tourmente, à la suite des attaques venant d’un parent d’élève. Ce dernier trouva assistance auprès d’un islamiste pro-Hamas membre du Conseil des imams de France, du CCIF, de la mosquée de Pantin. Ensemble, ils lancèrent une campagne mensongère sur les réseaux sociaux qui s’apparente à une fatwa contre Samuel Paty.
Dans cette épreuve, Samuel Paty se sentait-il seul ou soutenu par ses collègues comme il se devait? Peut-être a-t-il pensé que les vacances apaiseraient les tensions pour qu’il retrouve avec enthousiasme ses élèves le 2 novembre. Il regagnait donc son domicile, à pied, en cette fin d’après-midi lorsqu’il quitta brutalement Conflans-Sainte-Honorine pour se retrouver plongé dans l’Algérie des années GIA, dans la Syrie de l’Etat Islamique, dans l’Afghanistan des Talibans, dans le Nigéria de Boko Haram, dans le Mali des Signataires par le sang.
Car, par éclipses régulières, voilà où tombe notre France d’aujourd’hui. En quelques instants, une vie, des vies, basculent dans un autre espace-temps: celui du jihad. L’effroi nous saisit, l’émotion nous envahit, des hommages sont organisés. Mais jusqu’à présent, aucun combat sérieux contre le cancer de l’islam politique n’a été engagé. Enfermés dans le déni ou l’indifférence, depuis Creil en 1989, nos dirigeants ont préconisé l’homéopathie, puis après 2015 les lois anti-terroristes relevèrent du traitement antibiotique, tout aussi inefficace pour traiter un cancer.
Il fallait une chimiothérapie, doublée d’une longue radiothérapie en raison des nombreuses métastases résultant de trente ans de déni. Aujourd’hui, où est le dirigeant qui oserait un traitement de choc de dernier recours, prêt à ébranler tout le corps social pour cibler une minorité tyrannique mortifère? Il regagnait donc son domicile, à pied, en cette fin d’après-midi lorsqu’il quitta brutalement Conflans-Sainte-Honorine pour se retrouver plongé dans l’Algérie des années GIA
L’islam politique est «la maladie de l’islam» comme l’écrivait Abdelwahab Meddeb. L’islamisme est d’abord l’affaire des musulmans: à eux de s’en tenir à distance s’ils prétendent que leur foi est apolitique et pacifique. Aux musulmans de ne pas adopter les modes de vie, les codes vestimentaires, les pratiques dévotes, les idées racistes, antisémites, sexistes, des islamistes. Vivre dans une démocratie laïque comme la France est pour les musulmans une opportunité extraordinaire pour se distinguer des islamistes.
Hélas, en se ramollissant depuis quarante ans dans ses principes fondateurs, en tombant souvent dans le clientélisme politicien le plus vil, la République a laissé croire aux musulmans que l’islamisme était «une opinion comme une autre». Il y avait des «Talibans modérés», des «salafistes quiétistes», des femmes déguisées en fantômes ambulants transformées en parangons du combat féministe… Le relativisme du «pas d’amalgame» a rendu attractif la radicalité islamique pour une partie des musulmans de ce pays, par ailleurs nourris d’une rancune postcoloniale que des militants, soi-disant antiracistes, se chargent d’alimenter depuis deux décennies.
L’islam politique est aussi une maladie pour la majorité des Français qui ne sont pas musulmans. Les jihadistes transposent en actes les doctrines salafistes, fréristes et wahhabites et leur projet génocidaire, leur suprémacisme totalitaire. Rien d’étonnant qu’Hitler soit un modèle pour tant d’islamistes: depuis le Grand mufti de Jérusalem al-Husseini installé à Berlin pendant la guerre jusqu’au prédicateur al-Qaradawi protégé par le Qatar. Pour entraver ce totalitarisme, il faut agir en expulsant du territoire français les criminels et délinquants jihadistes et les idéologues qui sont leur carburant.
Expulser définitivement les islamistes étrangers et binationaux (qu’on peut déchoir de la nationalité française sans les rendre apatrides). Surveiller constamment les ressortissants français signalés, les sanctionner, notamment par la suspension de toutes aides sociales. En outre, une République qui protège devrait mieux veiller sur les milliers d’enfants vivant dans ces milieux éducatifs toxiques.L’islamisme est d’abord l’affaire des musulmans : à eux de s’en tenir à distance s’ils prétendent que leur foi est apolitique et pacifique
N’étant pas membre du club des optimistes, je crains que le meurtre de Samuel Paty ne conduise pas aux mesures strictes qui s’imposent après trente ans de laisser-faire. L’émotion des hommages recouvrira encore notre colère. L’horreur de ce crime islamiste fera taire quelques instants les «oui, mais…», tant entendus après Charlie hebdo, et envers Mila. Si Samuel Paty n’était pas décédé mais que son conflit avec le parent d’élève avait été médiatisé, on imagine qu’un bateleur de la télé-caniveau aurait organisé un débat «oui-non» où ses chroniqueurs auraient éructé contre ce prof qui montre des caricatures et «offense des enfants musulmans». Comme ils avaient calomnié Mila, qui vit sous protection policière.
Samuel Paty n’a fait que son travail, appliquant le programme d’éducation civique. Il a œuvré pour élever les jeunes esprits qui lui étaient confiés en leur proposant de penser par eux-mêmes, probablement la plus difficile des attitudes intellectuelles dans notre monde de pensées toutes faites, de taxinomie intellectuelle pathologique. Il voulait leur rendre le monde moins binaire, moins obscurantiste. Les majorités pacifiques sont toujours renversées par des minorités ultraviolentes. L’immense majorité de ses élèves a compris sa démarche, ils se sont ouverts au débat démocratique.
Une infime minorité a opté pour le jihad: la parole mensongère d’une enfant relayée par des parents intégristes soutenus par un militant islamiste et diverses officines de même obédience, puis l’exécution par le jihadiste. Tout cela pour deux dessins. Des caricatures qu’il faut continuer à montrer aux élèves, en expliquer le sens politique. C’est un devoir pour Samuel Paty, pour les morts de Charlie. Un devoir pour que nous ne devenions pas tous des morts-vivants dans une France en sursis.