Que reste-t-il de la Ouattarandie?

LE DOSSIER D’AUJOURD’HUI: AVANT LA PRÉSIDENTIELLE
LA OUATTARANDIE EN RUINES

Dans un pays où la mort trace toujours toutes sortes de liens, familiaux, amicaux et professionnels, l’absence du nom du vice-président sur le faire-part protocolaire de l’annonce du décès d’Amadou Gon Coulibaly, a montré au grand jour les failles du régime d’Alassane Ouattara miné de l’intérieur par des luttes fratricides. Plusieurs sources ont d’ailleurs confirmé que Daniel Kablan Duncan a déposé sa lettre de démission au chef de l’Etat qui ne l’a pas encore rendue publique. En revanche, nul ne pouvait prédire qu’à quelques mois d’un scrutin pour lequel le chef de l’Etat a marché sur toutes les règles dans le but de l’emporter en octobre prochain, que son propre camp serait dans un tel état de ruine.

A Abidjan, le courrier du cabinet du président du Sénat visant à minimiser l’état de santé de Jeannot Ahoussou Kouadio qui se retrouve, dans des circonstances pour le moins troubles, en Allemagne pour un simple contrôle médical et un Covid-19 à soigner, a jeté un nouveau voile d’incertitude sur le pays. Pas parce que le rôle de Jeannot Ahoussou Kouadio était essentiel à la marche de l’Etat, mais parce que cela ferait quand même trois institutions sans chef puisque toutes les sources confirment la démission de Daniel Kablan Duncan et que le Conseil économique et social n’a toujours pas de président. Ajouté à cela une Primature à pourvoir et on comprend à quel point notre réalité institutionnelle est préoccupante.

Duncan pas sur le faire-part

D’ailleurs, les mêmes sources assurent que monsieur Duncan n’a pas pu présenter ses condoléances à la famille du Premier ministre ce samedi aux 2 Plateaux parce que sa garde qui l’avait précédé au domicile du défunt a été expectorée. Il n’y a pourtant rien de surprenant puisque le nom du vice-président ne figurait déjà pas sur le faire-part annonçant la mort d’Amadou Gon Coulibaly alors qu’on sait bien que ce genre d’événements met toujours en évidence tous les liens à la fois familiaux, professionnels et amicaux que le défunt ou sa famille entretient avec le reste de la société. Ceux qui lisent d’ailleurs régulièrement les chroniques des communiqués nécrologiques savent que ces liens cachent parfois des relations que l’on ne soupçonnait pas.
Donc, le fait que le nom du vice-président ait été gommé, comme le répètent à l’envi depuis plusieurs jours les médias ivoiriens comme s’ils pouvaient attester que le nom de Duncan figurait sur le brouillon du faire-part, montre à quels points les relations entre les deux hommes étaient devenues exécrables et carrément conflictuelles. Ce qui était d’ailleurs inévitable vu que Duncan s’est retrouvé au cœur d’une anomalie institutionnelle dont le but était avant tout de barrer la route à Guillaume Soro, alors deuxième personnage de l’Etat. Mais on peut également imaginer à la façon dont tout se délite subitement autour du chef de l’Etat qu’il a dû promettre la même chose à tout le monde puisque les récriminations sont uniformes. Sans cela d’ailleurs, Daniel Kablan Duncan n’aurait sans doute pas pu se mêler de la guerre de succession qui consume le RHDP au moment où il faut trouver un nouveau Premier ministre et, surtout, un candidat pour aller à des élections devenues trop dangereuses, même pour le camp du chef de l’Etat qui croyait qu’il suffisait de s’emparer de la CEI et de marcher sur toutes les lois pour s’imposer en octobre prochain.

Peurs sur la ville

Et pour montrer à quel point tout le monde marche désormais sur les œufs, le secrétaire général du gouvernement Patrick Achi a vigoureusement démenti la nouvelle de sa nomination comme Premier ministre en remplacement d’Amadou Gon Coulibaly. Alors qu’un tel fake news aurait pu faire sourire le concerné qui aurait pu tout de même noter l’affection qu’ont peut-être pour lui ceux qui le propulsent ainsi à la Primature, Patrick Achi a plutôt eu une réaction musclée, dénonçant des manœuvres visant des intentions dont il n’a pas connaissance. « Ce mensonge n’honore ni ceux qui le propagent, dont nous ne connaissons pas les intentions réelles, ni la mémoire de ce grand homme », a-t-il dénoncé, ajoutant que « pour d’évidentes questions de décence, mais plus encore en raison du respect humain infini que je porte à notre illustre disparu, SEM le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, dont tous savent à quel point j’étais proche, je demande fermement à leurs auteurs d’arrêter de publier ou de relayer toute information de nomination entièrement fausse ».

Mieux vaut se faire discret, surtout aujourd’hui où le chef du régime est en croisade contre les rétifs ou les traitres, c’est selon. Alassane Ouattara est surtout concentré sur les funérailles de son ancien collaborateur, le plus loyal, dit-il, et ne semble pas pressé de dévoiler ses intentions puisque la réunion des instances du RHDP tenue le jeudi dernier au sein du parti n’a fait l’objet d’aucune communication. Le chef de l’Etat ne semble pas non plus pressé de parler à son camp. Contrairement à ce qu’avait dit le directeur exécutif, Adama Bictogo, qui est également l’un des artisans du retour d’Alassane Ouattara dans l’arène électorale, malgré son refus du 5 mars dernier et la réalité de son inéligibilité.
Or en prenant, via ses proches, la tête de la CEI et des commissions électorales de l’intérieur du pays et en imposant au forceps une révision constitutionnelle suivie d’un code électoral sur mesure à ses adversaires, Alassane Ouattara croyait que toutes les conditions de la victoire étaient ainsi réunies pour son camp. Il n’avait sans doute pas compté avec la nature qui lui a réservé coup sur coup la gestion de la pandémie du coronavirus, les inondations meurtrières de juin qui ont montré la fragilité des infrastructures dont se gargarisaient ses supporteurs et la mort de son plus loyal collaborateur. Les temps sont carrément mauvais depuis bien longtemps déjà et le chef de l’Etat se trouve désormais bien isolé, attendu au tournant qu’il est par tous ceux qui l’avaient adoubé dans sa guerre contre Laurent Gbagbo.

C’est un retournement d’autant plus spectaculaire que son discours sur la nouvelle génération s’en retrouverait décrédibilisé s’il devait se porter candidat à l’élection à venir. Et puis, il reste inéligible et n’a plus d’alliés.

SEVERINE BLE
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Joseph Titi
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