Patrimoine religieux en danger : c’est la France qu’on assassine !

Par Kevin Bossuet/ Lundi 19 février 2018

Tribune. Kevin Bossuet s’inquiète des nombreuses atteintes perpétrées en France contre le patrimoine religieux. 

Un maire, à Suze-la-Rousse (Drôme), qui met en vente sur le Bon Coin l’ancienne chapelle gothique, le prieuré et la vieille église paroissiale pour renflouer les caisses de son village, des habitants qui se mobilisent à Andigné (Maine-et-Loire) pour sauver l’église menacée de démolition par la municipalité, l’autel de l’église Saint-Roch de Nice une nouvelle fois incendié, la chapelle du Couvent des Clarisses à Rennes transformée en une vulgaire salle de sport, ou encore la chapelle du couvent de la Charité-Notre-Dame et du Bon-pasteur d’Ecully (Rhône) vendue et métamorphosée en une agence Axa. Que cela soit à cause du manque d’entretien, des destructions volontaires afin de satisfaire certains projets urbanistiques complètement farfelus, des ventes débouchant sur des transformations aussi ubuesques que calamiteuses, ou encore des actes de vol ou de vandalisme, les exemples d’atteintes au patrimoine religieux n’ont eu de cesse de se multiplier au cours de ces derniers mois en France.

5000 édifices risquent à terme de rejoindre la longue liste des monuments en danger

En effet, dans un contexte budgétaire de plus en plus contraignant et de perte croissante du sentiment religieux, la France, qui compte sur son territoire plus de 100 000 édifices religieux qui sont à 95% catholiques, a de plus en plus de mal à gérer et à rénover cet héritage historique. L’Observatoire du patrimoine religieux, association créée en 2006 dans le but d’œuvrer à la préservation et à la valorisation du patrimoine cultuel français, recense en effet plus de 500 églises directement menacées (menaces de démolition, dégradations diverses, risques d’effondrement…) et environ 5000 édifices en souffrance qui, si rien n’est fait dans les prochaines années, risquent à terme de rejoindre la longue liste des monuments en danger. Si l’on ajoute à cela, les dizaines d’édifices qui n’ont même pas été répertoriées, et qui se dégradent d’année en année dans l’indifférence générale, c’est bien « une mise à mort patrimoniale », par un dramatique laisser-aller, qui est en train de se dérouler sous nos yeux !

Les églises les plus menacées se trouvent incontestablement dans les communes rurales qui, du fait de leurs faibles moyens budgétaires, ne réussissent souvent pas à rénover un patrimoine cultuel de plus en plus déliquescent. Est-ce la fin pour autant de la France des clochers ? Vraisemblablement pas, même si, dans certains villages, l’état du patrimoine est plus que préoccupant. Heureusement, au cours de ces dernières années, des initiatives locales n’ont eu de cesse de se multiplier afin de venir en aide à des édifices qui se détériorent à vue d’œil. Il suffit de parcourir la presse régionale pour se rendre compte, chaque année, du nombre considérable de toitures qui sont refaites, de clochers qui sont sauvés, de façades qui sont rénovées, ou encore de vitraux qui sont réparés. A La Chapelle-Lasson (Marne) par exemple, un village de 88 âmes, les habitants se sont fortement mobilisés autour d’une association créée en 2014, afin de rénover l’église Saint-Pierre datant du XIIe siècle, et qui, au fil des années, a dû faire face à d’importants dégâts (effondrement de la voûte, fissures dans la structure, vitraux cassés…). Grâce à la détermination d’une cinquantaine de passionnés, et à force de demandes de subventions et d’organisation de manifestations (concerts, visites guidées, expositions…), l’église devrait être restaurée d’ici la fin de l’année 2020. C’est incontestablement une victoire ! Comme quoi, comme le disait si bien Simone de Beauvoir : « la fatalité, c’est l’excuse des âmes sans volonté. »

Vue de Paris depuis le sommet de la cathédrale Notre-Dame. Photo © Julien Mattia / NurPhoto / AFP

Notre-Dame-de-Paris menacée? 

Malheureusement, cette « tragédie architecturo-identitaire » n’épargne pas non plus le monde des villes qui, malgré des moyens financiers et humains beaucoup plus importants, a également beaucoup de mal à entretenir son patrimoine cultuel. A Paris, par exemple, on ne compte plus les édifices menacés et fragilisés, aussi bien par le temps que par le manque d’entretien. La grande façade de l’église de la Sainte-Trinité, dans le 9e arrondissement, par exemple, pourtant classée au patrimoine historique, est recouverte de filets depuis déjà plusieurs années afin d’éviter les chutes de pierres. A Saint-Séverin, dans le 5e, ce sont les décors intérieurs qui, considérablement abîmés par les infiltrations, sont devenus pratiquement illisibles. L’église Saint-Philippe-du-Roule (8e) quant à elle, est recouverte depuis 2012 d’un échafaudage qui ne suffit plus à enrayer la détérioration du bâtiment. Malgré le « plan églises » de 80 millions d’euros lancé en 2015 par la mairie de Paris afin de rénover le patrimoine religieux de la capitale, beaucoup d’édifices continuent, jour après jour, de se dégrader sous les yeux stupéfaits des fidèles, des touristes et des passants. Alors certes, ce « plan » a permis d’effectuer de nombreux travaux, comme dans l’église Saint-Augustin (8e), qui arbore désormais une façade magnifiquement rénovée, mais ce n’est malheureusement pas suffisant. L’association « SOS Paris » estime en effet à 500 millions d’euros les besoins en travaux des églises parisiennes ! On est bien loin des 80 millions octroyés par Anne Hidalgo et son équipe.

Pire encore, c’est l’un des plus majestueux monuments parisiens, la cathédrale Notre-Dame de Paris, qui va à terme se retrouver directement menacé si rien n’est rapidement entrepris. En effet, on ne compte plus au sein de l’infrastructure gothique, les statues endommagées, les gargouilles fatiguées, les arcs-boutants accidentés, les pinacles amochés ou encore les vitraux détériorés. Plus que la perte des structures décoratives, c’est la stabilité du monument qui est ici menacée. Alors certes, l’Etat donne chaque année en moyenne 2 millions pour rénover l’édifice médiéval et les mécènes sont très nombreux à apporter leur contribution, mais c’est malheureusement trop peu puisqu’il faudrait amasser au minimum, sur 20 ans, la somme de 100 millions d’euros pour sauver définitivement ce lieu emblématique de la capitale. Pour relever ce périlleux défi, l’archevêché a même été jusqu’à lancer un appel aux dons. C’est dire l’urgence qu’il y a à rassembler les fonds !

Par conséquent, que faire face à cette situation alarmante ? Récolter de l’argent, oui, mais comment ? En faisant payer l’entrée des cathédrales comme le propose Stéphane Bern ? Certainement pas ! Le patrimoine, comme le message du Christ, doivent rester accessibles à tous. La Conférence des évêques de France (CEF) a d’ailleurs été très claire à ce sujet : « Rendre leur accès payant entamerait la dimension de gratuité que comporte la proposition de la foi, la rencontre avec Dieu, dont les édifices religieux peuvent constituer un cadre. Parce que les cathédrales sont des lieux d’expression de la spiritualité catholique – notamment dans sa dimension artistique -, leur accès libre est aussi un accès libre à la foi chrétienne ». En outre, cela nécessiterait de faire évoluer l’épineuse loi de 1905 qui stipule dans son article 17 que « la visite des édifices et l’exposition des objets mobiliers classés seront publiques : [qu’] elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance ». Bref, un vrai casse-tête politico-philosophique !

Ces édifices religieux possèdent une forte valeur historique, culturelle et identitaire

C’est pour cela que d’autres solutions doivent être trouvées. Financer les travaux en ayant recours à la publicité ? C’est une possibilité qui a déjà été utilisée, par exemple, pour la rénovation de l’église Saint-Augustin financée en partie par la mise en place d’une bâche publicitaire. Par le mécénat ? Cela se fait déjà allègrement à travers, par exemple, la création de fondations comme « Friends of Notre-Dame de Paris » qui a déjà permis de récolter de nombreux fonds américains au bénéfice de la cathédrale. En augmentant la taxe de séjour de deux ou trois euros ? C’est tout à fait envisageable et cela permettrait de faire participer financièrement les touristes étrangers qui sont bien heureux d’admirer gratuitement ces musées à ciel ouvert.

Néanmoins, cela serait insuffisant tant l’ampleur de la tâche est immense. C’est donc sur une prise de conscience nationale que nous devons collectivement tabler. Les édifices religieux qui possèdent une forte valeur historique, culturelle et identitaire ne peuvent effectivement pas être ainsi sacrifiés sans que les Français en soient informés. De surcroît, en plus de mettre en valeur les territoires, ils permettent le développement du tourisme qui est, en ces temps de crise économique, un atout majeur pour nos régions et nos départements. Enfin, pour continuer à assurer la liberté de culte dont les communes ont la charge, il est impératif que les offices puissent se maintenir sur l’ensemble du territoire. Par conséquent, préserver ce patrimoine apparaît autant comme une nécessité nationale que comme un devoir civique.

L’idée de la création d’un tirage spécial du Loto au service du patrimoine, émise par le maire de Versailles, François de Mazières, et reprise par Stéphane Bern, apparaît de ce point de vue intéressante tant elle permettrait de porter à la connaissance du grand public les enjeux liés à sa préservation. Couplée à l’organisation d’un « Téléthon du patrimoine », cela permettait assurément de récolter un maximum d’argent et de débuter, sur beaucoup de sites, des travaux qui ne peuvent plus attendre. Cette solution n’est certainement pas la panacée mais ferait à coup sûr avancer la cause patrimoniale. Car, soyons-en convaincus, à chaque fois qu’une cathédrale se dégrade, qu’une église se délite ou qu’une chapelle s’éclipse dans l’indifférence générale, c’est bien la France, dans sa dimension aussi bien historique, religieuse, identitaire, culturelle qu’économique qu’on assassine. Alors, mobilisons-nous, avant qu’il ne soit vraiment trop tard !
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