« Où est ton frère Abel ? »
Y a-t-il un fondement moral à la réécriture de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale ?
Désinformation, Orwell, Parlement Européen, Défenseurs du Monde Libre…
Il se passe depuis quelques temps des choses bien plus terribles pour le sort de l’Homme que le SARS-Cov2 et le COVID-19. Une de ces choses terribles est la volonté de certaines entités et personnes en Euro-Amérique de réécrire l’histoire. Je ne m’abaisserai pas au niveau d’un Bill Gates passionné de ses vaccins. Les choses sont bien plus graves encore.
Je suis récemment tombé sur un article tiré de la revue russe « Ekspert » ( Ekspert no 18-20 (1161)) de Valéry Fadeïev qui m’a accroché de par sa véracité, son inspiration et sa largesse de vue. Je l’ai traduit ci-après. Valéry Fadeïev est Président du Conseil sous la Présidence de la Fédération de Russie pour le développement de la société civile et les droits de l’homme
L’article peut paraître un peu long. Il n’allongera pas la durée de votre vie… Quoique…
Vous pouvez lire l’article en russe à :
Marc Barnovi
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par Valéry Fadeïev.
Nous ressentons en Russie l’énorme danger que représente la révision de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale. Cette révision trahit la victoire remportée en 1945. Autant la lutte contre le nazisme a été grandiose et épique, autant trahir cette victoire peut bouleverser beaucoup de choses.
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Récemment, j’ai eu l’occasion de discuter avec un éminent historien allemand (qui apprécie la Russie et haït la nazisme) de la résolution du Parlement Européen qui place au même niveau le régime nazi en Allemagne et la Russie soviétique[1]. Cet homme intelligent a dit que si on laissait faire, alors, dans cinq ans, pour le 80ème anniversaire de la Victoire, ils réussiront à ce que, au sein de l’opinion publique (au moins euro-atlantique), la Russie soit seule considérée comme l’investigateur de la Seconde Guerre Mondiale alors que l’Allemagne et, donc, le nazisme, seront justifiés. Ils vont marginaliser ceux qui défendent un autre point de vue, vont organiser les médias de telle sorte qu’il n’y aura pas d’opinions discordantes et vont complètement réécrire les manuels d’histoire.
Le facteur rationnel qui ressort à première vue d’un tel acte de la part de la majorité de l’élite occidentale est évident : il faut entraver le renforcement de la Russie en la présentant à l’opinion publique comme l’éternel agresseur, montrer la Russie comme l’ennemi de la démocratie et de l’Occident. Cependant, ce n’est pas seulement un acte de courte vue venant compliquer les relations entre la Russie et l’Europe. Il se joue un jeu très dangereux. Les acteurs de ce jeu n’ont pas conscience de ses conséquences. Ils n’ont pas conscience des monstres qu’ils font ressurgir, de l’énergie colossale qui se dégage des profondeurs de l’histoire et qui peut les engloutir eux-mêmes.
Une des raisons de la facilité avec laquelle cette révision a été pensée s’explique par le fait que dorénavant, en Europe, la génération des personnalités politiques du temps de la guerre et de l’après-guerre a quasiment disparu.
Les députés européens auraient-ils pu adopter des résolutions mensongères similaires à cette loi, par exemple, quand François Mitterrand était Président de la France ? Cet homme avait combattu contre les Allemands, avait été blessé en juin 1940 et fait prisonnier un an et demi. Sa troisième tentative d’évasion avait été la bonne. Il s’est rendu à Moscou en 1995 pour participer à la célébration du 50ème anniversaire de la Victoire.
Ou même lorsque le Président de la France, alors un peu plus jeune, était Jacques Chirac ? Il avait également été soldat et avait combattu pendant la guerre d’Algérie et y avait été blessé.
Aujourd’hui, il n’existe pratiquement plus en Europe de telles personnalités politiques. Tout le terrain politique est dorénavant occupé par des politiciens technocrates sans âme.
Il faut tout de même indiquer que le Président français actuel, Emmanuel Macron, dans différentes déclarations, a montré, non seulement, qu’il comprenait l’importance des relations de l’Europe avec la Russie, et également qu’apparemment, pour lui, réécrire l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale était déplacé et portait préjudice à son propre pays. Non sans raison, il s’apprêtait à être présent cette année au défilé lors de la célébration de la Victoire le 9 mai à Moscou[2].
Pourquoi en Russie sommes-nous si sensibles à ce genre de manifestations occidentales et pourquoi sommes-nous si inquiets ? Parce que nous sommes blessés de voir qu’on occulte, qu’on efface de l’histoire un exploit sans précédent du peuple soviétique ? Oui, c’est possible qu’on en soit quelque part blessé. Nous sommes d’abord blessés pour nos parents qui ont remporté la victoire. Nous sommes inquiets de la pression politique occasionnée sur notre pays, inquiets des sanctions ? Oui, cela nous importune mais pas tant que ça. La Russie est habituée. Il y a plus important que l’insulte et les sanctions.
Aujourd’hui, le monde vit un instant décisif. Je ne parle pas ici de la pandémie du coronavirus, même si elle montre la fragilité évidente des institutions politiques, économiques et sociales quasiment partout dans le monde, même au sein des pays les plus développés. En fait, la crise a débuté, dans les faits, lorsque l’Union Soviétique a disparu.
L’illusion de la « fin de l’histoire » et d’une victoire définitive du libéralisme occidental était naïve et de courte vue. Dans son histoire récente, le libéralisme lui-même s’est avéré totalement éloigné des valeurs que les libéraux prônaient il y a un siècle. Comment le monde va ressortir de cette crise ? Est-ce que ce monde va être celui de l’inégalité, de l’apartheid social, de la démocratie déclinante, ou va-t-il être un monde plus juste et offrir des possibilités à tous, pas seulement aux « nations élues » ? En Europe, des périodes sombres comme le nazisme ou le fascisme ne peuvent plus réapparaître ? Ce n’est qu’une impression. L’histoire nous montre que ces périodes reviennent avec une déprimante régularité.
Dans ces moments de crise, lorsque tous les schémas habituels ont cessé de fonctionner, quand il n’est plus possible de prendre des décisions rationnelles, logiquement fondées, ce sont les fondements moraux de la société et des personnalités politiques qui jouent le rôle essentiel[3]. Ce sont ces fondements qui peuvent mener à certaines décisions plutôt qu’à d’autres, à des solutions tragiques comme, par exemple, l’arrivée au pouvoir de Hitler en Allemagne, ou bien à des solutions comme la résistance de notre peuple à l’envahisseur pendant la Guerre Patriotique[4].
En Russie, c’est peut-être intuitif, mais nous ressentons l’énorme danger que représente la réécriture de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale. Cette révision est la trahison de la victoire obtenue en 1945, la trahison de ceux qui ont obtenu cette victoire, pas seulement des soldats et officiers soviétiques mais également des soldats et officiers alliés. Cela a été une victoire commune. Autant cette lutte contre le nazisme a été grandiose et épique, autant la trahison de cette lutte peut bouleverser beaucoup de choses. Parce que cette trahison ruine des fondements moraux de nos sociétés qui sont sains et dont nous avons aujourd’hui tant besoin.
Le fondement idéologique, et même moral, du nazisme allemand était le racisme. Mais le racisme n’était absolument pas l’invention de Hitler et de ses comparses. Pendant les conquêtes coloniales qui ont duré plusieurs siècles se sont éparpillées sur toute la planète, on considérait les aborigènes comme des êtres de second ordre, pour peu qu’on les considérait êtres humains et non vulgaires primates. Nombreux sont les gens à avoir lu les jolis contes de l’anglais Rudyard Kipling. Presque tout le monde a vu le dessin animé des aventures de Maugli. Le nom même de Maugli est devenu un nom commun. On nomme ainsi les enfants qui grandissent en dehors des cadres d’une « société normale ». Je rappelle ci-après la première strophe du poème de Kipling « Le Fardeau de l’Homme Blanc ».
« Prenez le fardeau de l’Homme blanc
Envoyez le meilleur de votre descendance
Promettez vos fils à l’exil
Pour servir les besoins de vos prisonniers ;
Pour veiller sur un lourd harnais,
Sur un peuple folâtre et sauvage
Vos peuples boudeurs, tout juste pris,
Moitié démon et moitié enfant »[5].
(…)
Bien sûr, Kipling n’était pas un nazi et n’appelait pas à l’extermination des peuples de seconde sorte. Au contraire même, il chantait les louanges des travaux forcés pour diriger ces « peuples stupides » (« folâtres et sauvages »). Mais est-ce que cela empêchait son poème, « Le Fardeau de l’Homme Blanc », d’être raciste ? Pour être tout à fait juste, il faut dire qu’après sa publication en 1910[6], beaucoup de critiques se sont fait entendre qui accusaient l’auteur de racisme. L’opinion publique restait ambiguë sur le sujet.
À ce moment-là, la théorie du « racisme scientifique » avait été totalement formulée (je m’appuie ici sur un article de Vladimir Solonar, « Le Racisme Scientifique »)[7]. La mesure des crânes, activité que l’on peut rencontrer dans les chroniques du cinéma allemand, avait été imaginée bien avant l’Allemagne nazie. Des scientifiques anthropologues européens s’occupaient de ces « recherches ». Le racisme scientifique affirmait que les races humaines étaient inégales entre elles, qu’elles différaient selon les capacités intellectuelles, selon les capacités de maîtrise des émotions et de l’instinct. À partir de là, on a conçu une hiérarchie des races. En haut de l’échelle se trouvait, évidemment, la race blanche. Mais les blancs se divisaient encore en « sous-races » (en fait, les grandes et les petites races étaient toutes des races, ce qui a entraîné certaines confusions).
Chez les Blancs, la race supérieure était constituée des aryens : les Allemands et quelques autres peuples nordiques. Du fait que les blancs et, en particulier, les aryens possédaient les meilleures capacités intellectuelles et artistiques, ils devaient donc régner sur le monde. C’est ainsi que la théorie du racisme scientifique concevait et conçoit le monde. Ces thèses n’étaient pas du tout marginales. On ne les discutait pas. Elles occupaient l’esprit de l’opinion publique, elles faisaient partie de son quotidien.
Un des principaux théoriciens de la partie sociale du racisme scientifique était l’anglais Houston Stewart Chamberlain (1855-1927). Il est vrai qu’il préférait l’Allemagne à l’Angleterre. Il y déménagea pendant la Première Guerre Mondiale. L’œuvre principale de Chamberlain est « La Genèse du XIXè siècle ». A ce propos, cet ouvrage n’est pas interdit de publication en Russie. Récemment, on en a édité un très bel exemplaire en deux tomes. Dès sa sortie, ce livre de Chamberlain est très vite devenu populaire, a été traduit dans toutes les principales langues européennes et a fait l’objet de dizaines d’éditions et de rééditions. Chamberlain abordait l’histoire de l’Europe à partir d’un point de vue raciste.
Par exemple, il considérait que les « vrais aryens », les Grecs anciens et les Romains, avaient conservé leur grandeur culturelle, politique et militaire jusqu’à ce qu’ils commencent à se mélanger aux Barbares, les représentants des races inférieures. L’Europe a pris de nouveau son essor avec l’apparition d’un nouvel esprit aryen, l’esprit allemand[8]. A partir de là, toute l’histoire de l’Europe peut se résumer à la lutte des aryens contre les non-aryens, en premier lieu contre les Sémites. La culture aryenne atteint son apogée avec le romantisme allemand et, évidemment, Wagner.
Il est intéressant de noter que l’idéologie du fascisme italien ne comprenait pas de théorie raciste dans ses fondements. Non pas parce les Italiens se considéraient être les égaux de tous les hommes mais parce que la variante allemande raciste ne mettait pas sur un même plan les Italiens et les Allemands. Les Italiens étaient considérés humains, même humains de qualité, mais ils ne faisaient pas partie, a fortiori, de la race supérieure. Leur « rejet » du racisme, néanmoins, ne les a pas empêchés de commettre d’effroyables crimes militaires en Éthiopie parmi les populations locales. Cela dit, pendant la guerre en Russie, les Italiens se sont comportés décemment. Dans leur représentation, les Russes n’étaient quand même pas des Noirs.
Bien évidemment, l’Europe n’était pas totalement infectée par les bacilles du fascisme et du nazisme. Pendant un temps, la Grande-Bretagne s’est retrouvée seule confrontée à Hitler. La situation changea lorsque l’Allemagne décida d’attaquer l’Union Soviétique.
Le Premier-Ministre de la Grande-Bretagne était Winston Churchill. Ce dernier haïssait le communisme et avait lutté contre la « Nouvelle Russie communiste » jusque l’avènement de la guerre, puis a continué de lutter contre elle après la guerre, après qu’il ait exposé dans son discours de Fulton[9] la nouvelle tournure que prenait son combat. Il est évident qu’en tant que représentant de l’élite anglaise, il ne luttait pas seulement contre le communisme. Au XIXè siècle, la Russie, en soi, était pour l’Angleterre un adversaire géopolitique. Empêcher que la Russie se renforce est un objectif géopolitique que s’est fixé la Grande-Bretagne depuis longtemps.
Mais le 22 juin 1941, le jour de l’offensive de l’Allemagne sur l’Union Soviétique, Churchill a prononcé un discours de principe. Je rappelle certains passages de ce discours ci-après.
« (…) Je vois des dizaines de milliers de villages russes où les moyens de subsistance s’arrachent à la terre par tant de labeur, mais où existent des joies séculaires de l’homme, où les jeunes femmes rient et jouent avec leurs enfants… Je voie qu’on charrie vers ces villages l’abominable machine de guerre nazie avec ses officiers prussiens prétentieux de leurs éperons saillants, avec ses agents intelligents qui viennent de dompter des dizaines de pays en leur liant pieds et mains. Je vois également la docile masse grisâtre de la féroce soldatesque barbare qui s’avance tel un nuage de criquets…
Nous n’avons qu’un seul objectif qui ne peut changer. Nous sommes pleinement décidés à anéantir Hitler et toutes les traces laissées par le régime nazi… Tout homme ou État qui combat le nazisme bénéficiera de notre aide. Tout homme ou État qui marche avec Hitler est notre ennemi…
Il s’ensuit que nous aiderons la Russie et le peuple russe autant que nous le pourrons.
Nous nous adressons à tous nos amis et alliés de par le monde et les appelons à suivre ce cap et à le maintenir jusqu’au bout avec autant de fermeté et sans défaillir comme nous le ferons »[10].
Je rappelle que ce discours a été prononcé le 22 juin. Churchill ne fait pas de pause, ne prend pas le temps de réfléchir pour savoir comment l’Angleterre pourra agir dans cette nouvelle situation. Il soutient explicitement la Russie malgré le régime communiste en place dont il a horreur. Quiconque lutte contre le nazisme est son allié, quiconque suit Hitler est son ennemi.
Aucun compromis avec le régime nazi n’est possible, ce mal doit être anéanti. La vie normale, celle du paysan, celle de l’ouvrier ou celle de personnes d’autres conditions, la joie de vivre même, sont menacées d’extinction. Sur le fond de cette catastrophe universelle imminente, les disputes idéologiques reculent en arrière-plan. Churchill ne connaît pas les hésitations intellectuelles pouvant apparaître en période de paix et qui prévalent tout bonnement aujourd’hui en Europe. Il sait que deux régimes « totalitaires » ont réussi leur expansion et souhaitent désormais diviser le monde. Oui, pour Churchill, le communisme représente le mal. Mais le nazisme, de par son échelle, est un mal que l’on ne peut comparer à rien d’autre. C’est l’ennemi du genre humain. Mettre sur un même plan ces régimes revient à plonger son propre pays et le monde entier dans la catastrophe.
Cela a peut-être été le point le plus lumineux de l’histoire des relations entre la Russie et l’Angleterre. Il a fallu encore attendre quatre ans après ce discours pour arriver à la victoire. La route que vont emprunter les Russes va encore être longue. Cette victoire est devenue possible seulement à partir de 1943. Mais ce discours a été spontané et imposait le soutien qu’on devait apporter à la Russie soviétique. Il a été prononcé à un moment où il était impossible de pronostiquer ou de prévoir l’issue de la guerre, lorsque les fondements moraux étaient absents des prises de décision. Churchill avait pris cette décision. Nonobstant notre difficile rapport avec cet homme politique, sa décision suscite incontestablement le respect.
Passons maintenant du début de la Grande Guerre Patriotique à la Victoire. Beaucoup auront entendu parler du toast que Staline a porté au peuple russe, dans un discours prononcé à l’entrée du Kremlin le 24 juin 1945.
« Je voudrais lever un toast à la santé de notre peuple soviétique et, avant tout, du peuple russe… Je lève mon verre à la santé du peuple russe parce que dans cette guerre, il a gagné tous les titres de reconnaissance de la force dirigeante de l’Union Soviétique au regard de tous les peuples de notre pays ».
Les historiens interprètent différemment la portée de ce « toast grillé ». Ils peuvent l’interpréter comme une dérogation à l’internationalisme marxiste, ou comme la préparation à la lutte contre le cosmopolitisme ou bien encore comme la préparation à la lutte contre certains peuples de l’URSS. Une autre interprétation dit que Staline tentait de se déculpabiliser des échecs subis au début de la guerre en faisant porter cette culpabilité sur « un État ». Voici la partie suivante du toast. Peu de personnes en connaissent l’existence.
« Notre gouvernement a fait de nombreuses erreurs, il y a eu des moments où la situation était désespérée en 1941-1942, lorsque notre armée reculait, qu’elle abandonnait villes et villages qui étaient les nôtres. Un autre peuple aurait pu dire à notre gouvernement : « Vous n’avez pas répondu à nos attentes, partez, nous allons former un autre gouvernement qui fera la paix avec l’Allemagne et qui assurera notre tranquillité ». Mais le peuple russe ne s’est pas comporté de la sorte car il croyait en la justesse de la politique de son gouvernement et s’est sacrifié pour assurer la défaite de l’Allemagne. Et cette confiance du peuple russe en son gouvernement soviétique a été la force décisive ayant permis la victoire historique sur l’ennemi de l’humanité, sur le fascisme. Je remercie le peuple russe de cette confiance ! ».
On peut ne pas être d’accord avec le fait que Staline voulait transférer la responsabilité des fautes commises à « un gouvernement ». Il s’agit simplement de l’appellation générique des institutions étatiques. Sachant qu’il était lui-même ce « gouvernement ». Mais il était important qu’il mette entre parenthèses le Parti Communiste, qu’il mette plus généralement entre parenthèses le caractère du régime politique, le socialisme ou le communisme. Il parle du peuple russe comme d’un sujet historique et non comme d’une ethnie du peuple soviétique. Le peuple aux côtés d’autres peuples du pays ne défendait pas le socialisme mais la propriété de la nation. Bien que cela était important, et c’était effectivement important car tout un système social sans précédent venait d’être créé, cela restait néanmoins en arrière-plan du combat qui avait été mené contre un mal universel qui s’était abattu sur le pays. Le système social importait peu.
N’importait que la lutte de tout un peuple pour la vie. Dans ce sens, le toast de Staline qu’il a porté le 24 juin 1945 répond au discours de Churchill du 22 juin 1941.
Contre l’Allemagne hitlérienne, l’ennemi commun, et pour l’anéantissement du nazisme, avaient victorieusement combattu, d’un côté, les « communistes » soviétique et, de l’autre, les « démocrates » anglo-américains. Cela aurait pu marquer le prologue à de nouvelles relations entre la Russie et l’Occident. Ça n’a pas été le cas, même sur le modèle des relations plus ou moins pacifiques qui ont existé au XIXè siècle en Europe après les guerres napoléoniennes (quand bien même il est difficile de qualifier la guerre de Crimée de conflit local). La confrontation des deux systèmes sociaux aura déterminé la politique mondiale pour des dizaines d’années. Une fois la guerre terminée, la Russie soviétique et l’Occident était de nouveau des adversaires.
Le socialisme s’est effondré dans notre pays il y a quasiment trente ans. Cela fait longtemps qu’il n’y a plus de Parti Communiste en tant que force dirigeante, en tant que propriétaire de la nation, propriétaire des moyens de production, les frontières sont ouvertes, l’information est accessible, on trouve dans les magasins des centaines de sortes de saucissons. Aujourd’hui, nous nous différencions peu de l’Occident mais, de nouveau, les relations ne sont pas bonnes, on fait de nouveau pression sur la Russie et comme avant, nous sommes l’Autre.
Dans notre culture, un texte se démarque par son importance. C’est celui du discours de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski prononcé lors de l’inauguration de la statue de Pouchkine en 1880[11]. C’est cette même statue que tout le monde (en Russie) connaît sur la place Pouchkine (à Moscou) (qui était à ce moment la place de la Passion).
Dostoïevski comprenait la difficulté des relations antinomiques, souvent hostiles, entre la Russie et l’Europe et prit sur lui d’appeler à la fraternité entre les peuples. Il était convaincu que le peuple russe pouvait ouvrir la voie à cette fraternité.
La Russie se nourrissait de la culture européenne et a elle-même beaucoup contribué à cette culture. Le fort rapprochement de nos cultures a été initié avec Pierre 1er (Pierre le Grand). Je cite une longue partie de ce discours ci-après (pour une compréhension aisée, j’ai du écourter ce discours et en suis très embarrassé devant l’auteur).
« En fait, que représente pour nous la réforme pétrovienne ? … En effet, elle n’a pas été pour nous, seulement l’adoption de costumes européens, d’habitudes européennes, des découvertes faites par la science européenne… Incontestablement, Pierre obéissait à une intention subreptice qui l’a mené, dans son cas, vers des objectifs futurs certainement plus vastes que le simple utilitarisme. Et il est exact que l’on ne peut résumer le peuple russe à l’utilitarisme… Nous nous sommes alors engagés pour une union vitale, pour l’union de l’humanité !
Non dans l’adversité mais dans la bienveillance, avec un profond amour, nous avons accepté en notre âme les génies d’autres nations, tous ensemble, sans mettre en avant les tribus dominantes… Oui, la destinée du peuple russe est indéniablement européenne et mondiale.
Etre un vrai russe, être pleinement russe, cela signifie peut-être tout simplement être frère de tous les hommes, de l’humanité entière si vous préférez…
Car qu’était la politique de la Russie ces deux siècles si ce n’est celle de servir l’Europe, peut-être même plus que soi-même ? … Oh ! Les peuples d’Europe ne savent pas comme ils nous sont chers !
En conséquence, les Russes qui arriveront plus tard comprendront enfin, tous jusqu’au dernier, qu’être un véritable Russe … (implique) finalement de chercher à parvenir à la grande harmonie universelle, au consentement fraternel de tous les peuples à la Loi et à l’Evangile chrétiens ! »[12].
Certains diront que ce regard est très romantique, que le monde est plus cruel et cynique. C’est possible. Oui, c’est vrai que Dostoïevski ne pouvait s’imaginer que soixante ans plus tard, un peuple chrétien allait incinérer dans des fours le peuple juif et massacrer d’autres peuples chrétiens. Mais il faut simplement se rappeler que Dostoïevski est un des penseurs les plus profonds, non seulement en Russie, mais aussi dans le monde entier, c’est un prophète. Il nous montre un chemin qui est souhaitable et possible. Les gens vont-ils le suivre ? Ce n’est pas Dostoïevski qu’il faut questionner mais nous-mêmes qui vivons actuellement.
Dans ce discours de Dostoïevski se trouve la clef permettant de comprendre pourquoi la révision de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale nous alarme tant. Nous aimerions être ensemble, comme le rêvait Dostoïevski, « sous la Loi et l’Evangile chrétiens » mais les choses sont différentes. Cela dit, nous avons lutté ensemble contre le nazisme. Nous avons encore une fois « servi l’Europe », comme le disait Dostoïevski, le pays a fait un énorme sacrifice pour éradiquer le nazisme que l’Europe même avait engendré. Notre peuple a sauvé l’Europe d’elle-même.
Et maintenant, on nous dit que deux régimes totalitaires voulaient diviser le monde, en un monde du nazisme hitlérien et un monde du socialisme stalinien. Cela s’appelle de la félonie. Ils nous trahissent et se trahissent eux-mêmes. Est-il possible que le nazisme leur soit plus proche parce qu’il est « à eux » ? Ils nous font honte. Nous sommes offensés qu’ils trahissent une grande action commune, une action d’une échelle bel et bien biblique.
Ce thème est évoqué dans la Bible.
Le premier fils d’Eve, Caïn, était un traître et un assassin. Caïn était cultivateur alors que son frère, Abel, le deuxième fils d’Eve, était berger. Un beau jour, ils ont apporté des offrandes au Seigneur. Caïn apporta des fruits de la terre, Abel des fruits de son troupeau. Le Seigneur accepta le don d’Abel mais refusa celui de Caïn. Caïn en fut irrité.
Et l’Éternel dit à Caïn : Pourquoi es-tu irrité, et pourquoi ton visage est-il abattu ? Certainement, si tu agis bien, tu relèveras ton visage, et si tu agis mal, le péché se couche à la porte, et ses désirs se portent vers toi : mais toi, domine sur lui.
Cependant, Caïn adressa la parole à son frère Abel, mais comme ils étaient dans les champs, Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua.
L’Eternel dit à Caïn : Où est ton frère, Abel ? Il répondit : je ne sais pas, suis-je le gardien de mon frère ?
Et Dieu dit : Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi.
Maintenant, tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère.
Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa richesse. Tu seras errant et vagabond sur la terre »[13].
Caïn avait trahi son frère, Caïn avait trahi le Seigneur, Caïn avait violé les fondements moraux ancrés en l’homme par Dieu.
Introduire dans la conscience du public une histoire fausse de la Seconde Guerre Mondiale revient à trahir la lutte sacrée contre le nazisme, ce qui est une trahison à l’échelle biblique. Le châtiment sera également d’échelle biblique[14].
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NOTES DU TRADUCTEUR :
[1] Résolution du Parlement Européen du 19/09/2019 (2019/2819 (RSP) (European Parliament resolution of 19 September 2019 on the importance of European remembrance for the future of Europe).
Il s’agit de la dénonciation du Pacte Molotov-Ribbentrop ou Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 signé à Moscou.
Selon la résolution, ce pacte « a séparé l’Europe et ses territoires faits d’Etats indépendants entre deux régimes totalitaires, ce qui a tracé la voie à la Seconde Guerre Mondiale ».
Cet exemple de réécriture de l’histoire officielle, valable au moins pour l’Union Européenne, est un acte grave, voire, désastreux.
[2] Je ne sais pas si ces propos masquent un appel pour une certaine prise de conscience de la part de notre Président actuel ou si la vision que l’auteur a aujourd’hui de la France connaît quelques évidentes lacunes.
[3] Après la chute de l’URSS, toute la société soviétique et, notamment, russe, s’est retrouvée perdue sans plus aucun point de repère existentiel. La Russie, qui avait abandonné le tsar pour le communisme, devait désormais se débarrasser de 70 ans de construction sociale spécifique pour adopter la démocratie capitaliste de type libéral, sans aucun fondement moral, ni psychique, pour ce faire.
La Russie a vécu difficilement les années 1990 lorsqu’il a fallu adopter une toute autre vie. Les souffrances que cela pouvait entraîner ont été vécues avec une sagesse relative au regard des transformations quotidiennes vécues.
La Russie tire de ces années (et plus largement de toute son histoire) une solide expérience des besoins que connaît une société lorsque tous ses schémas habituels ou paradigmes sont remis en cause.
[4] La Grande Guerre Patriotique est la Seconde Guerre Mondiale pour les Soviétiques d’alors, les Russes d’aujourd’hui. Cette guerre dure de 1941 à 1945.
[5] cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Fardeau_de_l’homme_blanc
[6] Mes données indiquent que le poème « Le Fardeau de l’Homme Blanc » a été publié à l’origine en 1899.
[7] Vladimir Solonar (1959) : homme politique et historien moldave. Vit aux Etats-Unis depuis 2003.
[8] Je me permets de conseiller dans ce cadre la lecture d’un ouvrage que j’avais déjà conseillé dans un précédent article :
Jean-Louis Vullierme, Miroir de l’Occident. Le nazisme et la civilisation occidentale, Editions du Toucan, Paris, 2014
Il doit aider à prendre conscience des tréfonds de la conscience euro-américaine. Je sais que ce genre de points de vue est fustigé par les amis « progressistes » amputés, entre autre, de leurs racines. Cette lecture leur est, de même, fortement conseillée.
[9] Discours de Fulton de Winston Churchill
Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Discours_de_Fulton
[10] Ces éléments de discours rappellent étrangement les discours qu’Emmanuel Macron se plaît à répéter depuis plus de deux ans lors de ses rencontres avec Vladimir Poutine, d’abord à Versailles, puis à Saint-Pétersbourg, puis au Fort de Brégançon, puis à Paris…
Les Défenseurs du Monde Libre sont droits et intransigeants !
[11] Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Discours_sur_Pouchkine
[12] Traduction du passage : Marc Barnovi
[13] Ancien Testament, Livre de la Genèse, chapitre 4, [4.6.-4.12.]
Cf. https://www.bibliques.com/b/01gen/4.php
[14] Je ne peux m’empêcher ici de citer Olga Tchetverikova qui cite elle-même dans son ouvrage, « Les Vampires du Vatican » (2018) un passage du Nouveau Testament venant préciser le passage tiré du Livre de la Genèse de l’Ancien Testament.
« Ce sont justement les Saints-Pères qui enseignent cette aptitude à « distinguer les esprits » du fait que sans cela, il est facile de succomber à la tentation de l’intervenant déguisé en « ange de lumière ». L’apôtre Paul le disait : « Satan lui-même prend l’apparence d’un Ange de lumière. Il n’est pas surprenant que ses serviteurs aussi se déguisent en serviteurs de la justice de Dieu ; mais ils auront une fin conforme à leurs œuvres » (Deuxième lettre de Saint Paul apôtre aux Corinthiens – chap. 11:14, 11:15).
Défenseurs du Monde Libre ? Anges de la Lumière ?
traduction Marc Barnovi
envoyé par Bertrand Hedouin