Macron : responsabiliser, culpabiliser, criminaliser les pauvres
Publié par Johan Faerber
Quand tout à coup : Macron, c’est l’avènement d’une ère, celle de la responsabilisation comme discours criminogène. Comment ne pas être stupéfait par les propos tenus ici par celui qui vous sert de président depuis bientôt un an ? Le discours ici proféré s’appuie sur une notion clef de l’ère criminogène : la responsabilisation. Les aides sociales coûtent « un pognon de dingue », elles ne servent à rien : les pauvres demeurent toujours en dépit des aides pharaoniques accordées toujours invariablement pauvres. Ils sont toujours à eux-mêmes leur propre tautologie, c’est ça qui est désespérant, donc inutile. Il va falloir, dit Macron, les responsabiliser.
Mais que signifie ce terme « responsabiliser » ? Que signifie ce principe d’un sursaut moral qui devra désormais éveiller la conscience endolorie du pauvre ? Comme « moderniser » ne veut rien dire d’autre qu' »économiser », dans le lexique pratique du managériat, responsabiliser » signifie « culpabiliser » puis « punir ». Le pauvre doit prendre conscience que percevoir de l’argent ne sert à rien: avec autant d’argent, tout le monde serait devenu riche.
Macron ne comprend pas. Tous ces milliards n’ont pas rendu les pauvres milliardaires. Comment cela se fait-il ? Pourquoi n’ont-ils pas investi comme tout le monde – comme tout son monde ? Pourquoi les pauvres n’ont-ils pas investi les milliards d’aides sur une place financière ? Pourquoi sont-ils les seuls milliardaires qui ne le restent pas ? Il faut donc les responsabiliser comme disaient les maris à leurs femmes avec l’argent du pain de ménage. Responsabiliser, c’est montrer qu’un sou est un sou et qu’on n’en touchera plus. Le sou sera mis sous vitrine car il doit être gagné dignement, à la force d’un travail qui se gagne et n’est pas donné.
Responsabiliser, c’est culpabliser, c’est décidément montrer que le pauvre n’a pas conscience qu’il est pauvre : il pourrait devenir un dominant, il finira doublement dominé : sans argent et avec la culpabilité de ne plus en avoir parce qu’il ne l’a pas fait fructifier.
Ce discours dégueulasse de la culpabilisation est cependant encore ici formulé incomplètement s’il n’est pas accompagné de son pendant moral mais cependant toujours tu. Responsabiliser ce n’est pas seulement culpabiliser, c’est aussi et surtout déculpabiliser. Mais qui ? La réponse se donne aisément et sans fards : ceux qui se sacrifient, non les riches mais tous les travailleurs, les vrais travailleurs (chez Macron, ce sont les travailleurs dématérialisés, qui n’ont plus de corps comme les flux financiers alors que le pauvre insiste de tout son corps dans la nullité pesante de son champ) : ces vrais travailleurs qui n’ont pas besoin d’être endeuillés par la saleté de leur corps pour être productifs. Responsabiliser, c’est déculpabiliser tous ceux qui, durant des années, ont versé pendant des années de l’argent à des aides gaspillées, qui n’ont servi à rien et n’ont pas permis aux pauvres de devenir ces nouveaux riches qu’ils auraient pu devenir à force de milliards publics. Les hyper riches sous Macron ne se servent de leurs mains que pour se les laver de toute charge : la responsabilisation est un discours criminogène.
Difficile ainsi de ne pas être stupéfait par une telle vidéo où, enfin, à ce discours de responsabilisation-criminalisation, vient s’adjoindre un dernier tour, celui, toujours magique et inique, de l’entreprenariat, de la force décisionnelle et pseudo-morale par laquelle réussir dans cette société ne relèverait que de sa volonté la plus ferme, et de sa décision toujours plus souveraine. On en arrive à cette merveilleuse tautologie, sommet d’un discours d’un libéralisme cool: on va aider en n’aidant plus. Aidons en arrêtant de verser des aides, cela aidera plus les gens qui ne sont déjà pas aidés.
A ce niveau d’indignité qui voudrait se faire passer pour une lucidité décisionnelle et qui voudrait promouvoir l’éducation (qui devient un mot mantra vidé de son sens au regard de la destruction entamé par Blanquer-Vidal de l’enseignement public), ne peut finalement correspondre aucun modèle historique connu. C’est la grande erreur de ses opposants que de chercher dans l’histoire un modèle d’action de Macron : Macron serait Napoléon, il serait Louis XVI. On voit bien les clichés derrière. Ils ne tiennent pas la route : Macron ouvre véritablement à un 21e siècle sans fards : celui de la dénégation comme morale ultime au service de la politique.
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