Lettre ouverte d’un ministre en exil au président de la CEI

LETTRE OUVERTE DU MINISTRE EMILE GUIRIEOULOU, DEPUIS LE GHANA, À SON  » VOISIN  » YOUSSOUF BAKAYOKO LUI DEMANDANT DE DEMISSIONNER DE LA CEI, AU RISQUE QUE LE PAYS NE S’EMBRASE…

Mon cher « Voisin »,

Oui « Voisin », puisque c’est comme cela que toi et moi nous nous appelions à l’Assemblée Nationale entre 2002 et 2005. En effet, toi, Président de la Commission des relations extérieures (CRE) et moi, président de la Commission des affaires générales et institutionnelles (CAGI), nos bureaux se faisaient face et nos deux secrétaires partageaient le même espace de travail. Cette proximité géographique nous avait conduit petit à petit à une proximité que je qualifierai d’amicale. Je garde encore en mémoire qu’au nom de cette amitié, ministre des affaires étrangères, tu avais, à ma demande, accepté en 2008 d’accorder exceptionnellement un samedi à ton bureau une audience aux membres du CIWIT (Collectif des Ivoiriens Wê d’Italie) venus en Côte d’Ivoire avec une importante délégation d’élus et hommes d’affaires italiens pour des actions de coopération avec des communes de l’ouest. Oui, Voisin, c’est au nom de cette proximité amicale que je me permets de m’adresser à toi à travers cette lettre ouverte. Je te prie d’avance de ne pas me tenir rigueur pour avoir choisi cette forme de communication inhabituelle entre nous et m’accorder ton pardon au cas où cela te choquerait dans la forme et dans le fond. Je le fais sans acrimonie ni esprit de polémique.

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Youssouf Bakayoko

Cher Voisin, la Côte d’Ivoire est dans la tourmente depuis 2002 et cette situation s’est aggravée avec la crise post-électorale de 2010-2011 sur laquelle je ne vais pas revenir ici. En raison de cette crise, depuis avril 2011, plusieurs centaines d’ivoiriens sont toujours en prison depuis plus de sept ans et de nombreux autres, dont ton Voisin, sont contraints à l’exil. Le Président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont en prison à La Haye aux Pays Bas, loin de la mère patrie. La réconciliation nationale est toujours attendue mais n’arrive pas malgré les appels répétitifs venant de divers horizons comme ce fut encore le cas le 4 janvier 2018 à la cérémonie de présentation des vœux de nouvel an au chef de l’État.

Cher Voisin, c’est dans ces conditions que des élections sénatoriales et locales sont annoncées pour se tenir dans le courant du premier semestre de cette année 2018. A cette occasion, la question de la réforme de la Commission Electorale Indépendante que tu présides revient dans les débats au sein des différents états-majors des partis politiques ivoiriens comme un préalable à une organisation transparente de ces élections. Même le Pdci-Rda ton parti qui t’a proposé en 2010 pour présider la Cei, en fait lui aussi une revendication récurrente de sorte que dans son communiqué final de la première réunion annuelle des délégués départementaux et communaux avec le président Bédié le jeudi 11 janvier 2018 à Daoudro on peut lire que « Concernant les élections, toutes les zones ont recommandé la réforme de la Cei, la reprise du découpage électoral et la révision de la liste électorale ».
D’autres acteurs politiques comme le Fpi demandent non seulement la réforme de la Cei mais exigent également ton départ de la tête de l’institution. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, dans une décisions rendue le 18 novembre 2016 à son siège à Arusha en Tanzanie, a déclaré « la Commission électorale indépendante (Cei) ivoirienne non conforme au droit international » et considéré que l’Etat de Côte d’Ivoire a « violé son obligation de créer un organe électoral indépendant et impartial, prévu par l’article 17 de la Charte africaine sur la démocratie et l’article 3 du protocole de la Cedeao sur la démocratie et la bonne gouvernance, et qu’il a également par voie de conséquence violé le droit des citoyens de participer librement à la direction des Affaires publiques de leur pays … ».

Cher Voisin, ne vois-tu pas que cette Cei dont tu es le Président est discréditée tant au plan national qu’international ? Que cette Institution dans sa composition actuelle ainsi que ta présence à sa tête sont considérées par de certains compatriotes comme un obstacle à la paix dans notre pays ? N’est-il pas temps pour toi, cher Voisin, de « quitter dans ça » afin que ton nom ne soit plus associé par ces ivoiriens aux causes de leurs souffrances ?

Cher Voisin, tu as servi ton pays à différentes fonctions et donc tu as pu apporter ta pierre à l’édification de la nation ivoirienne comme en témoigne ta riche carrière professionnelle et politique. Tu n’as plus à prouver. En effet, je retiens de ton parcours qu’après avoir servi en tant diplomate dans plusieurs représentations diplomatiques ivoiriennes à l’étranger pendant 10 ans de 1973 à 1983, puis Ambassadeur pendant 7 ans de 1983 à 1990, tu as été :

maire de Séguéla pendant 5 ans de 1990 à 1995
député de Séguéla pendant 15 ans de 1995 à 2010
Ministre des affaires étrangères pendant 5 ans de 2005 à 2010
président d’institution (la Cei) pendant 8 ans sans discontinuer depuis février 2010.

Cher Voisin, pour toutes ces raisons, tirant les leçons de l’histoire récente et toujours en cours de notre cher pays, mais aussi pour apporter ta contribution et ta part de sacrifice à la réconciliation nationale, je te propose d’offrir de ton propre chef et en toute responsabilité au peuple ivoirien ta démission de la présidence de la Cei. L’histoire éternelle de la Côte d’Ivoire te le revaudra un jour !!! Amicalement,

Emile Guirieoulou
Ton Voisin de la CAGI,
communiqué par Léo Ahile