Lettre ouverte à Ouattara
Monsieur le Président de la République, SEM Alassane Ouattara, j’ai écouté avec beaucoup d’attention votre dernier discours sur la Rti1. Vos sorties de ce genre sont tellement rares que je me suis demandé si on était le jour de la fête nationale ou à la veille du nouvel an, tant c’est à ces occasions qu’on a la chance d’entendre celui à qui nous avons confié notre pays. Mais j’ai fini par comprendre que vos discours hors de ces deux dates importantes, interviennent seulement quand il y a une crise. Comme ce fût le cas avec la dernière mutinerie. Et c’est lorsque ses crises prennent de l’ampleur qu’on vous voit apparaître. Notamment les crises qui ont la particularité de menacer votre pouvoir ou d’en affecter la crédibilité, comme les récentes destructions de bâtiments publics.
J’ai été tout autant déçu de constater que votre adresse à la nation récente se soit fait depuis vos bureaux et non en direct depuis le plateau du journal télévisé. D’ailleurs , à moins que je ne me trompe, vous n’avez jamais mis les pieds au journal télévisé de la rti.
Combien de drames les ivoiriens ont traversé ces dernières années pendant que étiez dans votre coin, laissant les ministres nous répondre sans convaincre, amplifiant ainsi les crises.
Mais bref, j’ai entendu durant votre discours que vous souhaitiez que je vous fasse confiance. Que les Ivoiriens vous fassent confiance. Mais Monsieur le Président, excellence, j’ai bien peur que je sois incapable avec toute ma bonne volonté, de vous faire confiance. Je profite d’ailleurs pour vous faire savoir que non seulement vous avez perdu ma confiance depuis belle lurette et surtout depuis que vous aviez fait élaborer une constitution qui vous donne le pouvoir de créer un sénat et d’en nommer le tiers des membres. A travers cet acte, vous avez bafoué les fondamentaux de la démocratie en lesquels je crois fortement.
Je suis d’autant plus déçu -et j’en fait d’ailleurs un combat-, du fait que, vous qui aviez souffert durant votre prise de pouvoir de la caporalisation des médias publics par votre adversaire, au point d’être amené à créer une télévision depuis le golf hôtel, soyez celui-là même qui a fait de la radio télévision nationale, un média à la pensée unique toujours favorable à votre politique, et auquel les opposants ont difficilement accès. Un autre fondement de la démocratie que vous avez foulé au pied avec tant d’aisance.
La lutte contre la pauvreté était l’un des défis majeurs de votre administration. Le peuple ivoirien souffre depuis trop longtemps de la misère, alors que ce pays est tellement prospère. Si on doit vous reconnaitre d’avoir si bien fait croître la croissance économique, notre déception fût d’autant plus grande de constater que cette croissance ne nous a pas profité, comme l’a déploré la banque mondiale, en évoquant une mauvaise répartition des richesses. Et la raison, nous nous en sommes fait une idée, en constatant un népotisme ambiant et la floraison de contrats de marches publics cédés de gré à gré. Un cimetière pour les entrepreneurs et pour l’égalité des chances que vous avez ainsi construit sur notre avenir.
Vous étiez pourtant un espoir pour ce pays, comme toute alternance est source d’espoir. Mais vous avez volontairement brisé le contrat de confiance qui nous liait. Surtout en bottant en touche ce défi -oh combien de fois prioritaire- qu’est la réconciliation nationale. En faisant arrêter des opposants du front du refus qui protestaient contre votre projet de constitution, vous aviez scellé la mort du dialogue politique, un pan important du processus de réconciliation nationale. Depuis lors, ce processus pour lequel vous aviez nommé un ministre est relégué aux oubliettes. De même que les résultats du rapport de la CDVR. Et les conclusions du rapport d’enquête sur la crise post électorale que vous aviez vous même initié.
Hormis le dédommagement des victimes que vous aviez entamé, le processus de réconciliation nationale est resté sans suite, laissant béantes les blessures et les injustices de cette triste page de notre histoire. Vous nous avez trahi ainsi, surtout que depuis vos sept années à la tête de la Côte d’Ivoire, vous continuez de laisser mûrir une justice à double vitesse, qui exempte des anciens rebelles qui auraient commis des crimes durant le conflit de 2010, et durant la rébellion. Pendant que croupissent en prison des personnes que l’opposition qualifie de prisonniers politiques évoquant des raisons qui nous ont convaincues.
Il y a tant de déception que je n’aurais pas assez de temps pour tout énumérer, comme la grande frustration que j’ai eue, à voir des amis journalistes arrêtés et emprisonnés, sans oublier nos impôts que vous avez pris pour payer ses mutins.
Comment voulez vous qu’avec autant d’agressions de votre part sur le pacte de confiance que vous aviez signé avec le peuple de Cote d’Ivoire, vous espérez de nous de la confiance? C’est impossible. Soyez d’ailleurs heureux que nous soyons des légalistes et qu’aucune intention d’aller à des initiatives de vous obliger à quitter le pouvoir ne nous traverse l’esprit. Parce qu’à ce jour, notre rêve le plus ardent est de vous voir démissionner. Mais nous restons lucides et attendons impatiemment la fin de votre mandat pour donner la place à une personne qui rétablirait un ordre constitutionnel en phase avec les valeurs de la république et de la démocratie. Une personne qui serait proche du peuple car à mon humble avis, jamais un Chef d’État ivoirien n’a été autant peu proche du peuple de Cote d’Ivoire que vous. Toujours entre deux avions, même quand vous êtes au pays, il nous arrive de constater avec désolation que vous accordez l’essentiel de vos audiences à des étrangers, hommes d’affaires et autres acteurs politiques internationaux.
Bref, Excellence, je suis au regret de vous renouveler mon incapacité à vous faire confiance. Toutefois, je peux vous assurer de mon engagement à respecter les symboles de l’État auxquels je suis foncièrement attaché, même si ils ont perdu tout leur sens à mes yeux, comme à mes concitoyens qui ont fini par exprimer cette déception par la destruction de bâtiments publics, attitude que je condamne sans pour autant dénier à ceux qui l’ont fait, les raisons qui les animent.
Le citoyen a parlé, Excellence, et vivement 2020 pour qu’on soit dans de nouvelles mains. J’ose espérer en passant que le doute que vous avez laissé planer sur votre candidature à la prochaine présidentielle soit juste une plaisanterie. Nous ne pourrions l’accepter et nous nous donnerons tous les moyens démocratiques et non violents pour vous barrer le chemin.
ALAIN PATRICE AHIMOU,
communiqué par Armando Le Grand