Le Togo sous haute tension
Le 19 août dernier, des manifestations se sont déroulées dans cinq grandes villes du Togo avec pour revendications, le retour à la constitution de 1992 qui limitait le nombre de mandats présidentiels à deux, et le vote de la diaspora. A elles-seules, ces revendications politiques n’expliquent pas l’importance de ces rassemblements d’une ampleur inégalée depuis 2005. En réalité, dans leur grande majorité, les Togolais souhaitent, tout simplement, le départ du Président Faure Gnassingbé et la fin de cinquante années de règne répressif de la famille Eyadema. Les 6 et 7 septembre prochains, les partis d’opposition organisent de nouvelles démonstrations sur toute l’étendue du territoire. Compte tenu des rapports de force, populaire du côté des manifestants et militaire du côté du pouvoir, ces deux journées sont à hauts risques.
Pour décrypter la situation de ce petit Etat d’Afrique de l’Ouest, l’IVERIS propose un entretien avec Brigitte Ameganvi, membre fondatrice de l’association Synergie Togo.
Photo IVERIS prise lors de la manifestation du 2 septembre à Paris.
Etienne Gnassingbé Eyadema est arrivé au pouvoir en 1967, à sa mort en 2005, son fils l’a remplacé après une élection présidentielle très contestée. Pour rappel, les manifestations qui ont suivi ce scrutin ont fait entre 400 et 500 morts, plus de 10 000 blessés et 30 000 réfugiés (1). Depuis cette date, le Togo vit dans un climat de peur permanente. Comment expliquer, le soutien continu de la « Communauté internationale » Union européenne (UE), bailleurs de fonds, Organisation internationale de la francophonie (OIF) etc., à ce pouvoir cinquantenaire ?
– La « Communauté internationale » prétend que la paix et la stabilité sont deux facteurs importants, c’est la raison pour laquelle elle soutient des régimes forts. Mais c’est une politique de très courte vue, car ce sont ces pouvoirs qui, en appauvrissant les populations, permettent aux djihadistes de recruter des jeunes désœuvrés, ce sont ces pouvoirs qui créent le désespoir et donc l’afflux de migrants dans les pays occidentaux. Il y a également quelques intérêts stratégiques, le Togo est un grand pourvoyeur de soldats dans toutes les missions de maintien de la paix de l’ONU ou de la CEDEAO et un aéroport militaire au Nord du pays sert parfois de base à des avions de contingents étrangers. Jusqu’à présent, la France a soutenu le pouvoir actuel, lors des élections de 2015, Manuel Valls a largement apporté son soutien à Faure Gnassingbé (2), Dominique Strauss Kahn est très présent à Lomé ces derniers temps pour aider le régime auprès du FMI, mais la nouvelle politique africaine du Président Macron n’est pas encore très claire. Néanmoins, il semble que les choses commencent à changer, notamment du côté de l’Allemagne, qui prend conscience de la nature de ce gouvernement (3). La Présidence s’est engagée auprès du patronat allemand à réaliser la décentralisation en contrepartie de forts investissements. Ces investissements ont été faits, mais aucun des accords signés par le pouvoir n’a été respecté, Angela Merkel commence à comprendre qu’elle s’est faite abuser.
Sur le plan intérieur, comment cette situation a-t-elle pu perdurer aussi longtemps ? N’est-ce pas à cause du triptyque bien connu dans certains pays d’Afrique : répression, achat des consciences, faiblesse de l’opposition ?
– Effectivement, Faure Gnassingbé s’appuie sur plusieurs leviers dont la corruption. Il y a eu des défections dans l’opposition, des retournements de vestes, mais cela ne sert plus à rien, car lorsque des consciences sont achetées, celles-ci sont immédiatement délégitimées par la population. L’ autre méthode est l’instrumentalisation de la justice, en imputant aux opposants des affaires de droits communs qui les envoient en prison ou en exil. Enfin, il y a la fraude électorale, tous les procès-verbaux des commissions électorales locales (CELI) du Nord du pays sont récupérés et trafiqués dans les 48 ou 72 heures. Les observateurs dit impartiaux ne voient rien car ils ne s’aventurent pas dans les villes de l’intérieur, ils restent dans les hôtels de Lomé. Lors de l’élection présidentielle d’avril 2015, l’OIF a envoyé une mission dirigée le général Sangaré (4), ce dernier a demandé un hélicoptère pour se rendre dans le Nord, afin de ramener les résultats qui tardaient à parvenir à la Commission Electorale Nationale mais une fois sur place, on lui a refusé l’accès à ces CELI. Il était furieux et avait promis de le mentionner dans son rapport, mais lorsque le rapport de l’OIF a été publié, ces faits n’étaient pas mentionnés dans le document.
Quelle est la situation économique et sociale ?
– Dans un discours à la nation en avril 2012, Faure Gnassingbé a déclaré qu’il s’attaquerait à cette minorité qui accapare toutes les richesses du pays, c’était une reconnaissance explicite d’un des principaux problèmes du Togo. En réalité, rien n’a jamais été fait. La situation est de plus en plus alarmante. Sous les contraintes des bailleurs de fonds, FMI, Banque mondiale et leur demande d’équilibre budgétaire, plus aucun investissement n’est réalisé dans la santé ou l’éducation, en terme d’endettements le Togo est revenu au niveau de 2007 et 2008 avant le point d’achèvement du PPTE (5). Les coupes sombres dans le budget de l’Etat ont même aggravé l’extrême pauvreté. Les incendies des grands marchés de Kara et de Lomé en janvier 2013 ont augmenté la misère en zone urbaine. Ces incendies criminels ont été commis par des militaires et imputés à l’opposition. Pour pouvoir incriminer ses adversaires, le pouvoir n’hésite pas à ruiner l’économie. Le marché de Lomé par exemple, où exercent les Nana Benz, des commerçantes spécialisées dans le tissu africain, représente tout un écosystème, vendeurs, portefaix, etc. qui permettait de faire vivre de nombreuses familles. La Banque Africaine de Développement (BAD) a octroyé des fonds pour reconstruire ces marchés mais ces fonds se sont volatilisés… Tous les cinq ans, le PNUD réalise un rapport avec des indices de pauvreté par région, en 2016, ce rapport n’a pas été publié comme prévu, est-ce à dire que les résultats de cette étude sont très préoccupants ?
Lors de la manifestation du 19 août, un nouveau parti, le Parti National Panafricain (PNP), a semblé surgir de nulle part, de nombreuses rumeurs ont circulé sur ce parti, notamment que c’est un parti ethnique, musulman, qu’en est-il en réalité et comment a-t-il pu fédérer en si peu de temps autant de personnes autour de lui ?
– Tikpi Atchadam, le Président du PNP n’est pas un nouveau venu en politique, il a été pendant longtemps le numéro deux d’un autre parti, le PDR dirigé par Zarifou Ayéva dont l’assise a toujours été dans la région de la ville de Sokodé où les habitants sont en majorité musulmans. Il a créé le PNP en 2014 avec le soutien financier de la diaspora de son ethnie, les TEM, dont de nombreux ressortissants vivent en Allemagne, en Belgique ou en Amérique du Nord. Il y a plusieurs explications au succès de la manifestation du 19 août, d’abord la date symbolique des cinquante ans de pouvoir de la famille Eyadema, le peuple est excédé, ensuite la pauvreté grandissante, enfin la stratégie de Tikpi Atchadam, qui connaît de l’intérieur le système togolais ce qui a véritablement changé la donne. D’ordinaire, les manifestations n’ont lieu que dans la capitale, cette fois, elles ont eu lieu dans plusieurs villes à la fois, ce qui n’a pas permis aux forces, police et armée de quadriller tous les événements. Depuis des années, le gouvernement impose un itinéraire, entre un quartier excentré de Lomé et la plage avec pour conséquence de rendre ses rassemblements invisibles et inopérants. Cette fois, le leader du PNP a refusé le tracé du pouvoir, ce refus a été vécu par la population comme une marque de courage. Les autres partis d’opposition ne s’étaient pas ralliés à ces manifestations du 19 août mais les militants de tous les partis ont bravé les consignes pour se rendre à ces rassemblements. Un dernier point me parait important d’être signalé, Tikpi Atchadam est du Nord, comme ceux du parti au pouvoir UNIR, il a donc fait voler en éclat toutes les justifications ethniques, nord/sud, instrumentalisées par Faure Gnassingbé.
Après la manifestation du 19 août, sur les réseaux sociaux, des photographies de manifestants armés de kalachnikov ont circulé sur les réseaux sociaux, officiellement il y a eu deux morts et une soixantaine d’arrestations, un bilan imputé à ces manifestants armés. Qu’en est-il réellement ?
– Il faut se méfier des images qui circulent, il y a des montages réalisés par le pouvoir pour discréditer ses adversaires. Par exemple, si vous analysez bien ces photographies d’hommes armés, vous vous apercevez que certaines montrent des gens dans un espace clos, or à aucun moment les 19 et 20 août, il n’y a eu des manifestants dans un stade. Autre point important à souligner, la taille des personnes de premier plan et celles de second plan qui prouvent la manipulation. Enfin la couleur des maillots, cette couleur des tee-shirts est importante. De nombreux togolais sont encore analphabètes et ne se repèrent pas avec les noms des partis politiques, mais avec les couleurs des tricots. Sur les images diffusées sur les réseaux sociaux, il y a des superpositions de différents maillots, donc dès que vous voyez une photographie avec un mélange pas net, il faut se poser des questions…
D’autres manifestations étaient prévues les 30 et 31 août, elles ont été repoussées au 6 et 7 septembre, pourquoi ?
– Il y a trois raisons à cela. La première, le parti de Faure Gnassingbé, UNIR, a lui aussi lancé un mot d’ordre de manifestations à Lomé pour les derniers jours du mois d’août, des personnes venaient de toutes les préfectures pour se bagarrer dans la capitale, l’opposition le savait, elle était vulnérable, elle a voulu éviter un massacre, par des forces armées toutes concentrées à Lomé. Deuxième raison, comme les partis d’opposition se sont ralliés au PNP pour des manifestations dans toutes les villes du Togo les 6 et 7 septembre, il fallait laisser les musulmans fêter la tabaski, il fallait également s’organiser dans chaque ville. Enfin, les dirigeants politiques ont un problème avec leurs revendications qui ne correspondent plus aux aspirations de la population. Elle ne se contente plus du retour à la constitution de 1992 et du vote de la diaspora, elle veut en finir avec les 50 ans de règne de cette famille.
Les prochains jours seront ils décisifs pour le Togo ?
– Oui, je le pense. D’un côté, la population affiche une réelle détermination et de l’autre, le pouvoir a peur, l’armée grogne. Composée à plus de 80% de l’ethnie Kabyè, l’ethnie des Gnassingbé, l’armée en a assez d’être instrumentalisée, au service d’une seule famille. Mais le clan du gouvernement est résolument décidé à ne rien lâcher de ses prérogatives. Le mécontentement grandit d’autant plus que des Kabyè, notamment Kpatcha Gnassingbé, le demi-frère de Faure et Pascal Bodjona, « des pur-sang » comme cela se murmure dans les casernes et dans les rangs du parti UNIR, ont été brutalement éjectés par le système après avoir fidèlement servi le Président. Des rumeurs circulent selon lesquelles, le pouvoir aurait fait appel à des supplétifs, des démobilisés tchadiens, nigériens et soudanais. Le climat est extrêmement tendu.
(1) http://www1.rfi.fr/actufr/articles/069/article_38809.asp
(2) En 2016, un syndicat, le Parti des travailleurs togolais a accusé Manuel Valls d’avoir accepté 5 milliards de FRCFA soit 8 millions d’euros remis de la part de Faure Gnassingbé : http://www.afrikmag.com/lettre-petition-parti-travailleurs-a-manuel-valls/
(3) le Togo a été un protectorat allemand jusqu’en 1914
(4) Général Sangaré est un expert malien en matière électorale http://www.rfi.fr/emission/20140521-general-siaka-sangare-officier-malien
(5)https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Financial-Information/Togo%20-%20Document%20relatif%20au%20point%20de%20d%C3%A9cision%20PPTE%20renforc%C3%A9e.pdf
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