Le livre choc d’une repentie de la macronie
Marie Tanguy a été une des plumes du candidat Macron en 2017. Elle en a tiré « Confusions », un récit qui en dit long sur la déconnexion des macronistes.
Par Saïd Mahrane – Publié le 16/09/2020 | Le Point.fr
Plus qu’un pamphlet, un repentir. La force de ce livre, Confusions, est dans sa nuance et dans le calme avec lequel Marie Tanguy, ancienne plume d’Emmanuel Macron, narre son expérience. De la déception, oui, de la haine, jamais, ce qui rend ce récit d’autant plus redoutable. Jusqu’en 2017, la jeune femme travaillait à la CFDT, où elle était en charge des discours. « Ces gens-là, ils ne sont pas comme toi, Marie », la prévient Laurent Berger, le secrétaire général du syndicat, le jour où elle lui annonce son envie de rejoindre la macronie. D’un côté, il y a elle, Marie, qui avoue « une fragilité psychique », des doutes oppressants, qui la font pleurer et la rabaissent sans cesse, mais « en même temps » un fol espoir politique, retrouvé grâce à Emmanuel Macron, jeune candidat à l’élection présidentielle. De l’autre, il y a eux, ces hommes, jeunes, bien nés, péremptoires, oreillette branchée, qui parlent en pourcentage et en concepts abscons et qui s’appellent Quentin, Didier, Ismaël, David… Des machines élevées (ou plutôt programmées) dans les meilleures écoles, l’ENA, Sciences Po, Normale Sup…
Macron n’est pas Rocard
L’histoire des premiers Marcheurs est connue : des fulgurances, de l’arrogance, des jalousies et des divisions. Marie Tanguy nous en raconte une autre, la sienne, qui est aussi un peu la leur. En 2017, elle a donc quitté son syndicat-employeur pour tenter l’aventure politique à En marche ! Bon camarade, Laurent Berger formule cette autre mise en garde : « Macron, ce n’est pas Rocard. » Elle y est allée quand même par goût de l’aventure et pour une certaine idée de l’émancipation, née chez elle à gauche, et qu’elle retrouvait chez l’ancien ministre de Hollande. Elle a passé des entretiens avec Brigitte Macron et Ismaël Emelien. Son profil Sciences Po et les quelques essais qu’elle a rédigés ont joué en sa faveur. Aussitôt, la jeune provinciale, originaire de Cahors et issue d’un milieu modeste, s’est retrouvée membre du pôle Idées de l’équipe de campagne du candidat, partageant un étroit bureau avec Quentin Lafay et David Amiel, au QG rue de l’Abbé-Groult. « David » et « Quentin » (elle les présente ainsi), « cinquante ans à eux deux », sont deux des acteurs centraux du livre. Comme ça, désignés par leurs prénoms, ils rappellent un duo de comiques vu à la télé (« Éric et Quentin »), mais ils peuvent se vanter d’être « les chefs de chantier » du programme présidentiel. Il leur revenait de donner de la substance aux intuitions et aux promesses du candidat, de trouver eux-mêmes des idées pour se démarquer de Hollande, pour faire mieux que Benoît Hamon, plus écolo que les écologistes, mieux que tout le monde.
On va buter les régimes spéciaux
« Chaque jour, Quentin, à ma droite, et David, dans mon dos, rendaient des avis susceptibles de bouleverser des vies, et de changer la face d’un pays », écrit la jeune femme, qui ajoute : « Chaque jour, ils maillaient le territoire de maisons de services publics, d’établissements de santé ou de tribunaux, modifiant la répartition géographique ou sectorielle des effectifs, jouant sur les taux et les bases pour faire bouger les grands équilibres. » De derrière son écran Apple, l’autrice voit de la « violence » dans cette manière de faire. « On va buter les régimes spéciaux », jure David. Le mépris de classe – en l’occurrence, d’étages – se vérifiait également au sein du QG. Pour avoir donné un coup de main aux « helpers », la conseillère Idées a été rabrouée. Elle écrit : « Ceux du sixième étage n’avaient rien à faire avec les bénévoles… » On découvre, effaré, la langue de ces « gens-là ». C’est technique, prétentieux, abstrait, sec, froid. Rien de charnel, rien de vécu, rien de spontané. Un bureau des Idées dans lequel défilent des surdiplômés et si peu d’élus…
Des as du marketing
Pour qui rêve de connaître les dessous des grandes décisions voici l’exposé de la validation d’une réforme de la formation professionnelle : « Il faudrait imaginer une fin de conversation fatiguée dans un bureau sale, et deux hommes qui finissent par tomber d’accord sur les modalités techniques. (Ça te va ?, Ça me va, Alors on fait comme ça.). L’un d’eux se charge de rédiger la note pendant que l’autre va pisser. […] On l’envoie au secrétariat particulier, qui l’imprime et la glisse dans le dossier du chef. Le chef la lira sur le bord de son lit, vers 1 heure du matin, en dénouant sa cravate. La note est bien écrite. Ça vole. Feu. Nous avons une réforme de la formation professionnelle. Voilà comment s’écrit l’Histoire. » On vit avec elle dans cette ambiance où tout est toujours « TTU » – « très très urgent » –, animée par des « mecs », mangeurs de chirashis, qui ne communiquent que sur Telegram, se droguent aux sondages (« Quel est le rolling du jour, Denis ? ») et truffent les discours du candidat de citations de René Char. Des menaces de démission, ils en ont plein la bouche, mais toujours dans le dos du chef. Par ailleurs, il faut les entendre parler de leur cœur de cible, « les classes moyennes », non pas comme le ferait un bon sociologue, mais comme le feraient des as du marketing. Cette catégorie de la population incarnait pour ces Marcheurs « le Graal, la clé, le pompon de cette élection ».
Macron devenu frileux
Le candidat apparaît peu sous la plume de l’autrice, mais un portrait de lui se dessine à partir des idées qu’elle doit traiter ou de ce qu’elle entend de lui. « Au grand dam de Jean (Pisani-Ferry), notre candidat avait tendance à promettre à son audience ce qu’elle avait envie d’entendre », se souvient-elle. « Au fil des semaines, cet homme transgressif était devenu frileux. Soucieux de conserver son avance dans les sondages, il souhaita multiplier les gestes en faveur du pouvoir d’achat des classes moyennes. […] Vaillante, l’équipe essayait de limiter la casse, de démontrer l’infaisabilité technique des mesures les plus douteuses. » Il devenait un politique comme un autre. Il fut question pour le futur président de taxer davantage les patrimoines et de financer une dotation pour les jeunes adultes les moins favorisés. Finalement, il écarta cette idée. « Où étaient alors les rentes indues ? Seulement chez les cheminots ? Seulement chez les taxis ? » interroge son ancienne plume. Pour s’attirer le vote des classes moyennes, le candidat avait toujours une même idée : « faisons un crédit d’impôt ! » Peu à peu, la promesse d’émancipation s’évaporait.
Panique et humiliation
« Pendant deux mois, j’ai vécu des moments de panique, d’humiliation, d’accablement. J’ai voulu mille fois disparaître, et autant de fois j’ai cru que ma vie était finie », confie Marie, qui a vu son corps se détraquer sous l’effet de ce qu’elle vivait durant des jours et des nuits entières au QG de campagne : « Mon ventre et mes joues gonflées comme ceux d’un noyé. Mon haleine, l’odeur de mon cuir chevelu et de mes aisselles étaient de plus en plus aigre. » Elle en tombera malade, quittant quinze jours avant le premier tour l’équipe de campagne, consciente de n’être point faite pour cet univers. Macron, elle ne le « portait plus dans [s]on cœur ». C’était fini. Comment ne pas soudain repenser à Laurent Berger ? « Ces gens-là, ils ne sont pas comme toi, Marie »…