Le chocolat, vers un embargo américain ?
Travail des enfants : Les États-Unis veulent imposer un embargo sur le cacao et le chocolat ivoiriens.
L’appel à l’embargo du cacao ivoirien et du chocolat qu’il produit provient de deux sénateurs américains Sherrod Brown (D-Ohio) et Ron Wyden (D-Ore.) qui, le mois dernier, ont cité «des preuves accablantes» selon lesquelles la récolte de cacao ivoirien dépend du travail forcé des enfants. Pour cette raison, ont-ils déclaré, ce cacao devrait être interdit d’atteindre le marché américain.
Mais Dominique Ouattara a déclaré qu’un embargo sur le cacao imposé par les États-Unis nuirait aux agriculteurs ivoiriens et entraverait les efforts du pays pour éliminer le travail des enfants, qu’elle dirige. « Je pense que [la proposition] punirait tout un pays et les agriculteurs qui luttent pour leur survie et seraient injustes à l’égard du travail que nous accomplissons », a déclaré Madame Ouattara lors de la réunion.
Une telle interdiction, si elle était imposée par les autorités douanières américaines, exacerberait considérablement la pression exercée sur les entreprises chocolatières et le gouvernement ivoirien pour qu’ils luttent contre le travail des enfants.
Source: Washington Post ( August 7, 2019 )
Ivoire Gbagbo
S’agit-il du début de la Fatwa des chocolatiers sur le Ghana et la Côte d’Ivoire ?
Depuis quelques jours, le gouvernement ghanéen fait face à des soupçons d’un scandale financier qui ébranle les fondements de la gouvernance du Président Nana Akufo-Addo qui a, il faut le rappeler, placé son mandat sous le signe de la lutte contre la corruption. Le lièvre, dans cette affaire, a été levé par l’Administration américaine et est suivi avec une attention soutenue par l’ambassade de ce pays au Ghana. En effet, dans le cadre du programme Millenium Challenge conclu avec les Etats unis vers la fin de l’Administration Rawlings, le Ghana a bénéficié d’un certain nombre d’appuis financiers pour renforcer divers aspects de son économie. L’un des secteurs ayant bénéficié de ces appuis est celui de l’électricité. La réforme de ce secteur, initiée par ses prédécesseurs et effectivement implémentée par le Président Nana Addo, vise à séparer la production de l’électricité de la distribution comme cela se fait en Côte d’Ivoire. Pour ce faire, le gouvernement Ghanéen a reçu un financement important de l’administration américaine dans le cadre du Millenium Challenge Corporation (MCC). Le gouvernement américain émet des doutes sur l’utilisation de cet argent. L’affaire est telle que le Président de la République a dû prendre des mesures d’urgence pour suspendre le contrat de concession, d’à peine 3 mois, signé entre « Electricity Company of Ghana » (ECG), l’opérateur étatique d’électricité (la partie concédante) et la « Power Distribution Society » (PDS) (la partie concessionnaire). L’ambassade des Etats Unis au Ghana a même fait un communiqué de presse pour signifier le prix qu’elle accorde aux enquêtes qui ont cours sur les allégations de corruption qui auraient entouré ce contrat de concession.
A peine qu’éclate cette affaire au Ghana, en Côte d’Ivoire, deux sénateurs américains engagent une procédure auprès de leur gouvernement afin que celui-ci consente à imposer un embargo sur le cacao ivoirien au motif qu’il serait le fruit du travail d’enfants mineurs. L’affaire révélée par un journal américain très crédible trouble le sommeil des gouvernants ivoiriens. Il faut bien souligner que la Côte d’Ivoire a été admise dans le programme MCC et a déjà bénéficié d’appuis financiers de plusieurs milliards de FCFA (Plus de 300 milliards). La contrepartie requise du gouvernement ivoirien se rapporte, entre autres, à la libéralisation des terres agricoles afin que les multinationales américaines y aient accès pour pratiquer notamment la cacao culture et à la bonne gouvernance.
Est-ce un hasard de calendrier qui fait que l’affaire qui trouble le sommeil du gouvernement ivoirien et celle qui trouble celui du gouvernement ghanéen arrivent au même moment et, surtout, un mois à peine après la menace de suspension de l’exportation des fèves de cacao proférée par les deux géants du cacao ?
Si l’on veut simplifier les choses pour ne les percevoir que dans leurs apparences immédiates, la réponse serait tout de suite oui. C’est d’ailleurs ainsi que les élites africaines ramènent leurs rapports avec le monde capitaliste qui gravite autour de réseaux d’intérêts corruptifs qui sont joliment appelés, là-bas, des lobbies. Ces lobbies peuvent être des hommes politiques, des hommes de media ou portent le nom tout aussi joli d’ONG etc. Ces lobbies servent d’écran de fumée opaque qui cache les intentions réelles des vrais maîtres d’ouvrage. Le théâtre favori de leurs opérations reste le faible continent africain, qui ne souffre pas seulement de sa faiblesse économique, mais tout aussi d’un déficit de patriotisme qui fait que lorsque ces lobbies frappent un adversaire politique les autres Africains applaudissent des deux mains. Le Président Laurent GBAGBO et le FPI en ont souffert. En effet, à peine arrivé au pouvoir dans le dernier trimestre de 2000, le Président Laurent GBAGBO avait fait face à plusieurs actions des mains prédatrices qui agissaient par leurs différents relais nationaux et internationaux. Si la menace identitaire, montée de toutes pièces par un sulfureux metteur en scène belge, semble la plus connue de ces attaques contre le Président nouvellement élu, le travail des enfants, tout aussi malicieusement exploité contre lui, n’a pas constitué la moindre bataille que Président ivoirien fraichement élu a dû mener. Et sur cette dernière question, l’ONG Children of Africa, de l’actuelle première dame, a occupé les avant-postes de cette campagne de dénigrement du régime du Président Laurent GBAGBO. Or, comme aujourd’hui, il a fallu que les intérêts d’un trader et puissant chocolatier soient menacés pour que le travail d’enfants esclaves dans les champs de cacao, que l’on ne cesse d’agiter comme une sorte de chiffon rouge, apparaisse soudainement. Or, ce trader et chocolatier avait agi comme un simple voleur qui avait détourné plusieurs millions de $ à la Côte d’Ivoire par un mécanisme bien huilé au niveau de sa filiale ivoirienne dirigée par Seydou Eliman Diarra. Un contrôle fiscal avait révélé des pratiques mafieuses dans la société SACO, filiale du groupe suisse Barry Callebaut. Le redressement fiscal opéré par l’administration fiscale ivoirienne avait atteint le record de 107 milliards de FCFA (200 millions $). Le refus du Président Laurent GBAGBO de faire annuler ce redressement fiscal, malgré l’énormité de la pression qu’il subissait, lui avait valu, dès le lendemain de la confirmation du redressement définitif, une campagne qui le faisait passer pour un esclavagiste qui emploie des enfants esclaves dans les champs de cacao. Il avait fallu beaucoup d’énergie, un temps fou et beaucoup de voyages aux USA pour mettre fin à cette campagne pernicieuse, après avoir pris des engagements de lutter contre ce phénomène social qui est très complexe en Afrique. A partir de 2002 la rébellion, qui a porté le régime d’Abidjan au pouvoir, avait mis la main sur un trafic juteux du cacao qui avait fini par faire du Burkina Faso et du Togo des exportateurs de cacao. Cela n’avait ému aucun chocolatier, aucun homme politique outre-mer, aucune ONG internationale. En 2011, dans la crise qui a suivi les élections, les mêmes n’ont pas hésité à demander que leurs parrains imposassent un embargo sur l’exportation du cacao ivoirien sans tenir compte des souffrances qu’une telle mesure avait sur les paysans. Il fallait affaiblir et faire tomber Laurent GBAGBO par tous les moyens. Dans ces conditions, comment jeter la pierre sur les Ivoiriennes et les Ivoiriens qui semblent se féliciter du boomerang qui revient vers ceux qui l’avaient lancé. La tentation est grande, mais c’est justement l’erreur qu’il ne faut pas commettre. Il faut éviter cette erreur non pas pour faire plaisir à ceux qui ont fait du mal au pays dans leur conquête du pouvoir d’Etat, mais par patriotisme. La sève patriotique est indispensable si nous voulons survivre en tant qu’Africains dans ce monde de requins. Il faut retenir, une fois pour toutes, que le capitaliste n’a pas d’état d’âme et tout se monnaie chez lui y compris la morale. Enfants esclaves, ils n’en ont cure. Cela leur sert tout simplement de prétexte pour frapper quand leurs intérêts sont en jeu. Cela ne veut pas dire que le phénomène des enfants travaillant pour le compte des trafiquants d’enfants sans scrupule n’existe pas. Cette pratique est inacceptable. Mais l’utiliser pour justifier les tendances dominatrices de puissances financières étrangères sur nos pays est tout aussi inacceptable. La Côte d’Ivoire a produit cette année plus de 500 000 tonnes de cacao dans les forêts classées. Cela ne choque nullement les multinationales qui continuent d’acheter ce cacao jusqu’à ce qu’un jour cela serve leur cause. Il en sera ainsi tant que nous ne serons pas capables de réformer en profondeur nos économies pour les détacher totalement du commerce des matières premières. C’est pourquoi, je ne peux partager le triomphalisme du Chef de l’Etat ivoirien qui n’arrête jamais d’autocélébrer ses performances économiques. Non, je suis même inquiet pour demain. Il a bénéficié d’une excellente fortune, qu’il n’a pas créée, pour transformer en profondeur l’économie ivoirienne pour la faire passer d’une économie de rente à une économie de manufacture et de services. C’était l’objectif du PPTE. Non seulement il n’y est pas arrivé mais, en plus, même la modernisation de l’agriculture qui l’aurait mis hors de portée des critiques et des exploitations malhonnêtes des situations comme le travail des enfants a été tout simplement ignorée. Pour soutenir l’énormité de la dette qu’il contracte pour soutenir son programme économique, il ferme les yeux sur d’extension des champs de cacao, la principale base de l’économie, y compris dans les forêts classées. L’extension d’une économie agricole non mécanisée ne peut se faire que par une main d’œuvre abondante. D’où le recours à l’immigration massive dans laquelle se glissent des trafiquants d’enfants à des fins de travaux champêtres. Nous regretterons pour longtemps l’opportunité du PPTE totalement gâchée. Le gouvernement ivoirien se comporte comme un épicier à qui les fournisseurs remettent une partie substantielle de ses dettes. Au lieu de profiter des gains ainsi réalisés pour se transformer lui-même en grossiste, ou même demi-grossiste, notre épicier achète un fauteuil pour remplacer sa chaise, remplace son comptoir et ses étagères par du beau matériel, pave la devanture de son épicerie avec des carreaux et, contemplant le beau, s’extasie, oh que j’ai bien investi, sans oublier qu’il est et demeure l’épicier d’hier.
Dans une récente publication, je m’inquiétais des déclarations, certes de bonne intention, des autorités ivoiriennes et ghanéennes sur la suspension de l’exportation du cacao dans le but d’obtenir un meilleur prix. J’avais dit que je ne croyais pas au succès d’une telle entreprise car les deux pays ne sont pas suffisamment préparés à ce noble combat. Je me laisserai difficilement convaincre que l’affaire de soupçon de corruption au Ghana et la nouvelle campagne d’enfants esclaves dans les plantations du cacao, ayant toutes leur origine aux Etats Unis, relève d’un simple hasard de calendrier. Je ne conteste pas leur existence mais je dénonce leur utilisation. Pour mener ce genre de combats, il faut bien nettoyer devant sa maison, sinon un scorpion y est facilement dissimulé, très souvent par des mains obscures. Le monde est en permanence en guerre économique. Cette réalité procède de la nature belliqueuse originelle de l’économie capitaliste. Seuls les Africains continuent de croire le contraire. Hélas.
Le ministre Justin Katinan KONE
Justin Katinan Kone